La médiatisation des théories autour d’événements apocalyptiques ou transformateurs en décembre 2012 donne lieu à de nombreuses spéculations ou inquiétudes. À l’initiative de trois doctorants du GSRL (Groupe Sociétés, Religions, Laïcités), Mathieu Gervais, Ludovic Bertina et Morvarid Ayaz, s’est déroulée le 10 décembre à Paris une journée d’étude sur la fin du monde, présidée par Jean-Paul Willaime et Sébastien Fath. Cette journée a donné la parole à de jeunes chercheurs pour présenter leurs enquêtes. Quelques interventions étaient directement reliées au 21 décembre ou apportaient un éclairage sur ce thème: ce sont celles que nous retiendrons dans ce compte rendu.

Remarquons au passage comment le 21 décembre 2012 est devenu un prétexte pour parler de thématiques pour parler de thématiques variées, ainsi que nous le montrent les nombreux articles ou émissions des médias à ce sujet. Car l’essence du phénomène 2012 est bel et bien un prétexte, fondé sur la fin d’un calendrier maya où l’on a cru voir la fin du monde. La mobilisation d’agents mythiques aussi efficaces que les Mayas pour proposer un terme au monde tel qu’on le connaît a été le point de départ d’autres spéculations, intégrant le 21 décembre dans des discours préexistants. Ainsi, les milieux de la religiosité parallèle voient volontiers le 21 décembre comme une étape sur le chemin de la régénération déjà entamée, en faisant poindre à l’horizon un Nouvel ge, dont l’avènement sera d’une grande force spirituelle, mais jalonnée éventuellement de catastrophes. Les conspirationnistes trouvent également dans l’annonce d’événements en décembre de nouvelles impulsions pour une théorie du complot, dans un registre notamment scientifique. Avant tout, peut-être, ce phénomène exprime le besoin de réenchantement d’un monde qui ne répond pas toujours aux espérances.

Le 21 décembre dans une ville mexicaine

Travaillant sur une thèse en anthropologie, Mélissa Elbez (EHESS-IRIS) s’interroge sur l’influence de l’histoire personnelle des habitants de Tulum sur leur conception de l’Histoire. Dans son intervention – L’attente du 21 décembre 2012 comme révélatrice de tensions et de convergences globales: Exemple de Tulum (site archéologique maya) au Mexique – Elbez précise tout d’abord les particularités de Tulum, une ville sur la côte caraïbe mexicaine, connue pour ses belles plages, mais également son offre écotouristique (voire écoagressive si l’on en croit Elbez).

La communauté locale de Tulum est plutôt hétérogène, se composant de Mexicains comme d’étrangers, et elle connaît également une grande variété religieuse, des Témoins de Jéhovah aux adventistes du septième jour en passant par des spiritualités parallèles inspirées du New Age; les horizons socio-économiques sont tout aussi variés. Le «penser global» est ainsi constitutif de la réalité de Tulum.

D’après Elbez, cette variété s’exemplifie également dans la façon d’appréhender la fin du fameux calendrier maya, allant même jusqu’à supposer une «guerre des calendriers». Car le 21 décembre a une date rivale: le 12 décembre 2012! Cette date a une importance considérable pour les habitants de Tulum, tandis que le 21 – selon Miguel, un de ses informateurs sur le terrain – serait plutôt médiatique. Le 12 décembre est en effet une date de pèlerinage importante pour les courants mexicanistes, qui prônent la supériorité raciale des Aztèques sur les Mayas, les Aztèques ayant alors le pouvoir de libérer l’énergie cosmique universelle: d’après Miguel, fervent mexicaniste, le calendrier aztèque continuerait lorsque celui des Mayas cesserait – un argument de plus pour prouver ainsi leur supériorité.

