Laval en décembre. Un sous-sol apparemment semblable aux autres. Des hommes et des femmes vêtus de blanc dansent devant une quarantaine de personnes au rythme des tam-tam enfiévrés. Petit à petit, les esprits s’échauffent. Ici, une femme entre en transe. Plus loin, un homme s’évanouit. Plus la soirée avance, plus les participants semblent possédés. Les chants redoublent d’ardeur. La musique aussi. Certains boivent du rhum. Il est tard. Les voisins dorment. Ils n’ont rien entendu.

Impossible de savoir combien de personnes pratiquent ainsi le vaudou à Montréal. Pour les Haïtiens, cette pratique ancestrale reste encore cachée parce qu’elle est mal perçue. Ce qui est certain, c’est que les Québécois se réclament de religions de plus en plus variées.

Par un beau dimanche d’octobre, des dizaines de familles en cravate, tulle et voilette de dentelle se pressent devant le centre de pneus Charland, dans la rue du même nom, dans le quartier Saint-Michel. Dans la salle surchauffée, 300 personnes chantent et lancent des «Amen!» tonitruants entre les colonnes de faux marbre, yeux fermés, bras tendus vers les lustres dorés.

«Vous devez marcher la tête haute, dit le pasteur invité. S’il devait y avoir des racistes, ce serait les chrétiens parce qu’ils sont supérieurs.»

À Verdun, les sikhs célèbrent à leur tour. Une nouvelle gurdawara (temple sikh) vient d’ouvrir dans une ancienne église anglicane. Les bancs ont été retirés. On prie assis par terre sur un épais tapis à longs poils. Un groupe musical interprète des chants sacrés pendant qu’un homme agite un drôle de plumeau. Jadis, l’objet servait à éloigner les mouches. Maintenant, il protège symboliquement les Saintes Écritures. Une odeur de curry flotte dans l’air. Après la cérémonie, tout le monde descendra pour manger et fraterniser. Au milieu de l’après-midi, tout le monde rentrera sagement chez soi.

«Toutes les communautés qui arrivent ont besoin d’un lieu de dialogue. C’est garanti par la liberté de religion et ça contribue à faire de Montréal une métropole vivante», affirme le religiologue Louis Rousseau, retraité de l’UQAM.

«Certains temples nous transportent au Sri Lanka, dit-il. D’autres lieux de prière sont assez dépouillés pour qu’on y tienne une réunion syndicale.»

Du lieu discret au minaret

Le nombre de lieux de culte a beau avoir explosé depuis 20 ans, plusieurs Montréalais ne s’en rendent pas compte. «Chaque endroit reste souterrain très longtemps. Il faut connaître son adresse ou savoir déchiffrer les petits caractères sur la porte. Dans les premiers temps, les communautés ne font pas de publicité», constate M. Rousseau.

Les premières rencontres ont lieu dans des sous-sols, des arrière-boutiques ou des immeubles désaffectés, perdus dans des zones industrielles. Parfois, plusieurs communautés partagent une ancienne église ou synagogue.

«Quand le nombre de fidèles augmente, l’Église désire être plus accessible. Plusieurs succursales bancaires ont ainsi été rachetées par toutes sortes de communautés différentes», expose Annick Germain, chercheuse au Centre urbanisation, culture et société de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS).

Exemple typique: celui de l’Église évangélique Restauracion. Après ses débuts dans un garage de Côte-des-Neiges, en 1993, la communauté a tour à tour investi un triplex, l’auditorium de la polyvalente Père-Marquette et une ancienne morgue.

L’an dernier, elle a acheté l’ancienne église catholique Saint-Louis-de-France, au coeur du Plateau-Mont-Royal. Depuis, toutes les statues ont disparu de l’imposante église. Les murs sont peints d’un blanc immaculé. À l’avant, les longs bancs de bois ont cédé la place à des chaises de bureau. Le spectacle se déroule m ainten»ant sur scène, où cinq jeunes femmes vêtues de tuniques en lamé dansent sans relâche. Dans la salle, les fidèles se balancent au rythme endiablé des guitares électriques et de la batterie.

Lorsque le pasteur parle, c’est le piano qui joue en sourdine.

À l’extérieur, des gaillards munis d’une oreillette accueillent les visiteurs. Ils sourient largement en ouvrant la porte. De la rue, plusieurs passants les trouvent toutefois intimidants. Sont-ils là pour protéger l’argent que donnent les fidèles chaque semaine?

