Si dans l’imaginaire collectif les scientologues représentent une secte dangereuse, comment expliquer qu’ils puissent pratiquer leur culte et organiser leurs activités sur le sol belge depuis 40 ans ?

Les fidèles de L. Ron Hubbard occupent un bâtiment au 103, boulevard de Waterloo, à Bruxelles. L’adresse abrite le siège des Églises de scientologie pour l’Europe, qui a été inauguré en janvier 2010 en présence de plus de mille scientologues et visiteurs du Vieux continent. Mais selon une personne sur place (que nous avons pu identifier comme étant une porte-parole de la Scientologie à Paris), plus aucun participant présent à l’ouverture ne travaille au siège. Il n’y a donc aucun interlocuteur pour parler de cette cérémonie ni de la propriété de la Scientologie sur le bâtiment. Et elle-même refuse de répondre aux questions.

Selon le cabinet de l’échevin de l’Urbanisme de Bruxelles, le propriétaire de l’immeuble, une société nommée Belgian Buildings Acquisitions Inc (BBAI), a acheté le bâtiment en décembre 2005. Le cabinet n’a toutefois pas d’informations sur BBAI et il n’y en a pas beaucoup plus sur le web, mis à part que sa création correspond à la date d’achat de la propriété. Éric Roux, porte-parole de la Scientologie, explique que « pour l’église située boulevard de Waterloo, c’est un bâtiment qui a été acheté par une entité américaine financée certainement par des scientologues du monde entier et c’est cette entité, qui est propriétaire, qui nous le met à disposition. Mais je ne sais pas s’ils le louent ou comment ça marche et je ne veux pas dire de bêtises ».

Et il est très difficile d’associer des noms à BBAI. La seule personne joignable que nous avons pu retrouver est Alain Tizioli, représentant en 2006 de BBAI dans le cadre d’une affaire de squat du bâtiment fraîchement acquis par l’entreprise. Sans évoquer la scientologie, nous lui avons demandé des précisions sur la société. « Ah, si c’est pour parler de l’église, c’est hors de question, nous a-t-il répondu. Pour la simple raison que j’ai quitté définitivement l’église depuis 5 ans, et ce pour des raisons personnelles. Je ne veux plus rien à voir à faire avec cette période de ma vie. Pour la BBAI, c’est la même chose […] j’ai signé une clause avec l’église de non communication/critique réciproque ».

Une église déclarée comme un bureau

Toujours est-il que la mystérieuse société a acheté le bâtiment “sans demander de changement d’affectation”. Les locaux étaient auparavant utilisés comme bureaux par la Commission communautaire française de Bruxelles (la COCOF). Ils sont toujours considérés comme des bureaux aujourd’hui. Pourtant, Éric Roux confirme que les activités à l’intérieur de l’établissement sont bien d’ordre religieux : accueil des fidèles, auditions à l’électromètre, thérapies…

Vraisemblablement, tout n’est pas clair. Est-il normal pour la commune de Bruxelles que des bureaux accueillent des gens qui viennent se recueillir, se “soigner” et demander conseil à des « auditeurs » (les prêtres scientologues) ?

La ville n’est pas au courant

Le cabinet de l’échevin de l’urbanisme affirme que si des activités religieuses ont lieu dans les prétendus offices, la ville n’est pas au courant. Elle ne savait pas non plus au moment de la vente que le bâtiment abriterait une église de scientologie. Quoi qu’il en soit, le service de contrôle de l’urbanisme, chargé de vérifier que théorie et pratique correspondent, assure qu’un changement d’affectation –ici des bureaux qui deviennent un lieu de culte – est soumis à un permis urbanistique et assure qu’il “prend note de notre remarque”. L’inspecteur confie tout de même qu’il subsiste un manque de communication entre les différentes entités. Par ailleurs, une plainte a été déposée pour l’adresse concernée, mais, sous prétexte de confidentialité, toutes les personnes contactées se refusent à communiquer la moindre information à ce sujet.

Bâtiment de l’église de scientologie

Bâtiment de l’église de scientologie

Pas officiellement une secte

« Les églises sont constituées en ASBL, expose Éric Roux. Et une ASBL peut être une organisation religieuse, ce n’est pas un problème» Notons qu’une ASBL pourrait tout aussi bien être une secte. En Belgique, la Scientologie est une ASBL, souvent vue comme dangereuse par le public. Elle est aujourd’hui jugée en tant que personne morale pour diverses escroqueries, même si, officiellement, la question de savoir si elle était une organisation à risques ou non n’a jamais été posée par la justice.

Plus globalement, la question à se poser est la suivante : face à une secte potentielle, n’aurait-on pas pu simplement empêcher l’organisation d’ouvrir son église à Bruxelles il y a six ans ? « Il y a une liberté d’établissement qui existe et tant qu’il n’y a pas de condamnation, il n’y a pas de raisons qu’elle ne puisse pas s’établir quelque part, répond maître Pierre Bourgeois, avocat pénal au barreau de Bruxelles. Et le fait d’avoir une mauvaise réputation n’a rien à voir du point de vue légal pour empêcher à quelqu’un de s’établir […] si des délits sont commis, il y a évidemment lieu à ce qu’il y ait un procès pour déterminer si oui ou non l’association peut poursuivre son activité ».

Cependant, si les faits de pratique illégale de la médecine, escroquerie et atteintes à la vie privée sont avérés, les 12 dirigeants aujourd’hui jugés seront condamnés, en tant que personnes physiques, à une peine de prison et/ou amende. Et quid des personnes morales, les ASBL Église de scientologie belge et Église de scientologie Europe ? « Si l’Église est reconnue coupable et condamnée à l’issue du procès, on pourrait évidemment ordonner la dissolution de l’association et qu’elle ne puisse plus être présente sur le territoire belge » affirme Me Bourgeois. Si le procès tournait au vinaigre pour les scientologues, les occupants de l’église-bureau n’auraient plus qu’à faire leurs cartons et déménager.

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source :04 novembre 2015

Quand la scientologie établit son église dans des bureaux de Bruxelles

Par Djabril Bennafla