Mais le 21 décembre est également invoqué, dans une perspective «progressiste», pour signifier la sortie du capitalisme – ce qui n’est pas sans rappeler la volonté bolivienne d’en finir avec le Coca-Cola à cette date-là – dans la lignée de ce que prônait José Argüelles (1939-2011), selon Elbez. Cet historien de l’art et figure du New Age, qui a joué un rôle majeur au départ de la diffusion du thème de 2012, était en effet persuadé que notre calendrier de douze mois n’était pas en harmonie avec le cosmos: il a alors initié le mouvement des treize lunes. Pour ses adeptes, célébrer la date du 21 décembre serait respecter le cosmos et ouvrir la voie à une nouvelle fréquence vibratoire.

Pour d’autres informateurs d’Elbez, le 21 décembre ne serait rien d’autre que le solstice d’hiver: préférant se rapporter au calendrier des Mayas du Guatémala (les théories d’Argüelles se fondant elles sur celui des Mayas du Yucatan), Augustin considère que le savoir maya guatémaltèque aurait été mieux préservé car il aurait été moins contaminé par le colonialisme. Il considère lui-même le 12 décembre comme le nouvel an maya. Dans ces perspectives, l’influence des Occidentaux sur le calendrier serait responsable des interprétations erronées de cette date du 21 décembre. Mais qui détient le vrai savoir sur les Mayas?

Les habitants de Tulum s’accordent à reconnaître le rôle déterminant d’un certain ancêtre, mais n’arrivent pas à se mettre d’accord sur lequel. On trouve alors une opposition fréquente entre «mexicaniste» et «maya galactique», ce dernier terme se référant au vocabulaire d’Argüelles qui voyait les Mayas comme étant des extraterrestres venus des Pléiades avec une connaissance supérieure à prodiguer aux êtres humains. D’après Elbez, cette conception d’une évolution inversée avec la notion du «Maya galactique» postule ainsi une certaine supériorité du passé, provoquant ainsi un désir de retour – opéré par télépathie, par certains rituels, etc. – vers ce passé porteur d’un message universel pour l’humanité.

Mais le calendrier maya est aussi un outil de luttes sociales et politiques, sujet à de nombreuses interprétations. Pour Sofia, une autre interlocutrice d’Elbez, une catastrophe naturelle qui provoquerait une perte de vies humaines pourrait faire changer le monde, qui aurait ainsi subi une punition: la décadence serait suivie par une régénération. On trouve également une notion d’élection par rapport à la fin du calendrier maya: les «Mayas galactiques» pourraient revenir le 21 décembre chercher des humains dont l’évolution spirituelle serait importante.

Elbez a même découvert une version locale évangélique de ce ravissement, certains de ses interlocuteurs pensant que le retour du Christ est prévu pour le 21 décembre. Mais d’autres espèrent la fin du capitalisme et la chute des États-Unis à cette date-là, ce qui pourrait servir à exprimer des rivalités sociales. Les Mayas auraient en effet mentionné plusieurs signes annonciateurs d’un déclin: parmi ces prédictions, la phrase sybilline «la ville n’aura plus d’eau» s’est trouvée appliquée à Mexico, qui doit acheter son eau hors de ses murs; les Mayas auraient aussi prédit la mort du Pape en 2005, le fait que les États-Unis connaissent une crise, mais aussi que «la monnaie disparaîtrait»… c’est-à-dire la fin du capitalisme!

La temporalité linéaire des Occidentaux est fortement remise en question, dans des relents anticolonialistes: en mettant en avant la supériorité d’un temps cyclique, les habitants de Tulum proposent in fine un retour à une sagesse primitive dans un passé qui s’oppose à la modernité incarnée par des puissances occidentales.

Willaime souligne que cette critique de la modernité représente la nécessité ressentie d’un changement radical. Il relève également l’importance de ces querelles de légitimité autour de la date de la fin du monde, mais aussi comment ce thème peut être repris dans différents courants religieux et spirituels en servant différentes causes, allant du retour du Christ à la chute du capitalisme.

