Sœurs de sang et de secte

En 1991, Michèle et Lucienne de Bouvier de Cachard, poursuivies par leur fille et nièce, se lançaient dans un bras de fer judiciaire avec la Scientologie. Aujourd’hui, le combat continue avec l’association Secticide, qui a 20 ans.
«Michèle, laisse-moi finir, je vais perdre le fil de ma pensée », s’agace Lucienne. Michèle de Bouvier de Cachard s’interrompt et laisse sa sœur cadette aller au bout de son raisonnement. Elles se connaissent sur le bout des doigts. Elles vivent sous le même toit dans un quartier paisible de Verdun et partagent depuis vingt ans le même combat : protéger les familles contre les sectes. « C’est le sens de notre vie », confesse Lucienne, 70 ans, professeur de lettres à la retraite. Des deux sœurs que l’on pourrait croire jumelles, elle est la plus pondérée. Michèle, 72 ans, ancienne infirmière anesthésiste, est « la volcanique », celle qui met le feu aux audiences des tribunaux saisis d’affaires de manipulation mentale. « Les responsables de sectes nous connaissent et nous redoutent », assure Michèle, que l’on croit sans peine.
Michèle et Lucienne, par contre, n’ont peur de rien. Le nom de « Secticide » créé en 1994, figure sur la boîte aux lettres de la maison. Elles sont le visage et l’âme de leur association. Elles donnent leur temps, leur adresse, leur argent et leur numéro de téléphone. Elles n’ont installé aucun filtre entre leur vie et leur combat pourtant périlleux. « Pendant de longues années, notre téléphone sonnait plusieurs fois par nuit et c’était le silence au bout du fil », s’amuse Michèle, pas intimidée pour un sou. Quand la question de l’origine de cet engagement total est posée, Lucienne évoque une tradition familiale de « défense de la liberté de penser ». Quand on aborde son histoire personnelle, qui a défrayé la chronique, elle se cabre et perd son sourire. « Rien à voir, aucun lien avec notre association, Secticide a son existence propre », évacue-t-elle.
Histoire personnelle
Les sœurs de Bouvier de Cachard ont fait une entrée tonitruante dans l’univers sectaire en 1991. Cette année-là, Michèle ne reconnaît plus sa fille Anne-Catherine, brillante élève à Normale sup. Elle y voit la marque de son mari, qui serait un militant zélé de la Scientologie. La mère inquiète et sa sœur inséparable auraient organisé un enlèvement et une séquestration pour soustraire la jeune femme à l’influence néfaste. La guerre de tranchées judiciaire va durer de longues années pour finir, en 1999, sur une extinction de l’action publique contre Lucienne et Michèle, qui ont gagné leur surnom de « sœurs anti-sectes ».
Depuis, elles n’ont jamais faibli.
Les sous-sols de la maison familiale se sont remplis de cartons au rythme des dossiers suivis. Aucune affaire ne leur échappe. Chaque jour, Lucienne ou Michèle collectent les témoignages de familles égarées. Cette épouse qui voit son mari négliger ses enfants et signer de gros chèques pour des stages improbables ou encore ces parents, impuissants face à la dérive de leur fille brillante qui quitte tout pour suivre en Inde une guérisseuse aux allures de prêtresse… Les sœurs de Bouvier de Cachard écoutent, conseillent, orientent, informent, consolent avec une empathie indéfectible et une disponibilité sans faille. Jusque quand un tel dévouement ? « « Jusqu’à la mort », sourit Lucienne. Michèle approuve.

Source : Le Républicain Lorrain, 19 octobre 2014