Illégales Académies

Malgré les engagements répétés du ministère de l’Éducation à régler la situation, la plupart des adolescents juifs hassidiques sont toujours scolarisés dans un réseau d’éducation parallèle qui contrevient à la loi québécoise sur l’instruction publique. Pourquoi ?

Récapitulons : les juifs hassidiques sont convaincus que les garçons doivent suivre un enseignement exclusivement religieux. Pas de français, biologie, géographie, éducation physique ou chimie. Ça, dans la plupart des communautés, c’est bon pour les filles qui doivent avoir un minimum de notions pour tenir maison. Pour les garçons : tous ces cours seraient une perte d’un temps qu’ils n’ont pas. Leurs études sont rigoureuses et exigeantes. Comprendre les voix divines demande du temps. C’est pour cette raison que la majorité de leurs écoles secondaires pour garçons n’ont pas le permis du ministère de l’Éducation; ils se sont bien gardés de le demander. On suppose que cette situation était connue des autorités ministérielles depuis de nombreuses années. Certaines de ces écoles existaient dès les années 50, bien des années avant que nos fonctionnaires ne s’intéressent à l’éducation. Qui plus est, le ministère de l’Éducation fait chaque année un « répertoire des établissements privés, titulaire d’un permis » pour l’année scolaire en cours. Dans ce répertoire, les écoles primaires pour garçons de ces communautés sont le plus souvent inscrites, celle des filles aussi, mais étonnement, au secondaire les garçons, dans la majorité des cas, disparaissent du radar. Étrange non? Personne ne s’était posé de questions sur la disparition subite de ces enfants des listes du ministère?

Il a fallu attendre l’automne 2006 pour que cette situation connue des hauts fonctionnaires de la direction de l’enseignement privé, le soit aussi de la population. Le ministre de l’époque Jean-Marc Fournier s’est fait formel. Tous les enfants du Québec doivent se soumettre à la loi sur l’instruction publique et le ministre s’était engagé à imposer aux communautés hassidiques une scolarisation légale. À l’été 2008, un protocole d’entente est signé entre le ministère et trois des communautés hassidiques récalcitrantes soit les Belz, les Lubavitchs et les Skvers. 3 groupes hassidiques. Trois ans et demi plus tard, l’affaire est loin d’être réglée et ce n’est pas demain la veille que les adolescents hassidiques auront droit ou devront se soumettre à une éducation réglementaire.

Le premier problème est mathématique. À l’époque où les fonctionnaires ont rédigé ce rapport savaient-ils qu’il y a au moins huit communautés juives hassidiques au Québec ? Nous avons la chance d’avoir chez nous un des plus grand spécialiste du monde hassidique. Julien Bauer, professeur à l’U.Q.A.M. et auteur d’un «Que sais-je? » sur les Juifs hassidiques. Le livre qui explique tout cela est en vente dans toutes les librairies et disponible dans toutes nos bibliothèques depuis 1994. Donc, selon Bauer en 1994, il y avait au moins huit groupes hassidiques au Québec. Huit moins trois, ça donne cinq… sur ce nombre, certaines sont très petits, voir marginaux. On comprend facilement que des fonctionnaires installés à Québec et qui n’ont jamais vu un hassidique de leur vie puissent ne pas avoir le réflexe d’aller inspecter leurs écoles. Mais, comment se fait-il qu’on ait échappé jusqu’à tout récemment l’une des plus grosses et des plus connues, la communauté Tosh installée à Boisbriand? Trois mille personnes qui n’utilisent pas de contraceptions et qui font des enfants comme on en faisait au Québec à une certaine époque. 5-6-7-8 enfants par famille. Les inspecteurs viennent à peine (septembre 2009) de découvrir les deux écoles «parallèles» pour garçons qui sont pourtant dans le bottin téléphonique. Les Tosh sont connus. C’est eux qui manifestent bruyamment leur antisionisme aux côtés des Palestiniens. Un groupe visible donc : trois mille personnes vêtues à la mode du 18e siècle en Europe de l’Est à Boisbriand en 2009 ne peuvent pas passer inaperçues. Comment se fait-il que personne ne se soit posé avant des questions sur la scolarisation de leurs enfants? Mais bon, quelqu’un a fini par allumer et en réponse à la visite des lieux par des inspecteurs, une mise en demeure a été envoyée aux écoles. Or, le processus juridique a été interrompu et le dossier a été transféré au cabinet de la ministre.

Deuxième groupe archiconnu : les Satmars, ceux des fenêtres givrées du Y.M.C.A de l’avenue du Parc dans le Mile-End. Ce groupe scolarise ses garçons dans deux écoles sans permis. Il faut dire que la première école est très discrète et difficile à trouver. Les trois autobus jaunes qui attendent à 15 h devant cet édifice aux allures on ne peut plus scolaires sur la rue St-Urbain, en plein cœur de la ville, rendent sûrement la tâche très difficile de débusquer cet endroit caché ! La même communauté détient une autre école dans une bâtisse industrielle de ville Mont-Royal dans l’illégalité complète. Depuis la fameuse entente, ces écoles ont finalement été inspectées et le rapport des commissaires 2007-2008 est sans ambiguïté : bâtisse inadéquate, enseignement non conforme, enseignants non qualifiés. Ils ont reçu des avertissements du ministère, mais ont refusé de se conformer. La communauté prétend aussi qu’au secondaire tous les garçons quittent le Québec… donc pas besoin de demander un permis! Vraiment? Le dossier devait être transféré au procureur de la couronne, il a plutôt été transféré au cabinet de la ministre Courchesne.

Quant aux écoles de la communauté Skver, qui ont signé l’entente avec le ministère, l’école secondaire est toujours illégale. L’institution allègue qu’elle ne donne plus de cours aux adolescents. Ah bon? Où sont-ils? Le dossier est lui aussi au cabinet. La seule communauté en voie de se conformer semble être la communauté Belz. En attendant, plusieurs centaines de jeunes hommes continuent d’évoluer dans un système qui échappe complètement aux lois québécoises.

Bien sûr, la situation est complexe. Délicate. Difficile. La confrontation des croyances, traditions et valeurs des communautés juives ultra orthodoxe constitue une patate chaude et compliquée dans les mains du ministère. Mais une question se pose : et si c’était des musulmans? Ou encore des catholiques orthodoxes qui retiraient sciemment leurs enfants du système scolaire, aurait-on la même attitude? A-t-on décidé de laisser faire et d’accommoder les hassidiques? Si oui, on aimerait bien le savoir, mais le ministère n’a pas daigné répondre à nos questions. Peut-être, parce que, si c’est effectivement le cas, d’autres groupes religieux réclameront le droit de scolariser leurs enfants selon leurs croyances. Et ça, c’est une boîte de pandore académique… qu’on ne veut surtout pas ouvrir sur la place publique.

Par Émilie Dubreuil, Chroniqueuse, 3 décembre 2009