Par Claire Chartier, publié le 24/11/2008 12:22 – mis à jour le 24/11/2008 17:57

{{Des hommes politiques, des responsables de différentes confessions religieuses et des journalistes français sont interrogés par téléphone, sous prétexte de sondage, sur leur perception des mormons. Une opération qui tombe à point pour l’Eglise de Jésus-Christ des Saints des Derniers jours, qui connaît de nombreux revers et peine à s’implanter en France…}}

“Bonjour, voulez-vous répondre à un questionnaire sur la perception des groupes religieux en France?” La voix au téléphone explique qu’elle appelle de Londres, qu’elle travaille pour un institut de sondage britannique, répondant au nom de Kudos Research. Un peu flou. Surtout que ledit institut effectue son enquête pour le compte d’une autre société de conseil en communication stratégique, américaine, celle-là, ayant pignon sur rue à Washington, Apco insight. Le commanditaire véritable du sondage? Impossible à savoir, la voix du téléphone jurant ne détenir aucune information à ce sujet. Du moins comprend-on, à force d’insistance, que l’enquête a choisi pour cible -outre des journalistes- des hommes politiques et des responsables de différentes confessions religieuses, invités à répondre “de façon anonyme”. Il va donc falloir en passer par le questionnaire pour lever le lièvre. “D’après vous, les groupes suivants doivent-ils être considérés comme des religions ou des sectes?” Le sondé a le choix entre les catholiques, les calvinistes, les mormons, les scientologues…

Très vite -tiens donc!- il n’est plus question que des mormons. “Que pensez-vous de l’Eglise de Jésus-Christ des Saints des Derniers jours, quelles sont ses valeurs?” “Quelle appellation vous plaît le plus, entre Eglise mormone et Eglise de Jésus-Christ des Saints des Derniers jours”? “Que pensez-vous du fait qu’il y a 33 000 mormons en France?” Les demandes foisonnent, de plus en plus précises, du genre: “Que pensez-vous de leur volonté d’implanter un temple en France? De leur désir d’être reconnue comme une religion dans l’Hexagone?” “Quel problème public l’Eglise mormone pose-t-elle, à votre avis?”

Cerise sur le gâteau, vous êtes finalement invités à cliquer sur Internet, où une page dactylographiée vous attend, reprenant tous les griefs habituellement invoqués contre ladite Eglise- fondamentalisme, secret, polygamie, racisme, misogynie. Sous chaque grief, quelques phrases d’argumentaire pro-mormon livrent la contre-offensive. Vous êtes ensuite convié à citer les arguments que vous avez jugé les plus convaincants. Bref, un bon moyen de faire travailler les journalistes à l’oeil et sans en avoir l’air. Ce ne sont plus des ficelles, mais des câbles!

La société Apco Insight -que nous avons tenté de joindre, sans succès (mais qui a répondu après coup: lire notre article) – ne se revendique pas de l’Eglise de Jésus-Christ des Saints des Derniers jours et les mormons n’apparaissent pas nommément dans cette opération de lobbying, classique aux Etats-Unis. Toutefois, elle ne peut que tirer bénéfice de ladite enquête. L’Eglise, née en 1830 aux Etats-Unis, a connu de nombreux revers ces derniers mois. Au Texas, une secte dissidente du mouvement, qui pratiquait la polygamie et le viol sur mineures en son sein, a été dissoute après une descente de police dans le ranch qu’occupait la communauté. La nouvelle est évidemment parvenue jusqu’en France, où les mormons, détenteurs de plusieurs chapelles sur le territoire, peinent à passer au stade supérieur: l’édification d’un temple de grandes dimensions. Leur projet de construction à Villepreux, près de Versailles, a tourné court après de longues négociations. Deux autres projets rivaux présentés à la mairie -en sus de l’opposition des riverains- ont en effet contraint la communauté à retirer son offre en janvier 2007. Les mormons doivent se demander ce qui cloche avec ces fichus “Frenchies”. Une chose est sûre: ce ne sont pas des enquêtes en forme de pièges à gogos qui servent le mieux leur cause.

L’express