Dans huit jours précisément, il aurait pu célébrer la fête des pères. Avec six enfants et dix-sept petits-enfants, il aurait fallu pousser les murs de la petite maison de Péronne. Sa femme aurait fait des tartes et cuit un poulet… À la place, hier matin, elle lui a préparé une petite valise puisque le soir même, il passait sa première nuit en prison. À presque

78 ans, cet homme encore solide, regard froid derrière des lunettes cerclées de fer, a été condamné à sept ans d’emprisonnement pour avoir agressé sexuellement et violé plusieurs de ses petites filles, entre 1988 et 1996.

« Ce n’est pas de la faute des victimes si l’on juge un vieil homme, mais bien parce qu’il a tout fait pour les empêcher de parler », avait prévenu, jeudi, l’avocat des parties civiles, Pascal Duriez. De fait, chaque enfant a porté le poids de la salissure pendant des années, persuadée qu’elle était la seule dans son cas, jusqu’à ce qu’en 2010, les plus vieilles réalisent que des petites étaient encore victimes et décident d’aller frapper à la porte de la gendarmerie. Leurs témoignages sont accablants.

« Toute mon admiration »

Deux sœurs décrivent une scène sordide : le papy assis entre elles sur le canapé, embrassant à pleine bouche l’une, glissant la main dans la culotte de l’autre.

Avant, elles ont vécu dix ans de calvaire. Après, ce ne fut guère mieux. ,« Vous avez toute mon admiration, a confié hier l’avocate générale Clémence Peyrou, dont le réquisitoire allia humanité et précision. On vous a reproché l’explosion de la famille, l’appât du gain, on a dit que vous en rajoutiez, peut-être même que vous l’aviez un peu cherché. Votre famille, au contraire, peut vous remercier. Elle va enfin pouvoir arrêter le cycle. »

Comme si le malheur était une charge héréditaire, l’homme, qui a violé sa fille en 1964 et ses petites-filles vers 1990, fut lui-même victime d’un viol en 1945.

M e Godreuil a rappelé cet épisode et tenté de semer le doute quant aux pénétrations digitales (les attouchements étant reconnus). Il a surtout stigmatisé l’attitude des adultes dans ce dossier : les parents, certes, mais aussi les Témoins de Jéhovah, auxquels appartenait la majorité de la famille, et qui, informés des faits, se sont contentés de frapper leur paroissien d’une remontrance.

« Il n’avait pas intégré les interdits et quand on aurait pu l’y forcer, on s’est contenté d’un pseudo jugement, stigmatise l’avocat. Les victimes ont été sacrifiées sur l’autel de la tranquillité. »

source : Courrier picard
08/06/2013
Par TONY POULAIN
COUR D’ASSISES DE LA SOMME

http://www.courrier-picard.fr/region/sept-ans-de-reflexion-pour-le-grand-pere-violeur-ia0b0n103407
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RAPPELS :
Un Péronnais de 77 ans va répondre, devant la cour d’assises de la Somme, à Amiens, de viols sur quatre victimes, entre 1988 et 1996. Une de ses petites-filles a parlé la première, en 2010, dénonçant des agressions subies alors qu’elle avait entre 10 ans et 13 ans.

Les enquêteurs ont alors recueilli les témoignages de plusieurs autres jeunes femmes de la famille, qui ont fait état d’agressions ou de viols subis également autour de leurs dix ans.

Au total, après avoir notamment écarté des faits prescrits, l’ordonnance de mise en accusation recense cinq victimes, dont deux s’étaient hier portées parties civiles.

Excommunié
en octobre 2009

Il apparaît, lors de l’enquête, que des membres de la famille ont été alertés, tout comme le mouvement religieux des Témoins de Jéhovah, dont faisait partie l’accusé ainsi qu’une grande partie de sa famille. Il semblerait qu’il ait d’abord été « pardonné à condition qu’il ne recommence plus », dixit un témoin direct puis, les actes de pédophilie ayant été réitérés, qu’il ait fait l’objet, en octobre 2009, d’une excommunication par le Collège des anciens (ensemble des anciens – les ministres du culte – qui constitue l’autorité spirituelle de la congrégation locale). À aucun moment, l’information n’a été transmise à la justice.

