Par Mathieu DESLANDES
Le Journal du Dimanche
{{Poursuivie pour escroquerie, l’Eglise de scientologie est de nouveau jugée à partir de lundi. Comme souvent, la secte a tenté de négocier le silence des plaignants. Tout s’achète, même le silence d’un adversaire. Avec le procès qui s’ouvre lundi devant le tribunal correctionnel de Paris, c’est la première fois depuis dix ans que la justice a l’occasion de décortiquer les pratiques de l’Eglise de scientologie, poursuivie pour « escroquerie en bande organisée ». En cas de condamnation, la secte risque la dissolution de ses principales structures françaises. L’enjeu est donc considérable.}}
Et pourtant, avant même le début des audiences, le banc des parties civiles s’est vidé de moitié. Sur les 6 plaignants initialement mentionnés dans le dossier, 3 anciens adeptes se sont désistés. Des revirements négociés « à l’amiable » contre de l’argent: près de 33 000 euros pour l’un d’entre eux. Des sommes restées secrètes pour les deux autres: en renonçant à toute poursuite judiciaire, ceux qui transigent avec la scientologie se condamnent du même coup au silence.
Même si ces désistements n’éteignent pas l’action publique, ils limitent la publicité négative qu’occasionne un procès. « Les scientologues préfèrent qu’il n’y ait pas de parties civiles présentes lors des audiences », confirme Me Olivier Morice, défenseur de deux plaignants dans ce nouveau procès. « Entendre les victimes parler de leur traumatisme est toujours extrêmement frappant. Pour s’éviter cette perspective, les scientologues sont prêts à offrir des sommes très importantes, parfois en totale disproportion avec le préjudice subi. » Le lissage de l’image n’a pas de prix.
Cette stratégie du carnet de chèques est la dernière d’une série de manoeuvres diligentées par la scientologie pour faire capoter tout procès qui la vise: tentatives de récusation des magistrats, requêtes en nullité… Tout est bon pour faire traîner les choses en longueur. Quitte à pointer, ensuite, l’excessive lenteur de la justice et se plaindre de n’avoir pas bénéficié d’un traitement équitable! Le dégoût et le découragement ont fait renoncer plus d’un plaignant. « Sans parler des menaces téléphoniques et des intimidations physiques », ajoute-t-on dans les rangs des associations anti-sectes.
{{L’Eglise de scientologie}}
Quand la manière forte ne suffit pas, la scientologie puise dans ses coffres-forts. Avec efficacité. Danièle Gounord, porte-parole du mouvement en France, assure qu’il s’agit de « situations exceptionnelles ». Les témoignages d’anciens adeptes convainquent pourtant du contraire.
Déjà, en 1996, lors du procès de Lyon, seuls 10 plaignants sur 32 avaient résisté aux offres de la secte. En Belgique, où deux affaires sont en cours d’instruction, les plaintes s’évanouissent les unes après les autres. Roger Gonnet, un cadre scientologue repenti, estime que la proportion de ceux qui acceptent une transaction financière « dépasse les 80% ». Une attitude compréhensible, selon Georges Fenech, le président de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes): « Les anciens adeptes sont dans un état déplorable. Ils sont déstructurés dans leur personnalité, ils ont de graves problèmes financiers, ils ont souvent peur de déposer plainte. Alors, si on leur propose des sommes rondelettes pour tourner la page, évidemment, c’est tentant. »
Plus les « apostats » sont enragés, plus ils étaient haut placés dans l’organisation, plus leur silence coûte cher. L’Américain Gerry Armstrong, qui fut très proche de Ron Hubbard, fondateur de la scientologie, a monnayé le sien 800 000 dollars… Et s’est empressé de violer l’accord qu’il avait conclu.
Pour éviter que les enchères n’atteignent de tels sommets, l’Eglise de scientologie « est en train de mettre de l’eau dans son vin, en particulier en France », affirme Roger Gonnet. « Ils s’estiment toujours détenteurs de la vérité mais ils conçoivent désormais que la greffe ne prenne pas avec certaines recrues et acceptent de plus ou plus souvent de rembourser les quelques milliers d’euros qu’ils ont pu leur soutirer pour éviter de se retrouver au tribunal. »
Dans ses locaux forteresse du 18e arrondissement parisien, Catherine Picard, la présidente de l’Union nationale des associations de défense des familles et de l’individu (Unadfi), attend l’ouverture du procès en croisant les doigts. « J’espère que les parties civiles vont tenir bon. Jusqu’à la dernière minute, la scientologie va tenter de les pousser à se désister. » D’un geste sec, elle repousse devant elle un reste de mauvais café et répète : « J’espère qu’elles vont tenir bon… »