{{Justice. À l’été 1997, le n°1 de l’Église de Scientologie de Lyon est condamné à une peine de prison pour homicide involontaire.}}

Le 24 mars 1988, vers 5 heures du matin, Patrice Vic, un dessinateur industriel de 31 ans, se jette par la fenêtre de son appartement situé au douzième étage d’un immeuble à La Duchère. Il meurt sur le coup. Pour la première fois dans l’histoire de la Scientologie, un adepte, poussé à bout, se suicide. Stupeur énorme en France. L’Église à la croix à huit branches est sous le feu des projecteurs. Un juge lyonnais, Georges Fenech, instruit le dossier, aux quatre coins de l’Europe, pour aboutir au premier grand procès français de la Scientologie.

Vingt-trois scientologues comparaissent devant la justice lyonnaise, pour escroquerie, tentative d’escroquerie, complicité d’escroquerie et abus de confiance. L’un d’entre eux, Jean-Jacques Mazier, président de l’église de Scientologie de Lyon à l’époque, est poursuivi pour escroquerie et homicide involontaire.

Sur les 32 plaignants du début, seuls 10 iront à la barre, l’Église de Scientologie s’étant activée pour proposer de l’argent à ses victimes en échange de leur désistement.

“Un engrenage ayant pour objet la captation de leur fortune”
L’arrêt de la cour d’appel de Lyon du 28 juillet 1997 reste dans les mémoires comme un procès historique. D’abord par une phrase “malheureuse” (qui, au final, sera effacée par la cour de cassation) : “il est vain de s’interroger sur le point de savoir si l’Église de Scientologie constitue une secte ou une religion”. La Sciento crie dès lors victoire croyant à une reconnaissance. Faux.

Dans leur arrêt de 41 pages, les magistrats lyonnais ne cèdent pas aux pressions : “à supposer que l’Église-mère implantée aux États-Unis ait un fonctionnement et des pratiques n’appelant aucune remarque défavorable, cela n’empêcherait pas que les dirigeants ou les membres de telle ou telle association de Scientologie implantée en France et spécialement à Lyon, puissent, en ce qui les concerne, commettre des infractions d’escroqueries ou d’extorsions” et estiment que “la Scientologie, telle que pratiquée” à Lyon “avait pour objet et en tout cas pour effet d’aboutir à une véritable manipulation mentale”.

Les magistrats relèvent la diffusion de “fausses offres d’emploi” ou l’attrait de la clientèle “par la promesse de tests de personnalité s’avérant fallacieux afin d’engager ses dupes dans un engrenage ayant pour objet la captation de leur fortune”.

{{Méthodes dangereuses}}

Les méthodes de la Scientologie sont décryptées dans ses moindres détails. Selon le médecin-psychiatre Jean-Marie Abgrall, expert, “la cure de purification constituerait un amalgame d’affirmations gratuites et d’hypothèses fantaisistes et serait très efficace dans le cadre d’une manipulation mentale pouvant devenir létale par ses effets toxiques directs ou indirects, en créant chez le sujet une susceptibilité particulière le rendant apte à déclencher une pathologie psychiatrique avec conduites dangereuses ou suicidaires”.

En guise de conclusion, la cour d’appel reconnaît “le comportement hautement condamnable des dirigeants du Centre de dianétique et de l’Église de Scientologie de Lyon, qui, par une série de manœuvres frauduleuses, ont fait de leurs Églises, dont il n’appartient pas à la Cour d’apprécier la doctrine, des entreprises de captation de fonds au préjudice des adeptes”.

{{Homicide involontaire}}

Jean-Jacques Mazier, président fondateur du Centre de dianétique de Lyon a également été reconnu coupable d’homicide involontaire sur la personne de Patrice Vic : “Jean-Jacques Mazier a non seulement créé les conditions générales favorisant le suicide, mais encore a commis (…) une série de fautes ayant provoqué le passage à l’acte ; (…) un lien de causalité certaine existant entre ces fautes et le décès”. Il écope de trois ans de prison avec sursis.

{{Tensions entre la France et les États-Unis}}

Il y a eu un avant et un après Lyon. Le procès dépasse largement les frontières locales et nationales. D’un point de vue géopolitique, les magistrats lyonnais ont jeté les bases d’une profonde tension entre la France et les États-Unis. Ainsi, la France est régulièrement épinglée par les États-Unis, dans leur rapport annuel du département d’État sur la liberté religieuse dans le monde, pour non-respect des droits de certaines minorités religieuses. Dans le dernier en date, les États-Unis parlent de “traitement discriminatoire” vis-à-vis des scientologues (et des Témoins de Jéhovah) et consacrent pas moins de quatorze lignes à la Scientologie dans un paragraphe intitulé “Restrictions à la liberté religieuse”.

{{Procès de Lyon : un tournant dans la lutte anti-sectes}}

Il y a eu un avant et un après Lyon. “Ce procès a montré notre détermination forte à lutter contre le phénomène sectaire” assène Jean-Olivier Viout, actuel procureur général près la cour d’appel de Lyon et, à l’époque du procès, avocat général. “Ce procès a permis une authentique prise de conscience en France” ajoute Georges Fenech, le juge qui a mené la très, très longue instruction du procès lyonnais et aujourd’hui président de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires.

Il y a eu un avant et un après Lyon. Pour la première fois, la Scientologie, organisation tentaculaire réputée intouchable, considérée comme une religion dans certains pays, était judiciairement désavouée. Non sans mal d’ailleurs puisqu’il aura fallu cinq années d’instruction, des commissions rogatoires en Suisse, au Luxembourg et au Danemark, l’audition d’une soixante de témoins et l’examen d’une douzaine d’experts pour éclaircir les responsabilités de chacun des vingt-trois scientologues sur le banc des accusés.

Auteur : Guillaume Lamy

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