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Publié le 21 mars 2010-Le Soleil

Marc Allard

(Québec) Depuis qu’il est sorti de Narconon, David Edgar Love dort à peine. Il a des flash-backs des expériences traumatisantes qu’il dit avoir vécues dans ce centre de désintoxication scientologue de Trois-Rivières et, parfois, il devient tellement angoissé qu’il en perd le souffle.

En novembre, un médecin de la Cité-de-la-Santé de Laval lui a diagnostiqué un syndrome de stress post-traumatique. M. Love consulte maintenant un psychiatre dans un hôpital montréalais qui lui a été recommandé par Mike Kropveld, le directeur d’Info-Secte, et il essaie de ne pas avoir l’air trop somnolent à son nouveau travail.

Attablé dans un petit restaurant d’un coin morose du quartier Lachine, à Montréal, où il s’est trouvé un deux pièces et demi, M. Love, 57 ans, raconte son expérience chez Narconon, où il a été client de décembre 2008 à mai 2009, puis employé jusqu’à la fin octobre.

Révélé pour la première fois dans Le Soleil, son témoignage sur le centre de désintoxication québécois rattaché à l’Église de scientologie s’ajoute à une série de dénonciations qui ont secoué l’organisation religieuse un peu partout dans le monde, ces derniers mois.

À côté de lui, David Love a posé une mallette remplie de documents sur lesquels il s’est appuyé pour déposer une plainte à la Commission des droits de la personne et une autre à la Commission des normes du travail, qui enquêtent sur ses allégations.

Durant les 11 mois qu’il a passés chez Narconon, M. Love affirme avoir été victime de harcèlement, de menaces et de plusieurs autres violations de ses droits, en plus de ne pas avoir reçu une partie importante de son salaire.

Dans une lettre datée du 21 décembre 2009, le cabinet d’avocats qui représente Narconon, Heenan Blakie, a proposé à David Love 2550, 29 $, à condition qu’il s’engage entre autres à ne pas livrer son histoire aux médias. M. Love a décliné cette offre.

«Ils ne me feront pas taire, dit-il. J’ai des droits et je compte les faire respecter.»

Le Soleil a joint au téléphone le directeur de Narconon Trois-Rivières, Marc Bernard, qui a refusé de donner sa version des faits. «Moi, je n’ai rien à dire, je n’ai pas de commentaires», a-t-il dit. «Aucun commentaire.»

{{Omerta}}

Venu de la Colombie-Britannique, David Love est arrivé chez Narconon peu avant le temps des Fêtes, en 2008. Il était dépendant à la méthadone et à la cocaïne et avait décidé de suivre le programme de réhabilitation au centre de désintoxication de Trois-Rivières, où il connaissait un employé.

Durant les premières semaines de son traitement, M. Love dit avoir été surpris de l’omerta qui régnait chez Narconon à propos de la scientologie. Il se souvient d’avoir entendu une employée interrompre la discussion d’un groupe de clients dont il faisait partie en ordonnant : «Vous n’êtes pas autorisés à parler de scientologie pendant que vous êtes chez Narconon.»

L’employée lui aurait ensuite expliqué que Narconon voulait éviter le sujet pour ne pas effrayer les clients, leurs parents ou les «commanditaires», qui paient plus de 20 000 $ pour le traitement, suivi en majorité par des anglophones des États-Unis et du Canada anglais.

Sur son site Internet québécois, Narconon se présente comme un «programme à but non lucratif de réadaptation et de désintoxication» et se targue de compter 50 centres dans 21 pays. Il n’est mentionné nulle part que Narconon fait partie de l’Église de scientologie.

Pour Paul Schofield, qui a été membre de l’Église de scientologie pendant plus de 20 ans avant de devenir «superviseur de cas» aux centres Narconon de Sydney et de Melbourne, puis directeur de Narconon pour tout l’Australie, il ne fait aucun doute que Narconon est une antenne de l’Église de scientologie.

«Mis à part la partie sevrage, tous les cours que vous faites à Narconon sont presque identiques à ceux que vous faites à l’église, dit-il. Sauf que si vous les faites à l’église, ils vous coûtent seulement le quart ou le tiers du prix.»

Pendant qu’il était client chez Narconon, David Love dit avoir été forcé de mémoriser des extraits des livres de Ron L. Hubbard, l’auteur de science-fiction qui a fondé l’Église de scientologie et a écrit les huit livres sur lesquels le programme de Narconon est basé.

«Tout livre qui pourrait interférer avec ce processus d’altération de l’esprit et de lavage de cerveau est interdit et est confisqué», dit David Love.

En plus de lire les ouvrages de Hubbard, David Love devait aussi effectuer régulièrement les «exercices d’entraînement» prescrits par le grand maître de la scientologie.

Il se souvient de l’un d’eux, qui consistait à s’asseoir de longues heures en fixant un autre client sans dire un mot et sans bouger. Ou encore d’un exercice similaire durant lequel on lui demandait de ne pas réagir pendant que son vis-à-vis le bombardait d’insultes.

{{Purification extrême}}

Le quinquagénaire se rappelle aussi l’exercice du cendrier. «Je devais crier au cendrier : “lève-toi”, puis “assieds-toi”, jusqu’à ce qu’il obéisse tout seul, décrit-il. Mais comme je n’arrivais pas à trouver le bon ton, il fallait que je lève le cendrier moi-même, encore et encore.» Après tous ces exercices d’entraînement, dit M. Love, «je suis chanceux de ne pas être devenu fou».