Le 21 décembre du côté de Bugarach

De Tulum, rendons-nous maintenant dans le désormais célèbre village de Bugarach. C’est Clotilde de Ravignan (EHESS-LIST-UTM)qui s’intéresse aux discours tenus sur Bugarach dans son exposé, Du Bugarach on en parle, mais qui en dit quoi et comment?: elle se propose surtout d’étudier ce que les gens du lieu disent, et moins ce qui est dit de Bugarach à l’extérieur.

La région de Bugarach a un habitus de l’inexplicable, avec la proximité de Rennes-le-Château: entre les trésors cachés, l’abbé Saunières et sa fortune colossale (mais qui serait pourtant mort misérablement), sa couleur ésotérique si fréquente dans l’Aude avec un arrière-fond cathare, et les OVNIS qui auraient fait leur apparition sur ce lieu après la guerre, la région attire les chercheurs de trésors en tout genre. Situé entre Carcassonne, Narbonne et Toulouse, le Pech de Bugarach devrait également sa renommée à une particularité géologique qui contribuerait à l’inexplicable: toutes les couches inférieures se seraient retrouvées au sommet du Bugarach, faisant ainsi du Pech une «montagne renversée» d’après Ravignan.

Bugarach est une zone très pauvre du sud des Corbières, mais, dès les années 1960-70, elle connaît un afflux touristique important inspiré notamment par la représentation de la terre cathare en tant que lieu de résistance, mais aussi d’amour et de la conscience d’être «dans le vrai». Les ingrédients semblent donc être réunis pour attirer du monde… Dans les années 1980, le mythe du trésor se déplace de Rennes-le-Château vers Bugarach: on cherche alors le trésor en soi, et plus à l’extérieur, quand bien même la région regorgerait de trésors incroyables cachés – notamment celui des Atlantes, des esséniens, mais aussi le tombeau du Christ. À Bugarach, on retrouve d’après Ravignan ce dont parlait Hervieu-Léger: l’importance du besoin pour l’individu d’expérimenter les choses pour les connaître, la connaissance étant ainsi fondée sur l’expérience. C’est ainsi que certaines personnes cherchent à déceler une sagesse cachée dans les formes anthropomorphiques des rochers du Pech, à l’aide des nombreux stages proposés.

Clotilde de Ravignan a conduit 10 entretiens à Bugarach et alentours, tout en s’appuyant sur de nombreux ouvrages de référence, dont le travail de Thomas Gottin sur Bugarach (Le Phénomène Bugarach: un mythe émergent, 2011), un livre de Jean d’Argoun (qui dit transmettre «Le message d’Issâha»), qui a joué un rôle important dans la genèse de spéculations sur Bugarach, mais aussi le récit de Genny Rivière, qui s’est sentie appelée par cet endroit particulier. Rivière, lassée par le phénomène Bugarach, n’a pas souhaité répondre aux questions de la chercheuse: elle a ouvert un centre de médecine chinoise et propose de nombreux stages à la découverte du Bugarach, répondant ainsi au besoin d’expérimentation de «quelque chose», devenu caractéristique d’une démarche spirituelle parallèle qui s’épanouit à Bugarach.

Bugarach est une bourgade d’environ 200 âmes. Les autochtones, souvent des personnes âgées, sont en minorité par rapport à la population néo-rurale qui s’est intégrée au lieu. Les autochtones ont apparemment un a priori bienveillant par rapport à la recherche spirituelle que suscite leur région: ils relient l’intérêt pour le 21 décembre à des aspirations hippies et New Age, voyant ainsi Bugarach comme «un petit théâtre» animé par ces venues un peu déroutantes, mais qui promettent aussi des retombées économiques puisqu’«on parle de nous».

