Dernièrement, un article paru dans Le Devoir a divulgué «l’influence discrète de l’Opus Dei» au sein des opposants au projet de loi sur l’aide médicale à mourir. Comme par hasard, le texte est paru alors que le projet de loi entre dans sa phase décisive. Puisqu’en démocratie, l’image est reine, le fait d’associer la silhouette disgracieuse de l’Opus Dei aux adversaires de l’aide médicale à mourir plombe les arguments de ces derniers d’un soupçon possiblement fatal.
Or que reproche-t-on à l’Opus Dei dans cette affaire? L’article indique que la prélature est «représentée de manière disproportionnée dans les rangs des opposants». Ah oui? Depuis quand la mobilisation d’un groupe en vue d’appuyer une cause prête-t-elle à controverse? Lorsqu’une manifestation s’ébranle contre le gaz de schiste, considère-t-on que les écologistes, déclarés ou non, sont représentés de manière problématiquement disproportionnée?
Ce qui semble faire tiquer dans le cas de l’activité des membres de l’Opus Dei, c’est qu’elle n’est pas «ostentatoirement» religieuse. Ironiquement, dans un Québec où une partie de la population appuie le projet de charte des valeurs pour reléguer un peu plus la foi et ses manifestations hors de l’espace public, on reproche volontiers à des citoyens de ne pas s’identifier clairement comme membre d’un mouvement religieux. Autrement dit: montrez-nous votre foi seulement quand cela servira votre discrédit.
Interrogée au sujet des témoignages des membres de l’Opus Dei, la députée Maryse Gaudreault, qui a présidé la commission «Mourir dans la dignité», a désamorcé le semblant de scandale en attestant que ces membres n’avaient pas dissimulé leur allégeance religieuse. Mais dans le cas contraire, où aurait été le problème? Doit-on décliner toutes nos convictions politiques, philosophiques, religieuses pour que notre témoignage ou notre mémoire soit recevable?
Sachons que l’Opus Dei est née, en partie, d’une intuition intéressante: pour avoir un impact évangélique dans la société, les catholiques laïcs n’ont pas à agir explicitement au nom de leur foi. Contrairement au modèle «Action catholique», où on agit de l’intérieur d’un groupe clairement confessionnel, le modèle Opus Dei est celui du levain dans la pâte: chacun anime son milieu de travail d’un esprit évangélique d’autant plus efficace qu’il ne se présente pas sous l’étendard intimidant d’une religion. C’est une forme de spiritualité et d’apostolat qui prend acte de la sécularisation de nos sociétés.
Ça, c’est la théorie. En pratique, évidemment, la pureté d’intention en prend pour son rhume. Ainsi, dans la récente controverse autour du projet de loi 52, le blâme que l’on peut adresser à l’Opus Dei n’a rien à voir avec la mobilisation discrète ou non de ses membres. Il est tout entier dans la réponse qu’Isabelle Saint-Maurice, porte-parole de la prélature au Canada, a publiée dans Le Devoir.
La porte-parole a osé avancer, pour justifier la circonspection singulière de l’institution, que «la foi relève du domaine privé» et que «l’Opus Dei a un objectif exclusivement spirituel».
Non seulement la première assertion, une généralisation stratégique de l’option propre au mouvement, contredit-elle ce que l’on sait du phénomène religieux; mais la seconde jure vivement avec la réalité, présente et passée. Quand on connaît un peu l’histoire, notamment l’histoire espagnole, il faut avoir du culot pour limiter l’action de l’Opus Dei à la sphère spirituelle.
Toutefois, que la réponse de l’Opus Dei ait été maladresse, déni ou hypocrisie, il ne faudrait pas que la controverse empêche le débat en cours sur l’aide médicale à mourir de se poursuivre le plus loin possible des préjugés. Car brandir le spectre d’organisations mystérieuses et troublantes pour faire de l’effet, ce n’est approprié que le soir de l’Halloween.

source :La Presse.ca
06 novembre 2013
Jonathan Guilbault
Diplôme en philosophie et en théologie, l’auteur collabore régulièrement aux pages Débats.
http://www.lapresse.ca/debats/votre-opinion/201311/05/01-4707571-qui-a-peur-de-lopus-dei.php