Malgré le contexte politique, l’imam ouvre ses premières écoles en 1974. En 1998, ayant pris sa retraite comme imam, il annonce qu’il quitte la Turquie et se rend aux États-Unis pour des raisons de santé. Plusieurs croient cependant qu’il s’est imposé cet exil en apprenant que la machine judiciaire turque s’apprêtait à l’accuser de tentative de renversement du gouvernement. Un enregistrement audio dans lequel le leader religieux demandait à ses fidèles d’infiltrer discrètement toutes les sphères de pouvoir du pays était à l’origine des accusations. Fetullah Gülen a maintes fois affirmé que l’enregistrement avait été truqué et il a finalement été acquitté en 1999. Il n’est cependant jamais rentré en Turquie. Il vit toujours aujourd’hui dans une petite communauté de Pennsylvanie, où il reçoit peu de visites, accorde rarement des entrevues, mais écrit beaucoup de livres. Il a 65 titres à son actif.

{{La face cachée du mouvement Gülen}}

(ISTANBUL) Pas d’alcool. Pas de tabac. La prière cinq fois par jour. Pas de relations sexuelles avant le mariage. Pas même un baiser. Une ségrégation presque complète des sexes.

Toutes ces règles, Bayran, 37 ans, s’y est conformé pendant 20 ans.

«Ma vie en entier était orchestrée par le mouvement Gülen», dit le jeune homme, dont le père est aussi un fidèle du penseur musulman.

À 14 ans, le jeune Turc originaire de la région d’Izmir, dans l’est du pays, a décidé de s’engager lui-même. «Mes amis étaient dans le mouvement. Les filles qui m’intéressaient étaient dans le mouvement. Je ne me rendais que dans des commerces qui étaient liés au mouvement», témoigne-t-il aujourd’hui en pensant aux deux décennies qu’il a consacrées à cette immense confrérie. «J’y étais parce que notre but était de rendre le monde meilleur, de promouvoir l’éducation et de donner l’exemple en étant nous-mêmes des musulmans modèles», explique-t-il.

Même si le mouvement Gülen a certaines ressemblances avec la franc-maçonnerie, la confrérie secrète chrétienne répandue partout dans le monde, il n’y a pas de rituel d’entrée pour appartenir au mouvement Gülen, assure-t-il. L’adhésion est graduelle.

Pour Bayran, le premier contact direct avec l’univers gülénien a eu lieu pendant ses études. Il a alors été hébergé dans une résidence étudiante entièrement financée par le mouvement. Ces maisons ont été baptisées les Maisons de lumière.

Plusieurs jeunes hommes – la plupart issus de familles conservatrices de la Turquie provinciale – vivent ensemble. Ils assistent à certaines activités religieuses ensemble et à des ateliers. Ils y apprennent graduellement les idées de Fetullah Gülen et les règles de vie du mouvement. «Ces règles ne sont pas imposées de force, mais il y a un effet d’entraînement», dit Bayran.

De jour en jour, les résidants des Maisons de lumière se voient confier de plus en plus de responsabilités. Lorsqu’il est entré à l’université, Bayran est devenu tuteur des jeunes étudiants qui arrivaient tout juste dans les Maisons de lumière.

La mission qu’on lui a ensuite confiée a été de s’installer au Canada pour organiser des activités communautaires au sein de la diaspora turque. «C’est pendant mon séjour au Canada que j’ai réalisé que je ne voyais le monde qu’à travers le mouvement Gülen et que j’ai commencé à remettre mon engagement en cause. J’étouffais», explique Bayran, qui a depuis décidé de s’éloigner du mouvement.

Au début, ses «anciens frères» ont tenté de le dissuader de quitter le bateau, mais sans jamais tomber dans les menaces, précise Bayran. Il insiste cependant pour utiliser un nom fictif dans le cadre de son entrevue avec La Presse. «Le mouvement Gülen, c’était ma famille. J’ai ressenti beaucoup de culpabilité, mais je ne voyais plus le monde de la même manière que le mouvement», se justifie le jeune homme.

Selon la sociologue Berna Turam, l’histoire de Bayran résume assez bien l’expérience de dizaines de milliers de jeunes Turcs au sein du mouvement. «Il y a le mouvement Gülen vu de l’extérieur, qui prône la tolérance et l’égalité entre les sexes, mais il y a aussi le mouvement Gülen de l’intérieur où les libertés civiles sont presque inexistantes et la ségrégation des sexes très évidente», dit l’universitaire qui a écrit plusieurs livres sur le sujet.

Cependant, Berna Turam est convaincue que le mouvement Gülen n’est pas une secte. «Les gens peuvent en sortir quand ils veulent», note-t-elle.

Si beaucoup décident de se conformer aux règles draconiennes, c’est soit qu’ils adhèrent aux idées du mouvement soit parce qu’ils y trouvent leur compte. L’adhésion au gigantesque réseau donne accès à de nombreux privilèges, que ce soit des subventions et des bourses pour les étudiants ou des occasions d’affaires pour les entrepreneurs liés au mouvement.

http://www.cyberpresse.ca/actualites/201202/12/01-4495135-la-face-cachee-du-mouvement-gulen.php

Source : le 12 février 2012
Laura-Julie Perreault
La Presse

http://www.cyberpresse.ca/actualites/201202/12/01-4495136-qui-est-fetullah-gulen.php?utm_categorieinterne=trafficdrivers&utm_contenuinterne=cyberpresse_meme_auteur_4495133_article_POS2