Cependant, Ravignan observe un certain mécontentement de la part de ces autochtones, notamment en raison de conséquences pratiques de cet événement telles que le blocage de l’accès au site et la surveillance élevée dont il fait l’objet, mais aussi l’afflux d’autocars. Ils restent pourtant stoïques face à cet événement, si l’on en croit un jardinier interrogé par des journalistes: à la question de savoir s’il attendait la fin du monde, il répond qu’il ne sèmerait pas ses graines s’il y croyait…

Le maire, quant à lui, n’a pas d’intérêt particulier pour la spiritualité. Il relève qu’il a reçu toutes les télévisions du monde à Bugarach, sauf celles d’Afrique et d’Inde. S’il compte 20.000 visiteurs en 2010 (un chiffre en constante augmentation à l’approche du 21 décembre 2012), le maire parle à Ravignan du ménage à faire sur le Pech, où l’on trouve des vierges noires, des drapeaux de prières, mais aussi des graffitis sur les pierres – des objets qui pourraient, d’après lui, avoir leur place dans un musée spécial…

Si l’on pense à la fin d’un monde à Bugarach, c’est surtout une fin qui doit passer par une régénération individuelle à travers un important travail sur soi, réalisé dans le cadre de thérapies dites «parallèles», permettant par exemple de renouer avec ses vies antérieures, mais aussi de rituels catholiques – quand bien même le prêtre local prendrait ses distances…

Willaime relève cette culture fascinante de l’inexplicable, et s’étonne aussi d’une certaine inversion des représentations classiques, les autochtones de Bugarach semblant être plus rationnels que les personnes «raisonnables» et éclairées de la ville, qui passent pour des êtres plus «facilement» impressionnables et capables de tout croire…

La société face aux apocalypses

La deuxième session du jour – Eschatologie, investissement et retrait du monde – a prêté attention aux conséquences des représentations de la fin du monde, pouvant entraîner des réactions allant d’un retrait du monde à un grand activisme. Mais «demain n’apparaîtra peut-être jamais», ce qui donne l’occasion à Willaime de s’interroger sur la représentation de la fin du monde: est-elle brusque et soudaine, ou projetée à l’horizon afin de préparer l’avènement? Plusieurs postures peuvent être observées: une approche catastrophiste/déclinologue, une attitude plutôt piétiste revendiquant une démarche intérieure, ou encore une posture activiste.

La troisième session évoquait Les enjeux politiques de la fin du monde. Avec son intervention sur les chrétiens sionistes, Katia Lucas (Bordeaux 3-Climas) ne pouvait évidemment traiter de 2012, qui n’a pas de signification pour ces croyants, si ce n’est qu’elle leur rappelle que la fin du monde présent est proche.

Dans une France prompte à s’inquiéter des «dérives sectaires», la communication de Carlotta Gracci (EPHE-GSRL, LabTop) touchait en revanche aussi à la question du 21 décembre telle que l’envisagent les pouvoirs publics de ce pays.

Gracci s’est intéressée à l’approche «répressive», à travers les figures du psychiatreet criminologue Jean-Marie Abgrall et et du magistrat et homme politique Georges Fenech (ancien président de la MIVILUDES, Mission de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires): cette posture consiste avant tout à décrédibiliser les mouvements apocalyptiques. Gracci expose les stratégies suivantes:

1) Décrire le gourou sous une ou plusieurs figures, telles que le raté, le fou, l’escroc et le dictateur.
2) Présenter toute secte comme étant le fruit d’un délire: en insistant par exemple sur le fait que 2012 n’est finalement que la 183e fin du monde annoncée.
3) Utiliser l’exemple de l’Ordre du Temple Solaire comme paradigme de la secte apocalyptique, comme le fait par exemple le maire de Bugarach (à noter que dans une interview donnée à M6 pour Enquête exclusive en décembre 2011, le maire parle plutôt du Temple du Soleil, cher à Tintin).
4) Parler des projets sectaires et apocalyptiques comme des prétextes à l’escroquerie pécuniaire, en présentant par exemple le coût d’une séance de méditation.
5) Souligner les conflits internes, les schismes, les crises à l’intérieur de la secte.
6) Réinjecter du ridicule au quotidien vécu dans les sectes, en prenant l’exemple de films hollywoodiens qui ont été choisis comme support d’étude par certains groupes.
7) Se référer à la rationalité des sciences en citant par exemple la NASA, mais également des chercheurs en sciences sociales.

