Le retour des Français détenus en Syrie est un casse-tête judiciaire et carcéral inédit, mais aussi politique, car nombreux sont ceux qui, à droite comme à l’extrême droite, accuseront l’exécutif de laxisme.

Editorial du « Monde ». C’est une hantise pour le gouvernement, un casse-tête sécuritaire, juridique et politique : que faire de ces Français – car ils restent français – qui, au nom du djihad, ont rejoint ces dernières années l’organisation Etat islamique en Syrie et en Irak, ont pris les armes contre leur propre pays et se trouvent actuellement détenus dans la région ?

Longtemps, les autorités françaises ont cherché à gagner du temps. Elles défendaient le principe selon lequel tous les adultes, hommes et femmes, détenus devaient être jugés sur place, seuls leurs enfants pouvant être rapatriés. Mais elles laissaient aussi clairement entendre que, moins il y aurait de retours, mieux l’on se porterait, soit que ces djihadistes soient éliminés par des frappes, soit qu’ils périssent dans les combats.

Le cas des Français emprisonnés en Irak est relativement simple : c’est un pays allié et souverain, c’est donc à la justice locale de s’occuper d’eux, même si Paris reste vigilant sur d’éventuelles condamnations à mort et si personne n’ignore la limite des droits de la défense et la dureté des geôles irakiennes.

La situation en Syrie est beaucoup plus épineuse, pour trois raisons. D’une part, la France n’a plus de relations diplomatiques avec Damas. D’autre part, la plupart des djihadistes détenus le sont par les Forces démocratiques syriennes (FDS), à dominante kurde (alliées de la coalition contre l’Etat islamique), qui contrôlent le nord-est de la Syrie mais ne constituent pas un Etat reconnu. Il est donc impossible que soient jugés sur place les quelque 800 combattants étrangers – parmi lesquels 130 Français, dont une grande majorité d’enfants de moins de 7 ans.

Terrain propice au prosélytisme

Enfin, les événements sur le terrain se précipitent : l’annonce du retrait américain du nord-est de la Syrie et celui des forces françaises qui suivra inévitablement, les menaces exercées par la Turquie sur ces territoires sous contrôle kurde et la poussée des forces du régime de Damas vers le nord du pays changent totalement la donne. Les FDS ont ainsi fait savoir qu’elles n’étaient plus en mesure de garantir la détention des combattants étrangers.

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La France n’a donc plus le choix. Si elle veut éviter que ces djihadistes s’échappent, se dispersent dans la nature et constituent un risque pour la sécurité nationale, elle n’a d’autre solution que de les rapatrier pour les juger et, probablement, les incarcérer. Le défi n’est pas mince. Sur le plan judiciaire, il faudra prouver que ces « revenants » ont bien commis des crimes justifiant condamnation ; si les services français disposent souvent d’éléments permettant d’incriminer les combattants, ce sera en général nettement plus difficile pour les femmes qui les ont accompagnés. Quant aux enfants, nombreux, ils devront être placés dans des familles d’accueil, à condition d’en trouver.

Les difficultés ne sont pas moindres sur le plan carcéral, avant ou après condamnation. Mêler ces djihadistes aux autres détenus leur offrirait un terrain propice au prosélytisme. Mais les isoler dans des quartiers carcéraux ad hoc risquerait, à la fois, de favoriser la création de véritables « universités » de l’islam radical derrière les barreaux et d’alimenter le martyrologe djihadiste. Quant aux thérapies de déradicalisation, elles n’ont jamais vraiment prouvé leur efficacité.

Enfin, quoi qu’il fasse, le gouvernement est assuré d’être la cible de tous ceux, à droite et à l’extrême droite, qui l’accuseront de coupable laxisme au motif qu’il applique l’Etat de droit à des terroristes qui l’ont bafoué.

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