Pas du tout, assure le pasteur Byron Quevedo. «On a tellement de portes et d’enfants dans l’église, c’est une grosse responsabilité. Les parents nous les confient pendant l’office.»

En plus d’offrir un service de garderie, le pasteur et ses collègues offrent du counseling familial et des «guérisons». «Ici, on est au service des gens, dit-il. Ma mentalité est la même que celle du magasin Sears: tout proposer sous le même toit.»

Chicanes de clôture

Lorsqu’un lieu de culte devient aussi imposant, souvent les voisins réagissent, constate la sociologue Annick Germain. «C’est quand une communauté commence à s’afficher et à revendiquer sa place qu’elle dérange», dit-elle.

Dans Outremont, les disputes entourant le bruit et le stationnement autour des synagogues hassidiques sont célèbres.

Au fil des ans, Dollard-des-Ormeaux a accueilli des groupes religieux très variés, mais cela ne s’est pas toujours fait sans heurt. Il y a quelques années, un temple sikh a ainsi abouti sous des fils à haute tension, dans un secteur en décrépitude.

Dans la foulée des attentats du 11 septembre 2001, plusieurs projets de mosquée ont carrément été refusés. Sinon, c’est la construction d’un minaret qui a choqué.

Dans La Petite-Patrie, une Église pentecôtiste congolaise s’est heurtée à une féroce opposition lorsqu’elle a voulu quitter une salle de restaurant pour acheter un local. Le manque de stationnement n’était qu’un prétexte, croit Annick Germain. L’arrivée d’immigrés visibles, «c’est sûr que ça heurte les valeurs, les sentiments des gens», a par exemple expliqué un conseiller municipal, cité dans un rapport que la chercheuse a remis à Patrimoine Canada.

Avec l’étalement urbain, la controverse atteint la banlieue, constate-t-elle. L’automne dernier, la Ville de Saint-Hyacinthe a par exemple décidé d’interdire non seulement les bars de danseuses et les services communautaires dans la zone commerciale du centre-ville, mais aussi les lieux de culte. Trois églises et un centre islamique venaient d’y ouvrir dans les dernières années.

«La réaction est plus vive dans les quartiers homogènes, moins exposés à d’autres cultures, analyse Mme Germain. Mais au fil des discussions, les gens concluent souvent qu’il vaut mieux avoir une mosquée qu’un bar à côté de chez soi.»

Intolérants, les Québécois? Le pasteur latino-américain Byron Quevedo ne le croit pas. «C’est un des peuples les plus ouverts d’esprit que je connaisse, dit-il. J’ai voyagé beaucoup en Europe et aux États-Unis, et ils sont plus racistes là-bas.»

Jocelyn Olivier, de l’Église Nouvelle Vie, ce n’est pas une question de race. «Dès qu’une église n’est pas catholique, les gens pensent qu’il s’agit d’une secte. Il y a des murs à faire tomber.»

Il suffit parfois de peu de chose. Quand les sikhs ont ouvert leur nouveau temple à Verdun, les voisins se sont braqués. Puis l’acceptation a fait place à la méfiance. «Au début, on avait peur qu’ils fassent un gros truc comme à LaSalle, confie Madeleine, résidante du quartier. Mais, finalement, ils sont assez discrets. En plus, ils ont repeint ce vieux poteau qui était tout rouillé.»

À Longueuil, les premières réticences ont tombé lors de la crise du verglas, quand l’Église Nouvelle Vie a ouvert un centre d’hébergement et distribué des tonnes de victuailles. «Les gens ont vu qu’on n’était pas des Martiens», dit M. Olivier.

À Montréal, certaines églises ethniques ouvrent leur garderie ou leur gymnase à tout le voisinage. Les chercheurs estiment que les Églises jouent à tout le moins un rôle vital pour l’intégration des immigrés en leur proposant toutes sortes de services parallèles.

«La plupart de mes fidèles arrivent d’autres pays et sont sans le sou, illustre le pasteur Byron Quevedo. Je leur montre comment réussir au Québec. Je les aide à prospérer et, si cela fonctionne, tout le monde en profite: eux, l’Église et toute la société.»

le 05 février 2011

Marie-Claude Malboeuf et Jean-Christophe Laurence
La Presse

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