Le 21 décembre et les théories du complot

La quatrième, session, portant sur le discours eschatologique et les théories de la conspiration, s’ouvrait par une contribution de David Bisson (Rennes 1 – IDPSP): Les théories du complot: une conception sécularisée de la fin du monde. Quelques observations générales sur ces théories sont nécessaires pour examiner leur rôle dans le contexte des attentes autour du 21 décembre.

Selon l’analyse de Pierre-André Taguieff, dans la vision complotiste, tous les processus dépendent d’une cause cachée, qui serait la clé universelle de l’Histoire; il vise moins le pouvoir que le dévoilement de la réalité. Et l’apocalypse n’est-elle pas une révélation? La théorie du complot est une apocalypse profane d’après Bisson: elle propose une lecture sécularisée de la providence. Son ressort principal, c’est le sentiment de l’individu de la perte d’un monde, qui se cristallise dans une réaction de colère contre ce monde, et qui va déterminer l’ampleur apocalyptique. La théorie du complot se nourrit de la modernité, notamment de la sécularisation: elle profite de la perte d’influence religieuse pour nourrir les croyances, en instrumentalisant le sacré pour produire une religion laïque. La théorie du complot est dans un recommencement perpétuel de la fin du monde, parce qu’elle a «le pire des mondes» comme réalité. Elle s’emploie à trouver un ennemi à la hauteur de son désarroi.

Bisson distingue trois éléments structurants d’une religiosité apocalyptique:

1) La partition du monde en bien et mal / pur et impur: elle est immanentisée et sécularisée dans le cas de la théorie du complot, ce n’est pas une réalité métaphysique. Cette partition est entretenue par la logique du soupçon envers les sociétés secrètes (qui sont le modèle de la contre-église) qui viseraient à la domination du monde.

2) Aller à la racine du mal, lequel doit faire l’objet d’une lutte incessante: la motivation est alors politique. Le périmètre n’est pas délimité précisément et la liste est modulable, allant des francs-maçons aux juifs. Ce mal fait souvent l’objet d’une iconographie suggestive, d’une démonologie contemporaine souvent illustrée avec des images animales (p.ex. «la pieuvre du grand capital»), et il est généralement représenté comme étant «dans l’ombre» ou encore dans des lieux souterrains (des grottes, des caves, etc.).

3) Un certain répertoire d’action qui se divise entre les fidèles et les hérétiques, une minorité connaissante contre la masse inculte. Cette minorité fera l’objet de persécutions, mais elle devra témoigner sans relâche et continuer à mener une guerre occulte. Le complotiste vit déjà dans la fin du monde dont il est le témoin privilégié…

Pour le conspirationniste, l’Histoire est transparente, mais en même temps opaque. Il a une lecture négative de l’Histoire où il rejette les versions historiques officielles: dans le fond, les vainqueurs écrivent toujours l’Histoire… et le 11 septembre, n’était-ce pas un attentat trop parfait pour avoir été commis par des «seuls» islamistes?

S’il y a une vraie fascination rationnelle pour la fin du monde, on peut observer que dans le phénomène 2012, les théories du complot semblent laisser de côté les juifs et les francs-maçons au profit des experts scientifiques. Payés par l’État pour nous mentir, ces derniers cacheraient la vérité au sujet de la fin du monde le 21 décembre que certains amateurs aux prétentions scientifiques – tels que Patrick Geryl – se proposent de déjouer en révélant ce qui va vraiment se passer, à l’image du personnage de Charly dans le film 2012 de Roland Emmerich.

