« Gémeaux lunatique à l’ascendant Sagittaire aventureux », « cartomancienne et astrologue » ou encore « médium et énergéticien »… Adolescents et jeunes adultes troquent volontiers les intitulés de leurs réseaux sociaux contre des descriptions ésotériques et mystérieuses, accompagnées d’un smiley « boule de cristal » ou « signe du zodiaque ». Certains utilisateurs de TikTok et d’Instagram cèdent même à la frénésie de l’au-delà. Tirages de cartes « sans hashtag, seulement le destin », vidéos parodiques sur les « lions vs scorpions », essais de pendule en direct, ces publications suscitent de nombreux débats et réactions. Pour la génération Z, les sciences occultes sont-elles un moyen de se rassurer face à un avenir incertain ou une volonté de se singulariser, voire de mieux se connaître ?

Covid, écologie, guerres, les 12/24 ans sont les premiers à afficher leur anxiété et leurs engagements par des publications sur Internet. Parallèlement, les religions et les croyances, à commencer par l’occultisme, explosent sur les réseaux sociaux. « Dans la communauté LGBT comme dans le milieu féministe, c’est la base de se demander son signe astro, comme ses pronoms », s’esclaffe Ayoub, lycéen. L’adolescent, féru d’astrologie, a comme modèle Dersim, tiktokeur non binaire affichant plus de 2 millions d’abonnés et adepte des vidéos humoristiques de mise en situation des signes du zodiaque.

Discret, Ayoub évite de parler de sa passion dans sa famille, très pieuse. « Mes deux grands frères font la loi et sont très croyants. Pour eux, c’est mal de parler d’astrologie ou de voyance. Ma mère, elle, m’a déjà laissé utiliser sa carte pour payer une médium de TikTok quand je voulais avoir un message de ma grand-mère qui est décédée durant la crise sanitaire », se confie Ayoub. Si l’astrologie lui a permis de mieux comprendre son tempérament, le jeune homme explique que ce sont les séances de tirages de cartes et de voyance qui l’ont aidé à vaincre ses angoisses. « Au début, ça me faisait rire quand je voyais que j’étais une vraie “balance”, quelles que soient les situations. Mais quand je suis tombé sur des tiktoks sans aucun référencement qui décrivaient dans les tirages de cartes exactement ma situation et mes problèmes, j’ai voulu en savoir plus. »

 

La médium m’a délivré un très beau message de ma mamie [décédée].Ayoub, lycéen

Blessé par le départ de son père, la crise sanitaire et la difficulté à accepter son homosexualité, Ayoub a sollicité une « coach astro » et une médium l’année dernière. D’une analyse de son thème astral et d’une séance de spiritisme à distance avec sa grand-mère défunte Ayoub dit être ressorti grandi et ne ressent pas pour le moment le besoin de recommencer. « La première m’a aidé à mieux me connaître, comme mes réactions en amour ou avec ma famille, et la seconde m’a délivré un très beau message de ma mamie avec des détails qu’elle ne pouvait pas connaître seule », insiste le jeune homme.

« Lives voyance », énergéticienne et médium

Elsa, 22 ans, a elle aussi traversé une période difficile de remise en question de son avenir. Elle confie que les vidéos TikTok qui apparaissaient dans ses « pour toi » lorsqu’elle était au cœur du cyclone l’ont aidée à remonter la pente. « Je me sentais privilégiée quand je tombais sur ces vidéos. Alors que je n’étais pas en forme, je me retrouvais étrangement dans les tirages d’un médium de TikTok. À chaque fois, il tapait juste et les cartes correspondaient de manière significative à mes émotions, mes ressentis. Quand je les envoyais à une amie, elle identifiait ma situation, mais cela ne lui parlait pas à elle », se justifie la jeune femme.

Rapidement agacée par les « lives voyance » où chacune de ses questions restait sans réponse face au flot de messages instantanés, Elsa a préféré consulter une « énergéticienne et médium » qui l’a connectée à ses ancêtres. « Mon énergéticienne m’a prouvé par des faits avérés et des détails qu’elle peut se connecter aux énergies et chakras, ce qui m’a beaucoup aidée et a renforcé mes croyances », soutient Elsa, qui a vaincu depuis ses crises d’angoisse.