Cette absence de transmission des cas de pédophilie, afin de ne pas nuire à l’image du groupe, est un reproche régulièrement fait aux Témoins de Jéhovah, au même titre que leur refus des transfusions sanguines. Trois des responsables de l’église sont d’ailleurs convoqués devant la cour d’assises. « Ils ont été cités par le parquet et je m’en félicite, déclare l’avocat de la défense M e Arnaud Godreuil. Mon client ne nie pas sa part de responsabilité mais j’estime qu’il n’est pas le seul coupable. Certains sont complices par leur silence… »

L’accusé, un retraité des travaux publics, père de six enfants, n’a purgé dans cette affaire que deux mois de détention provisoire. Il a d’abord nié puis a fini par lâcher : « Quand on est dominé par Satan, on ne peut rien y faire. » Un expert psychiatrique relève qu’il n’a pas « intégré la gravité de son acte ».

source : Courrier picard
05/06/2013
Par TONY POULAIN
COUR D’ASSISES
http://www.courrier-picard.fr/region/quand-on-est-domine-par-satan-ia0b0n100402

Courrier picard
07/06/2013

À Péronne, le silence aussi a été coupable

Par TONY POULAIN

Le Péronnais de 77 ans qui comparaît depuis mercredi pour des attouchements et des viols a contemplé hier un champ de ruines : sa famille, sacro-sainte famille que ce Témoin de Jéhovah voulait tant préserver qu’il a imposé le silence aux victimes.

Face à lui : trois petites-filles qui pleurent ; dans la salle, d’autres enfants, devenues femmes, en larmes elles aussi, qui n’ont pas osé se constituer parties civiles ; ses propres enfants, enfin, qui regrettent amèrement de ne pas avoir porté plainte en 1991 ou 1996… et vagissent. C’est bien simple, même Pascal Duriez, avocat des victimes, une midinette ni au physique, ni au moral, se reconvertit en commercial de chez Kleenex® et murmure : « Vingt ans que je fais ce métier et je suis au bord de chialer. »

Au milieu de ce fleuve salé, une femme culpabilise davantage que les autres. À l’âge de 10 ans, en 1964, elle a été violée par son père, l’accusé du jour. Elle n’a rien dit à sa mère : « À 7 ou 8 ans, trois oncles m’avaient également fait des choses mais quand je l’avais dit à maman, elle m’avait répondu que je mentais. Si c’était pour encore me faire traiter de menteuse… »

Quand sa fille lui a révélé qu’au même âge, papi lui avait fait « des choses », elle n’a pas trouvé mieux que de saisir « nos tribunaux » : comprendre le Conseil des Anciens des Témoins de Jéhovah, qui a passé l’éponge moyennant la promesse de se tenir à carreau.

Et puis il y avait la grand-mère, qui craignait égoïstement d’être privée de ses petits-enfants « si ça se savait », et continue, aujourd’hui encore, à laisser le grand-père en compagnie de bambins. « Je ne pense pas qu’il recommencerait… », hasarde cette amatrice de grosses cotes.

« J’avais incité la famille à porter plainte », se souvient utilement un des « juges » de l’époque. L’avocate générale, Clémence Peyrou, bondit : « S’il n’y avait pas prescription, vous seriez dans le box aujourd’hui, parce que vous avez traité cette affaire à huis clos et que ça a recommencé. »

« Comment pouvions-nous vérifier qu’il ne recommencerait pas ? », se demande benoîtement celui qui fait office de ministre du culte à Péronne, depuis 1995. « Mais on ne vous le demandait pas ! s’époumone l’avocate générale. C’est le travail de la police, des gendarmes, des magistrats ! » Le pasteur vacille… « Ça arriverait aujourd’hui, c’est sûr, je ferais un signalement. »

Le verdict est attendu cet après-midi.

http://www.courrier-picard.fr/region/a-peronne-le-silence-aussi-a-ete-coupable-ia0b0n102717