26 août 2010

Sud Ouest

Par JEAN-MICHEL DESPLOS

Jacques Gonzalez a été remis en liberté en juin pour des raisons médicales. L’instruction en cours en ferait le donneur d’ordres du gourou Thierry Tilly.

Les investigations sur l’affaire dite des « reclus de Monflanquin » sont loin d’être terminées. Les enquêteurs du Service régional de police judiciaire (SRPJ) de Toulouse, assistés de l’Office central pour la répression des violences aux personnes (OCRVP), ont encore beaucoup de travail devant eux dans le cadre de la commission rogatoire délivrée par le juge d’instruction bordelais Stéphane Lorentz.

Ce dernier, promu dans quelques jours au tribunal de grande instance de Saint-Nazaire, n’a pas encore de successeur désigné dans ce dossier d’une grande complexité. Le dernier acte du juge Lorentz a été la mise en liberté pour raisons médicales, il y a tout juste un mois, de Jacques Gonzalez, le complice présumé de Thierry Tilly dans la spoliation de la famille de Védrines.

Thierry Tilly, 46 ans, a été interpellé en Suisse le 21 octobre 2009 sur mandat d’arrêt européen. Une semaine après, il était mis en examen pour « séquestration avec actes de torture et de barbarie, escroquerie, extorsion de fonds et abus de faiblesse » au préjudice de la famille de Védrines dont il est soupçonné d’avoir dilapidé la fortune.

Depuis, il est en détention provisoire et ne veut toujours pas des conseils d’un avocat. Car Thierry Tilly se dit victime d’une machination. « Je ne suis pour rien dans cette histoire », a-t-il déclaré lors de son interrogatoire de première comparution devant le juge d’instruction. « Les Védrines sont gluants, ils sont collants… Je n’ai jamais voulu qu’ils viennent en Angleterre. Ces gens-là m’ont ruiné et l’un des membres de la famille vient de me prendre ma femme, alors ça va… »

Thierry Tilly a d’abord rencontré Ghislaine de Védrines. En 2000, alors âgée de 47 ans, elle dirige une école de secrétariat à Paris où Thierry Tilly va occuper des fonctions. Découvrant la richesse de la famille de Védrines, il va prendre rapidement l’ascendant sur l’ensemble des membres, arguant de complots, de menaces d’assassinat, évoquant des influences maléfiques sur la famille. Au fil du temps, l’emprise psychologique sur la famille sera totale. Les Védrines se retrouveront reclus au château de Martel, à Monflanquin, dans le Lot-et-Garonne, puis, à partir de 2008, à Oxford, en Angleterre, où onze membres vont vivre séquestrés, subissant des humiliations.

Une coquille vide

Philippe de Védrines parviendra à s’extraire le 22 juillet 2008, puis Christine à son tour, en mars 2009. Tous deux raconteront comment ils ont été défaits de la totalité de leur patrimoine par Thierry Tilly et son système.

Car il semble bien, en effet, que cette gigantesque escroquerie, évaluée à près de 4 millions d’euros, ait été bien préparée. Au départ, Thierry Tilly a prétexté occuper les fonctions de fondé de pouvoir d’une association à but humanitaire, The Blue Light Foundation, implantée au Canada. Son objet social était d’intervenir dans le secteur de la santé et de l’éducation. La structure était présidée par un certain Jacques Gonzalez, qui était à la recherche de fonds. Thierry Tilly en a parlé aux Védrines qui se seraient montrés généreux. Mais voilà, l’argent n’a jamais été versé sur les comptes de l’association. The Blue Light Foundation n’a jamais eu d’activité et son compte bancaire a été fermé en raison du défaut de transaction. Il s’agissait d’une coquille vide.

Pourtant, les biens mobiliers et immobiliers de la famille de Védrines ont été vendus en quelques mois et plus de 2 millions d’euros ont été transférés sur des comptes à l’étranger entre 2001 et 2005. « Cette famille détenait un patrimoine transmis depuis des siècles ; celui-ci s’est volatilisé en quelques années », soupire Me Philippe de Caunes, l’avocat de Ghislaine de Védrines, la seule de la famille à avoir rencontré Jacques Gonzalez, auquel elle a même acheté une voiture à la demande du gourou Thierry Tilly.

Identifier les flux financiers

Jacques Gonzalez, 63 ans, qui vit à Paris, ne travaille plus depuis 1992 et ne déclare aucun revenu, reconnaît semble-t-il avoir utilisé une partie des fonds provenant des Védrines, mais il explique avoir ignoré de quelle manière son fondé de pouvoir se les était procurés. Toujours est-il que Pascal Boucheteau, dit le Grand Pascal, homme de confiance de Jacques Gonzalez, a servi d’intermédiaire à maintes reprises pour transporter des sacs contenant de l’argent.

Jacques Gonzalez avait beau être éloigné de la famille de Védrines, il apparaîtrait désormais, au fil de l’information judiciaire, comme ayant été le donneur d’ordres de Thierry Tilly. Jacques Gonzalez aurait notamment été destinataire de sommes prélevées sur les comptes de la Citybank, en Belgique, et aurait bénéficié de remises indirectes via un compte off-shore Abgral après la vente de terrains appartenant à la famille de Védrines.

Lors de son arrestation, en juin dernier, les policiers anglais ont découvert 35 000 euros dans un coffre qu’il louait auprès de la société Parlane, à Londres, mais aussi des comptes en Suisse, en Belgique (86 000 euros), des bijoux et montres de valeur, une garde-robe de luxe, des lithographies, grands crus et autres véhicules de marque, dont une BMW estimée à 95 000 euros.

« Jacques Gonzalez n’a eu aucun contact physique ni épistolaire avec la famille de Védrines. On peut donc s’interroger sur la façon dont il l’aurait manipulée », observe l’avocate Me Sylvie Reulet, conseil du sexagénaire parisien mis en examen pour blanchiment, organisation frauduleuse d’insolvabilité, abus de confiance, escroqueries, séquestration avec actes de torture et de barbarie, abus de faiblesse, extorsion de fonds, complicité, recel habituel et non-justification de ressources. « Dans cette affaire, on ne peut pas faire comme dans un jeu d’échecs et passer par-dessus un pion. Il y a quelque chose d’étrange dans cette construction d’emprise », admet encore Me Reulet. « Comment aurait-il pu agir à distance ? »

Le gourou Thierry Tilly aurait-il été lui-même manipulé ? On pourrait le penser, bien que Jacques Gonzalez l’ait contesté lors de leur confrontation dans le cabinet du magistrat instructeur.

Désormais sous contrôle judiciaire et bénéficiant d’un bracelet électronique, Jacques Gonzalez est assigné à résidence. Les enquêteurs tentent maintenant d’identifier les circuits et les flux financiers, car Thierry Tilly et celui qui semble avoir été son « patron » ont créé une véritable nébuleuse de comptes à l’étranger. Rappelons qu’à ce stade de la procédure, tous deux bénéficient de la présomption d’innocence.

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