Un « effet de génération »

Interrogée, la sociologue des sciences et des croyances et chercheuse en psychologie sociale et cognitive au CNRS Romy Sauvayre estime qu’un lien se fait de plus en plus entre astrologie et psychologie. « Historiquement, on s’est toujours tourné vers l’astrologie pour ses prédictions et sa capacité supposée (mais non prouvée) de dévoiler l’avenir. Plus récemment, un autre usage est apparu : celui de découvrir qui l’on est à partir du thème astral calculé par les astrologues. L’astrologie entre alors en concurrence avec la psychologie », explique Romy Sauvayre.

Pour la sociologue, l’engouement pour l’astrologie est fluctuant et revient au goût du jour grâce aux réseaux sociaux et aux applications mobiles, ce qu’elle qualifie d’« effet de génération ». « On adhère à l’astrologie pour deux raisons : soit on souhaite connaître son avenir et réduire l’incertitude qui pèse sur nous. Sachant que nous sommes dans une période bousculée par une pandémie, une guerre et des problèmes économiques, cette question se pose pour toutes les générations. Soit on souhaite découvrir qui on est, ou savoir comment nouer des relations amicales ou amoureuses. Cette seconde motivation trouve un écho notamment chez les jeunes générations puisque c’est avec l’expérience que l’on apprend à se connaître. Là, l’astrologie vous promet d’accéder plus rapidement à cette connaissance de vous et des autres », soutient Romy Sauvayre.

Inès a 19 ans. Cette étudiante au profil scientifique reconnaît être la première surprise d’être devenue une adepte des sciences occultes. Pourtant, à l’instar d’Inès, 70 % des jeunes âgés de 18 à 24 ans croient aux parasciences. Mais combien sont-ils à être persuadés d’avoir un « don » ? « Je suis kabyle, j’ai toujours cru aux énergies, au karma, au mauvais œil, c’est dans la culture arabe. Et c’est petit à petit devenu ma croyance. J’ai toujours eu beaucoup d’intuition, un peu comme des ressentis concernant mes proches ou des inconnus, et je me suis dit que ça devait venir de quelque part », déclare Inès.

 

Je ne me considère pas comme une sorcière, mais j’estime qu’on est tous reliés par des énergies et qu’on peut apprendre à les contrôler.Inès, étudiante

Grâce aux « witchtoks », ces vidéos TikTok axées sur la magie, Inès découvre le monde de la cartomancie, des rééquilibrages énergétiques, pierres et autres pendules, et réussit à « couper le feu » l’été dernier sur la brûlure d’une amie. « Je ne me considère pas comme une sorcière, mais j’estime qu’on est tous reliés par des énergies et qu’on peut apprendre à les contrôler », affirme l’étudiante.

C’est aussi le cas de S Do, tiktokeuse et médium. La jeune femme, arrivée sur le réseau social afin de réussir dans la musique, a finalement percé comme médium. Grâce à des vidéos de tirages de cartes qui ont toutes rencontré un franc succès, S Do a depuis pu se consacrer uniquement à ses dons et déménager au Mexique, un « vortex énergétique », comme elle le définit. « Mes vidéos de tirages de cartes ont rapidement explosé et des gens me demandaient sans cesse des consultations. Je ne savais même pas comment savoir si je visais juste au départ ! J’avais simplement étudié l’algorithme de TikTok pour poster mes vidéos », se remémore S Do. Rapidement, la médium s’est éloignée de la cartomancie pour se tourner vers le « coaching de vie », qu’elle estime « plus profond pour aider énergétiquement » ses patients sur le long terme.

Gare à la manipulation

Pour Romy Sauvayre, le danger se situe dans le degré d’adhésion que nourrissent les adeptes vis-à-vis de leurs croyances : « Imaginons que, à la suite de la lecture d’un horoscope, d’un thème astral ou d’une séance chez un astrologue, vous décidiez de procéder à des changements radicaux dans votre vie, comme de démissionner de votre emploi, de vous éloigner de votre cercle familial ou d’arrêter votre traitement médicamenteux. Vous pourriez également être en contact avec des croyances plus radicales qui vous distancieraient encore plus de votre quotidien. Cela agirait comme une porte vers des dimensions attrayantes, mais irréelles », met en garde la chercheuse. Un autre exemple : annoncer que « Mercure rétrograde » peut justifier, voire accentuer l’anxiété d’une personne durant une période de l’année.

