Ouest-France

jeudi 08 novembre 2012

Pierrick BAUDAIS.

Il aura fallu près de dix ans pour qu’onze membres de la famille de Védrines ne soit plus soumis à l’emprise de Thierry Tilly, longtemps considéré comme un gourou.

Durant des années, ils ont vécu reclus dans le château de Martel, à Montflanquin (Lot-et-Garonne), puis dans une autre propriété familiale et enfin à Oxford, en Angleterre. Thierry Tilly, 48 ans, est accusé de les avoir manipulés et dépouillés d’au moins cinq millions d’euros (vente de propriétés immobilières, de placements financiers…).

Ce dernier vient de comparaître devant le tribunal de Bordeaux pour escroquerie, séquestration et abus de faiblesse de personnes en état de sujétion. Le procureur a requis dix ans de prison et quatre ans ferme à l’encontre de Jacques Gonzales, son complice. Jugement le 13 novembre.

Comment s’en sont-ils sortis ?

Le 23 octobre 2009, lorsque Thierry Tilly est interpellé en Suisse, neuf membres de la famille de Védrines se trouvent toujours à Oxford. Et n’en partent pas. « Ils sont dans une prison mentale. A ce moment-là, leur personnalité est encore anesthésiée », explique Me Daniel Picotin, l’avocat d’une partie de cette famille. Deux personnes ont réussi à s’en extraire : Philippe de Védrines, puis en mars 2009, sa belle-sœur, Christine de Védrines, 62 ans, documentaliste de formation.

« A cette époque, Thierry Tilly me faisait travailler dans une entreprise de sécurité alimentaire. Je lui reversais 90% de mon salaire. Avec l’aide du dirigeant, je suis parvenue à appeler ma sœur et ma meilleure amie qui sont venus me chercher en Angleterre », relate-t-elle. Christine de Védrines quitte Oxford en catimini. Arrivée en France, elle porte aussitôt plainte. Son mari et ses trois enfants, eux, sont toujours à Oxford, « sous l’emprise de Thierry Tilly ».

Qu’est-ce que la sortie d’emprise mentale ?

Pour parvenir à faire revenir le reste de la famille en France, Me Daniel Picotin va organiser deux opérations en Angleterre, en novembre et décembre 2009. Il pratique l’exit counseling ou la sortie d’emprise mentale. Cette technique est développée aux Etats-Unis par Steven Hassan, ancien membre de la secte Moon. L’objectif consiste à créer un déclic psychologique chez la personne vivant sous l’emprise d’un gourou ou d’une secte. « On appelle ça le décillement », précise Me Picotin qui s’est entouré d’un psychanalyste, d’un psychothérapeute et d’un éducateur spécialisé.

Mais avant de se rendre sur place et de rencontrer la personne sous emprise, un travail préparatoire a eu lieu avec Christine de Védrines. L’objectif est de recueillir « des informations très détaillées sur les victimes, les moments clés de leur vie », indique Steven Hassan qui aurait ainsi exfiltré, « de manière douce », plusieurs centaines de personnes aux Etats-Unis et ailleurs.

Concernant la famille de Védrines, avant les deux rencontres à Oxford , Christine a adressé plusieurs lettres à ses enfants et à son mari, entre avril et novembre 2009. « Elles ont permis de créer des encoches psychologiques, des sortes de points d’appui pour la suite », précise Me Picotin.

Lors du premier voyage en Angleterre, du 10 au 14 novembre 2009, seul Guillaume, 34 ans, pourra être approché. « Un des spécialistes est entré dans la maison et a réussi à lui parler », relate, encore émue, Christine de Védrines. Le déclic se produit. Pour son mari et ses deux autres enfants, il faudra attendre un second voyage, un mois plus tard.

Que prévoit la loi contre les victimes de sectes ou de gourous ?

Actuellement, le code pénal punit de trois ans d’emprisonnement et de 375000€ d’amende quelqu’un qui abuse frauduleusement de l’état d’ignorance ou de la situation de faiblesse d’un mineur, d’une personne particulièrement vulnérable (en raison de son âge, d’une maladie, d’une infirmité, d’une déficience psychique…) ou qui abuse « d’une personne en état de sujétion psychologique ou physique, résultant de l’exercice de pressions graves ou de techniques propres à altérer son jugement ».

Si cette infraction est commise par celui qui est à la tête d’une secte, la peine encourue est alors de cinq ans d’emprisonnement et de 750000€ d’amende. Il s’agit de la loi About-Picard de 2001.

Mais pour Me Picotin, également ancien député, la législation actuelle est insuffisante. « La jurisprudence estime que la plainte n’est recevable que par l’adepte ou la victime elle-même (…) Or, pour cela, encore faut-il qu’elle soit sortie de l’emprise mentale. » L’avocat formule donc une proposition de loi : faire de la « manipulation mentale préjudiciable » un délit à part entière. Objectif : faire en sorte que les familles des victimes puissent saisir les parquets de manière efficace.

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