Raël aime les oxymores. Au mot «hôpital», évocateur de souffrance pour la plupart des patients, il associe la jouissance. Au sens strict. Le mouvement raëlien finance actuellement la construction d’un premier «hôpital du plaisir» au Burkina Faso, à Bobo-Dioulasso, sur la route de Banfora. L’établissement devrait réhabiliter, à la chaîne, l’organe d’orgasme que constituait, avant excision, le clitoris mutilé.

Le «dernier des prophètes» semble d’ailleurs avoir transmis à ses adeptes le virus des jeux de mots pré-coïtaux. Sur le site officiel des raëliens, on explique «qu’Abibata Sanon, surveille de près… l’érection de l’hôpital». C’est avec «toute une excitation qui monte» que le projet aurait obtenu l’obtention de tous les permis de construire nécessaires. Pour une fois qu’une secte —selon la classification de la Commission parlementaire sur les sectes en France— prône la jouissance communautaire plutôt que le suicide collectif…

Le mouvement raëlien s’y connaît en matière d’épanouissement épidermique. Depuis que Claude Vorilhon, rebaptisé Raël, prétend avoir rencontré, sur les volcans d’Auvergne, en décembre 1973, des extraterrestres techniquement avancés qu’il nomme «Elohims», il prône la libération sexuelle. Il conseille l’apprentissage par les enfants de la sexualité en compagnie d’adultes qui se déclarent, bien sûr, plus dévoués qu’émoustillés; il prêche «la méditation sexuelle pour accéder à l’orgasme cosmique».

«L’éveil de l’esprit passe par l’éveil du corps», affirme le gourou au chignon poivre et sel.

Ceci d’autant plus que la sexualité pourrait, grâce au clonage, s’émanciper de sa fonction reproductrice.

Depuis une vingtaine d’années déjà, le pourtant prude Faso semble l’élu africain de cette vaste croisade dont le Graal est le râle en série. C’est dans cette même région située entre Bobo-Dioulasso et Banfora (sud-ouest du Burkina Faso) que les raëliens ont pris l’habitude de se retrouver dans un camp dénommé Elohika, en période d’hivernage. Saison assez chaude, la journée, pour être tenté de se déshabiller; assez fraîche et humide, la nuit, pour avoir besoin de se réchauffer. De quoi obtenir tout à la fois la «petite mort» et l’immortalité promise par le clonage et le «transfert de conscience».

Opération «Adopter un clitoris»

Les spécialistes de la santé considèrent qu’environ 130 millions de femmes ont subi une excision clitoridienne, principalement en Afrique. Deux millions de fillettes sont susceptibles, chaque année, d’en être victimes. Actuellement, les mutilations génitales féminines (MGF) sont pratiquées dans 28 pays africains de la région subsaharienne, ainsi que dans la partie nord-est de l’Afrique.

Au début des années 2000, toujours à la recherche du filon politiquement incorrect, le gourou émissaire des extraterrestres entend parler du chirurgien français Pierre Foldès. Le médecin a mis au point, en collaboration avec l’urologue Jean-Antoine Robein, une technique chirurgicale d’étirement permettant de réparer la presque totalité des dommages causés par l’excision.

Le prophète des raëliens y voit un thème porteur pour recueillir des fonds: il fonde Clitoraid, organisation «à but non lucratif». En mai 2006, c’est de la ville du péché —et de l’argent— qu’il lance l’appel au plaisir, et aux fonds. De Las Vegas, celui qui aime investir les organes de ses disciples les plus disciplinées propulse l’opération «Adopter un clitoris», qui consiste à parrainer des opérations de «reconstruction» des appareils génitaux de femmes excisées en Afrique.