Pour aider les toxicomanes à vaincre leur dépendance, Narconon exige également qu’ils s’astreignent à un régime intense de vitamines et de sauna que les scientologues appellent le «programme de purification», offert aussi à l’Église de scientologie de Québec au coût de 2000 $.

Pendant deux semaines, David Love affirme qu’il a dû passer près de quatre heures et demie par jour dans un sauna et avaler une grande quantité de vitamines et de minéraux chaque jour. Il se souvient d’avoir eu entre autres à prendre beaucoup de niacine, une vitamine (B3) utilisée pour réduire le taux de cholestérol.

Dans une entrevue accordée au Journal de Trois-Rivières le 17 juillet 2004 et publiée sur le site Internet du centre de désintoxication, le directeur de Narconon Trois-Rivières, Marc Bernard, décrivait les vertus de la niacine pour expulser les drogues des cellules adipeuses.

«Les toxines restent emprisonnées dans les tissus graisseux plusieurs années, expliquait M. Bernard. Lorsqu’elles sont libérées, c’est ce que les toxicomanes appellent flash-back.»

Interrogée sur cette pratique, la Dre Lise Archibald, du Centre de réadaptation Ubald-Villeneuve, à Québec, a indiqué au Soleil qu’elle n’avait jamais rien lu sur les bénéfices de la niacine pour les toxicomanes.

Spécialiste en toxicologie à l’Institut national de santé publique du Québec, la pharmacienne Lyse Lefebvre non plus n’a jamais entendu dire que la niacine pouvait aider à lutter contre la toxicomanie. Elle indique toutefois qu’une consommation trop élevée de vitamine B3 peut engendrer des troubles digestifs, aggraver l’asthme, entraîner une certaine forme de crise d’arthrite et occasionner des rougeurs et des démangeaisons.

Santé Canada recommande de prendre au maximum 500 mg de niacine par jour. Les clients de Narconon et les scientologues qui suivent «le programme de purification» en avalent jusqu’à 5000 mg par jour, soutient David Love.

Ce régime de sauna et de vitamine était loin d’être agréable pour les clients de Narconon, se rappelle M. Love. «C’était horrible. Les gens étaient malades, vomissaient et avaient la diarrhée.»

{{«Comme un quartier militaire»}}

Pendant sa réhabilitation, M. Love a voulu quitter le centre de désintoxication trifluvien pour retourner auprès de sa famille en Colombie-Britannique. Mais il affirme que Narconon a refusé de lui donner son portefeuille et ses pièces d’identité alors qu’il leur en avait fait la demande plus d’une fois.

Sauf dans des cas particuliers, la loi québécoise interdit de forcer un toxicomane à poursuivre son traitement, qui s’effectue sur une base volontaire.

M. Love se rappelle qu’au lieu de lui remettre ses papiers, on l’a plutôt envoyé chez «l’officier d’éthique» qui l’a incité à rester plus longtemps.

«Plusieurs étudiants veulent et essaient de partir, dit-il. Certains arrivent même à partir, en marchant le long de la route, mais l’officier d’éthique est appelé, et une voiture est envoyée pour les embarquer et les ramener dans les bâtiments de Narconon.»

David Love dit qu’il n’a jamais vu un client se faire embarquer de force dans une voiture. Il affirme que Narconon appelle plutôt les parents d’un étudiant ou son commanditaire et les convaint de ne pas lui payer un billet d’autobus ou d’avion.

Au quotidien, poursuit M. Love, les employés de Narconon surveillent étroitement les allées et venues de leurs clients. «C’est comme un quartier militaire, dit-il. Il y a de la sécurité, ils ont des radios. Ils vous comptent à toutes les 20 minutes pour savoir où vous êtes.»

{{De clients à employés}}

M. Love n’est pas le seul client à avoir travaillé chez Narconon. Environ 40 % d’entre eux deviennent ensuite employés, indiquait en mai 2002 Devinder Luthra, alors président de Narconon Canada, lors d’une séance du comité spécial sur la consommation médicale de drogues ou médicaments à la Chambre des communes.

Quand il était employé, David Love a notamment été responsable de contacter des anciens clients de Narconon pour compiler des statistiques sur la réussite ou l’échec du programme. Il affirme avoir reçu des courriels de nombreux «anciens» qui avaient rechuté et avaient encore besoin d’aide, ce qui ne lui apparaissait pas représentatif du taux de réussite de 70 % dont Narconon se targue sur son site Internet.

M. Love dit avoir tenté à maintes reprises d’alerter ses supérieurs chez Narconon Trois-Rivières, qui auraient refusé de modifier leurs pratiques.

C’est à partir de ce moment que David Love dit avoir réalisé que Narconon était une «supercherie» au service de l’Église de scientologie. «Une fois que j’ai compris et que j’ai cru que c’était vrai», a-t-il écrit sur un forum d’Anonymous, un mouvement antiscientologie qui a pris naissance sur Internet. «Mes yeux se sont ouverts sur la réalité des mensonges auxquels j’avais succombé.»

Dès le jour où il a remis sa démission, le 3 novembre, M. Love dit avoir reçu des menaces de Sue Chubbs, la directrice de production de Narconon.

Document à l’appui, David Love nous montre qu’elle a entre autres inscrit sur sa page Facebook les mots Ennemi et Fair Game. Ce qui veut dire, dans le jargon de la scientologie, «qu’il peut être privé de propriété ou blessé par tout moyen et par tout scientologue».