En juillet 2004, les jeunes de Védrines sont envoyés à Londres. Trois d’entre eux se retrouvent entassés dans un appartement proche de l’ambassade des Etats-Unis — localisation présentée par Tilly comme sûre, dans le cadre du complot qui était supposé les viser — tandis qu’Amaury, qui souffre alors de problèmes de drogue et de dépression, est installé jour et nuit comme gardien d’un bureau censé abriter les locaux de la Blue Light Foundation pour laquelle aurait travaillé M. Tilly.
Diane, jeune femme vive et pleine d’humour, se rappelle qu’il n’y avait de l’eau chaude qu’un jour sur deux, de la lessive faite dans la douche, et surtout du « budget ridicule » accordé par Thierry Tilly, ce qui les obligeait à guetter les soldes au supermarché en fin d’après-midi et à manger « des yaourts périmés depuis un mois ». A la cantine de son école, elle gardait un fruit chaque jour « pour qu’à la fin de la semaine on en ait chacun un ».
Les jeunes gens vivent dans l’idée permanente du danger, M. Tilly leur présentant la moindre anecdote comme une preuve du complot. Pourtant, ils sont libres d’aller et venir.
« Il nous a mis un pistolet psychologique sur la tempe », toujours là, par mail ou téléphone depuis Oxford, pour distiller les craintes, « goutte par goutte, phrase par phrase », observe Diane.
Dans ces conditions, « si on part on est un traître ». « Ca ne nous a pas aidés d’être de la même famille. On s’est soutenus, mais dans le mauvais sens », regrette-t-elle, assurant qu’ils étaient tous « conditionnés ».
Quant à son frère Amaury, c’est pire, il passait sa journée tout seul dans un bureau sans salle de bain. « J’avais peur de le retrouver suicidé à chaque fois que je lui apportais à manger », se souvient-elle. Le jeune homme ne s’est toujours pas bien remis de découvrir le vrai visage de celui qu’il voyait avant comme « son meilleur ami, son « confident ».
« Je m’étais conditionné comme un orphelin, il était mon thérapeute », explique-t-il, s’étonnant n’avoir pendant dix ans « pas vu une once de perversité en lui ».
M. Tilly reste froid. « Je peux être ému par leur souffrance intime, pas par leur double langage », lâche-t-il.
La psychologue Geneviève Cédile, qui l’a examiné en prison, souligne sa volonté de « donner une image grandiose de lui-même ». Mais elle estime « qu’on peut comprendre qu’il ait exercé une fascination », par « sa voix et son regard », sa façon de « manier la carotte et le bâton, une imprévisibilité qui stupéfie et peut déstabiliser ».
Elle voit peu d’évolution possible pour le prévenu « s’il ne se remet pas en question ». Elle se demande même si M. Tilly ne croit pas un peu à ses histoires, à force de se les répéter, « Pas du délire, de l’affabulation », selon elle.
Succomber à Thierry Tilly n’était pas une fatalité. Mais ceux qui ont résisté s’en souviennent. Pendant dix ans, Jean Marchand, mari et père trop sceptique de trois des « reclus », a perdu sa famille. Il a d’abord été séquestré deux jours par ses beaux-frères, puis expulsé manu militari de son domicile par ceux-ci et son épouse, qui l’accusait alors d’appartenir à « un réseau » mystérieux.
Désormais réuni avec les siens, il regarde enfin M. Tilly bien en face, le jugeant « un être pervers, cruel et sadique(..) mais il a échoué parce que je me suis battu pour sauver ma famille. Il ne m’a jamais impressionné et ça ne va pas commencer aujourd’hui ».
Source : AFP Par Odile DUPERRY