Une Burkinabè, Mariam Banémani Traoré, «restaurée dans son plaisir», fonde l’association Voie féminine de l’épanouissement. Elle devient la correspondante locale de Clitoraid au Burkina Faso. C’est alors que prend forme le projet de construction de cet hôpital baptisé «Kamkaso», du dioula «Kama moussow ka so», la maison de la femme noire. Il sera entièrement dédié, sur 2.000 m2, à la quête du spasme perdu. Deux cents femmes sont déjà inscrites sur la liste d’attente.

Un hôpital du plaisir polémique

Assailli par les journalistes, c’est un docteur Foldès agacé qui se démarque de toute opération destinée à associer son travail à des considérations pseudo-religieuses. Au Burkina, Aïna Ouédraogo, Secrétaire permanente du Comité national de lutte contre la pratique de l’excision (CNLPE), recommande «prudence» et «patience» aux femmes qui nourrissent l’ambition de corriger les effets de mutilations génitales. Moins diplomatiques, des observateurs sceptiques dénoncent une «escroquerie à la charité», dans la lignée de l’annonce de la création d’enfants clonés ou de la construction d’une ambassade pour accueillir, en 2035, les extraterrestres.

Soucieux de paraître blanc comme… son éternelle combinaison, Raël brandit des photos et des chiffres. Côté photos, on voit un empilement de briques devant lequel une femme tient maladroitement une truelle. Côté chiffres, on annonce, en 2010, un budget total de construction et d’équipements médicaux de 200.000 dollars (142.000 euros). Pour l’heure, les sommes récoltées avoisinent officiellement les 105.000 dollars. Somme surestimée pour enclencher la confiance des parrains ou minorée de l’argent nécessaire pour assouvir la passion du prophète pour la course automobile? Les voies de l’adrénaline sont multiples et celles des extraterrestres sont impénétrables.

Raël l’Africain?

Raël vient rarement en Afrique, officiellement pour des raisons de santé. Mais le mouvement qui revendique 70.000 adeptes dans le monde est déjà installé dans 23 pays africains. Les «dogmes» raëliens semblent souvent des resucées de la culture judéo-chrétienne d’un gourou à l’imagination limitée: costume immaculé du leader charismatique, reconnaissance d’Adam, d’Ève et de Jésus, imposition des mains, promesse de résurrection, ordre religieux féminin, goût pour les hymnes sirupeux à la guitare sèche. Mais il y est aussi question de Mahomet, illustre prédécesseur de Raël. De quoi, déjà, ratisser large sur un continent aux convictions très variées.

Et l’afrophilie de Raël ne s’arrête pas là. Le prophète indique que les deux premiers représentants de l’espèce humaine, créés par les Elohims il y a 25.000 ans, étaient noirs. De même, il embouche volontiers la trompette anticolonialiste. Il aura été l’un des derniers soutiens de Kadhafi, autoproclamé «rois des rois» d’Afrique.

Après avoir implanté ses briques au Burkina, le mouvement n’exclut pas de construire l’ambassade des Elohims en Afrique centrale. Pourvu qu’il obtienne un terrain avec extraterritorialité pour les extraterrestres…

Comme les autres sectes, le mouvement raëlien surfe sur la soif de spiritualité d’un continent volontiers syncrétique, friand d’ésotérisme et souvent désemparé. Et sur un environnement légal moins contraignant qu’en Occident.

L’Afrique est ainsi devenue le terreau idéal pour le révérend Sun Myung Moon et sa Fédération pour la paix universell»; pour le gourou Daisaku Ikeda et sa secte bouddhiste Sōka Gakkai; pour l’Ordre de la Rose-Croix; la secte islamiste Boko Haram ou l’Église de Scientologie. La concurrence est rude. La restauration du clitoris est, il est vrai, un avantage concurrentiel décisif…

Damien Glez

u Ikeda et sa secte bouddhiste Sōka Gakkai; pour l’Ordre de la Rose-Croix; la secte islamiste Boko Haram ou l’Église de Scientologie. La concurrence est rude. La restauration du clitoris est, il est vrai, un avantage concurrentiel décisif…

Source: Slate Afrique par Damien Glez