Continuant dans la perspective complotiste, Cecilia Calheiros (EHESS – CEIFR) se penche sur le logiciel Web Bot: L’eschatologie au service de la contre-culture politique: prédictions apocalyptiques et logiciel d’anticipation, le cas du projet Web Bot.

Le projet Web Bot a pour ambition de prévoir le futur. Il a été initialement créé pour prévoir les cours de la bourse, mais il aurait également prévu en 2003 la fin du monde pour 2012. Après 2001 déjà, on dit que le logiciel a prédit les attentats – post eventum: de «prévisionnel», WebBot devient «prédictif». Ce logiciel fonctionne d’après un système de statistique textuelle à partir des données sur le Net: son but est de trouver une conscience collective «en résonance» sur la Toile; puisque les individus y sont interconnectés, leur langage devient une conscience globale. La foule est donc porteuse de vérité et le message doit être décrypté: c’est la mission du Web Bot – créé par Clif High et Georg Ure. La perte d’influence des instances de savoir «légitimes» contribue à son succès.

Web-communauté, le Web Bot confirmerait les signes annonciateurs de la fin des temps, notamment avec les messages laissés sur les forums tels que «il y a trop de prophéties différentes pour qu’il ne se passe rien», mais aussi l’argument scientifique que l’on prête au Web Bot qui est mis en avant: «la science valide l’existence de l’inconscient collectif». La prédiction de 2003 du Web Bot pour 2012 était: «alignement des planètes» et «énergie inconnue». Ces théories convergeant vers les autres – comme les Mayas – cela confère un certain caractère scientifisant aux théories du Web Bot. Ce logiciel est également très familier avec les théories du complot: des reptiliens au Illuminati, il y a des instances qui empêchent l’éveil des humains et qui confirment l’idée que rien n’arrive par accident, et que rien n’est tel qu’il paraît être…

Le retour de la fin du monde

Sébastien Fath relève combien il est intéressant de voir comment la culture de la marge peut remettre en cause la dominante, ainsi que nous l’observons dans le phénomène 2012. Dans ses conclusions de la journée, Fath a rappelé deux clichés courants sur la fin du monde:

1) La fin du monde comme une apocalypse, c’est-à-dire le lien entre fin du monde et rhétorique chrétienne. Dans les théories qui circulent autour du 21 décembre, on constate que la fin du monde se déchristianise et se démonothéise. On observe un double mouvement: la sécularisation de la thématique, mais aussi un mouvement de pluralisation, illustré dans la popularité protéiforme de la prédiction maya.

2) La fin du monde en tant que spirale dépressive, en référence à une mauvaise nouvelle qui s’illustre dans une sorte de paralysie sociale, à l’image du prophète dans l’Etoile mystérieuse des aventures de Tintin. Mais les sciences sociales décapent les représentations spontanées! Pour 2012, il n’y a pas de logique d’attente passive, mais une vraie logique d’intensité. Fath relève les effets communautaires de ces prévisions, et comment les tensions dialectiques sont utilisées pour mieux mobiliser, notamment dans le fait d’avoir la conviction de jouer un rôle privilégié dans des temps cruciaux.

Sommes-nous en fait surpris de cette remobilisation communautaire qu’on n’attendait plus? On assiste dans ce phénomène à une volonté bricolée en différents réseaux , qui cherche à donner du sens à une réalité décevante, traduisant surtout une volonté de réinitialisation.

Nous pouvons ainsi conclure en disant que, dans une réécriture sécularisante, le 21 décembre 2012 propose une fin du monde à l’image du 21e siècle, alliant un besoin de rupture avec celui du réenchantement.

source : Géraldine Casutt
http://religion.info/french/articles/article_591.shtml

{{Géraldine Casutt est assistante diplômée à l’Université de Fribourg (Suisse). Intéressée par les milieux ésotériques, elle a écrit sa thèse de Master en été 2012 : «Du Facteur Maya au prétexte maya: quand la fin d’un monde est annoncée pour le 21 décembre 2012».}}