Laurence et Estelle sont deux mères de familles qui ont dû signaler leur enfant endoctriné auprès de la plateforme téléphonique mise en place depuis quelques mois. Elles racontent au Figaro leurs expériences, très différentes.

Depuis la mise en place du numéro vert anti-djihad (0 800 005 696) en avril dernier, une dizaine de réservistes répondent aux familles confrontées à l’endoctrinement d’un de leurs proches. Au bout du fil, ils essaient de cerner la situation le plus rapidement possible. Formés aux problématiques de l’Islam radical, ces fonctionnaires posent toujours les mêmes questions: «Est-ce que votre enfant s’est coupé de ses amis?», «A-t-il encore des loisirs?», «Est-il en échec scolaire?» ou encore: «Comment se comporte-t-il en famille?». Autant de questions qui permettent de savoir si le jeune s’est vraiment radicalisé. «Le plus difficile est de faire la différence entre crise d’adolescence, conversion religieuse et endoctrinement», explique Dounia Bouzar, fondatrice du Centre de prévention contre les dérives sectaires liées à l’Islam (CPDSI), qui a formé six des agents qui travaillent sur la plateforme téléphonique.

En avril dernier, Laurence* a été une des premières à appeler le numéro vert. Cette maman de 46 ans était inquiète pour sa fille de 17 ans qui s’était mise à prier «avec sa tenue de fantôme». L’entretien téléphonique avait duré 40 minutes. «La personne au bout du fil était très bien», se souvient cette mère de famille qui vit dans la région de Grenoble. «Elle m’a posé des questions ciblées tout en essayant de me rassurer».

Filature et mise sur écoute

Une fois le «diagnostic» posé, l’enfant est fiché et le personnel du numéro vert transmet le signalement à la préfecture concernée. Premier réflexe pour les parents: empêcher leur enfant de partir. «Le soir-même, la préfecture d’Isère nous contactait et le lendemain, nous remplissions à la gendarmerie un formulaire d’interdiction de sortie de territoire», raconte encore Laurence. Rapidement, une enquête est ouverte pour pouvoir identifier les personnes qui harcèlent l’adolescente par SMS. «Pour ne pas compromettre le travail des policiers, on ne devait pas parler radicalisation, ni endoctrinement avec notre fille», explique cette mère de famille.

Parallèlement, une équipe de deux policiers est chargée de suivre sa fille de 17 ans en filature pendant près de trois mois. «Je leur donnais son emploi du temps et ils la surveillaient tous les jours», raconte Laurence qui pense que sa fille a aussi été mise sur écoute et que son compte Facebook a été espionné à distance. Au mois de juin, l’adolescente est convoquée chez le juge des enfants qui mandate une éducatrice. «Mais aucun suivi psychologique n’était prévu», regrette Laurence, qui a dû faire appel à un psychiatre pour aider sa fille. «Même si ça va mieux aujourd’hui», les policiers continuent d’appeler les parents pour prendre des nouvelles. «Ils ont fait un travail formidable, je pense qu’on a eu beaucoup de chance», insiste-t-elle.

«Et après, plus rien»

Avec son mari, Estelle* a bien tenté d’appeler le numéro vert en mai dernier. Sa fille de 17 ans s’était radicalisée, elle voulait le signaler. «C’était un dimanche soir, la plateforme était fermée», raconte cette mère de 40 ans qui vit en Haute-Savoie. «On a donc envoyé un mail à la place et dès le lendemain, deux policiers du département nous ont appellés». Deux jours plus tard, la préfecture leur accorde l’interdiction de sortie de territoire pour leur fille. «Et après, plus rien», se souvient Estelle. Si les policiers l’ont bien appelée tous les quinze jours pour prendre des nouvelles, «il n’y a eu aucun suivi, pas d’enquête, pas de surveillance», déplore cette mère qui a également deux petits garçons. «On ne savait pas si notre fille se rendait bien à l’école, c’était l’angoisse totale».

«On avait peur qu’elle parte, on lui avait confisqué sa carte d’identité», poursuit Estelle. «On ne vivait plus. J’avais perdu 6 kilos. La nuit, le moindre bruit de verrou ou de grincement de porte nous réveillait». Désespérée, la famille s’est tournée vers le centre de Dounia Bouzar. «C’est elle qui nous a soutenu psychologiquement, pas le numéro vert», s’agace cette maman. En contact avec d’autres familles dans le même cas, elle a réalisé que des parents avaient été mieux accompagnés dans d’autres régions. «Il faut croire que la prise en charge dépend de l’endroit où vous vivez», soupire-t-elle. Depuis que sa fille «va mieux», Estelle apporte activement son soutien à d’autres familles. «J’ai souvent des mamans au téléphone, je les renseigne, les rassure pour qu’elles ne se sentent pas seules comme nous l’avons été».

Selon le dernier bilan porté à la connaissance du Figaro , la plateforme a permis de signaler 387 profils inquiétants sur l’ensemble du territoire: 283 signalements ont été révélés grâce au numéro vert, les autres ont été transmis par Internet.

*Les prénoms ont été changés.

source : http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2014/10/28/01016-20141028ARTFIG00248-que-se-passe-t-il-apres-un-signalement-au-numero-vert-antidjihad.php

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Caroline Piquet

journaliste

Sur Twitter : @CaroPiquet