Inès, lucide, évoque d’elle-même le fameux « effet Barnum », qui incite une personne à croire qu’une description ou prédiction lui est destinée. « Il y a beaucoup d’arnaques sur TikTok et Instagram. La plupart des soi-disant médiums interprètent toujours la même chose : “Tu vas avoir de ses nouvelles, ça sera l’amour fou.” Et hop, il suffit d’un like sur une photo Instagram et on y croit ! Du côté des mauvaises nouvelles, on nous dit toujours qu’on a vécu des choses difficiles, mais comme tout le monde finalement », s’agace Inès. L’étudiante a entrepris de se tirer les cartes afin d’obtenir des réponses et de se rassurer, mais le verdict devenait de plus en plus flou. « Quand je faisais à mes amis leurs thèmes astraux, certains voyaient le côté “infidèle” des Gémeaux comme une excuse et une justification au fait de tromper leurs meufs ! C’est pour ça qu’il faut toujours prendre conscience que, quel que soit le message que nous délivrent les énergies, le libre arbitre fera le reste. »

 

Nous ne sommes pas là pour sauver les gens.S Do, médium sur TikTok

Des propos corroborés par S Do, qui souligne elle aussi le danger de certains « faux médiums » : « Il y a des gens qui manipulent, parfois sans le savoir, par ignorance, et qui buzzent en disant n’importe quoi. À part informer, on ne peut rien faire, nous ne sommes pas là pour sauver les gens, on crée du contenu et, au-delà du message, mes abonnés regardent mes vidéos pour le divertissement. » La médium soutient que l’« effet Barnum » existe, mais qu’il peut être bénéfique, car la démarche d’illusion « permet de croire en du positif plutôt que de se lamenter sur son sort. »

Si S Do est transparente et raconte gagner, du haut de ses 25 ans, entre 5 000 et 6 000 euros par mois grâce à ses consultations à distance, croire aux sciences occultes peut coûter cher. « Mon thème astral a coûté 20 euros et la séance de trente minutes de connexion avec ma grand-mère un peu moins de 70. Par contre, quand j’additionne tous les dons que j’ai faits dans des lives TikTok de tirages, je dois atteindre les 200 euros. Ça va vite de cliquer sur les cadeaux en ligne », avoue Ayoub, qui ponctionne sur son argent de poche et ses enveloppes de Noël. Inès, de son côté, a payé une trentaine d’euros sa formation aux thèmes astraux à une coach sur Instagram. « Si on ajoute mes différents oracles et deux séances chez un chaman, je dois être à 300 euros environ. Les cours particuliers que je donne à côté de mes études m’ont permis de payer largement, c’est de l’investissement sur le long terme. »

 

J’ai suivi une quinzaine de séances à environ 75 euros.Elsa, à propos de sa chamane

Elsa, plus précaire, a quant à elle dû faire un choix pour favoriser sa « santé mentale », comme elle le précise. Si aucun psychologue, médecin ou psychiatre n’a pu l’aider, sa chamane s’est avérée salvatrice, malgré son prix. « J’ai suivi une quinzaine de séances à environ 75 euros. Mon énergéticienne est très compréhensive et peut adapter son prix si c’est trop compliqué pour moi parfois. Mais je préfère prioriser mon bien-être plutôt que de mettre ça dans autre chose qui ne m’aidera pas à aller mieux », soutient Elsa, dont la chamane l’a récemment époustouflée grâce à l’analyse de sa personnalité tirée de sa manière de rédiger des lettres.

Depuis peu, l’engouement de l’astrologie concerne maintenant les animaux de compagnie : leur tempérament joueur ou agressif serait justifié par leur signe astrologique.

source :

Le Point

Par Nora Bussigny

le 20/08/2022

https://www.lepoint.fr/invites-du-point/quand-tiktok-se-transforme-en-boule-de-cristal-20-08-2022-2486819_420.php