LE BIEN PUBLIC / lundi 22 décembre 2008

Secte ou pas secte ? L’ambiance qui règne au sein de ce groupe de prières est marquée par le repliement, dans un réflexe de défense.
CE soir-là, le groupe de prières Amour et Miséricorde est réuni dans un pavillon modeste à Chevigny-Saint-Sauveur. Une quinzaine de personnes de tous âges, hommes et femmes m’attendent.
La télévision d’abord, à la suite des déclarations du président de la Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, notre édition de jeudi), puis la radio et la presse écrite les ont mis sur le devant de la scène. Ce regain d’intérêt a été suscité par la réouverture d’une enquête à leur sujet, demandée en appel à Dijon par un colonel en retraite, Pierre Boucher-Doigneau dont une partie de la famille milite dans ce groupe de prières depuis cinq ans. Il fait ainsi appel du non-lieu prononcé en juillet dernier, par un juge d’instruction dijonnais. Le parquet a autorisé la réouverture de l’enquête et la chambre d’instruction de la cour d’appel a mis son arrêt en délibéré au 18 mars 2009.

{{Drôle d’ambiance}}

En entrant, j’ai l’impression d’arriver dans une famille, réunie à la suite d’un drame. L’ambiance n’est pas à la fête de Noël. Un rapide tour de table et les présentations sont faites. Aucune agressivité, mais juste une inquiétude : « Je ne voulais pas vous recevoir. Mes propos sont toujours déformés » déclare Eliane Deschamps, une petite bonne femme qui se plaint de sa santé dégradée et du fait que personne ne semble s’en soucier : « Pourquoi les gens me poursuivent ainsi ? Je n’ai jamais rien demandé à personne. Il n’y a pas de groupe qui se serait fait autour de moi. Il y a juste des gens qui se réunissent pour prier régulièrement ensemble et qui s’entraident, comme on devrait toujours le faire, entre chrétiens ».
Il est clair que je ne parviendrai pas à percer le mystère de ce groupe au cours de cette entrevue, seulement recueillir des impressions et un ressenti. A toutes mes questions sur les prétendues « punitions, humiliations et pressions », chacun s’insurge contre de telles « bêtises ». Après tout, la justice n’aura qu’à faire son travail et débrouiller l’écheveau. En les écoutant, je me dis : c’est donc ça une « secte ». Un peu déçu, point de robes de bure ni de signes cabalistiques, seulement des bons Français moyens, tous empêtrés dans des problèmes personnels et familiaux, somme toute banales. La vérité est peut-être là, tout simplement : ils se retrouvent pour se réchauffer l’âme et se soutenir moralement. Je les trouve comme blottis les uns contre les autres.

C’est aussi ce qui peut déranger. Ils ont beau dire qu’ils mènent tous une vie indépendante au-delà du groupe, on comprend qu’ils se retrouvent très souvent et que c’est au minimum leur port d’attache.
Leur foi ou leurs croyances semblent solidement ancrées, raffermies par les épreuves.
Mais ce n’est pas la nature de leurs croyances qui intéresse désormais la justice, mais leurs comportements et leurs pratiques. A toutes les accusations portées par leurs principaux détracteurs, ils ont une réponse.

L’épouse et l’une des filles du colonel Boucher-Doigneau sont présentes. Leur arrivée au sein du groupe correspondrait selon elles, davantage à une fuite, loin d’un foyer où régnait la plus franche discorde. Très rapidement, on ne parle plus de croyances, mais de problèmes familiaux. Le pathos est lourd et profond, à l’image du conflit entre Eliane Deschamps et l’une de ses filles. Là aussi, les avocats pourront s’en donner à cœur joie.
Que penser de Daniel, cet homme qui déclare avoir été adepte de l’église de scientologie et qui a réussi à s’en sortir, après « avoir perdu beaucoup d’argent » et même sa femme : « Il m’a fallu beaucoup de courage pour me reconvertir et maintenant, on ose me dire que je serais à nouveau dans une secte ! »
En attendant l’éventuel procès, ils sont bien décidés à ne rien changer dans leur mode de vie : « On ne peut quand même pas nous interdire de prier » disent-ils, en refusant de comprendre que ce n’est pas le problème. Leurs détracteurs leur reprochent un comportement et des attitudes qui auraient conduit à un enfermement et un isolement de certains membres. C’est précisément ce que l’instruction devra déterminer.

Franck BASSOLEIL

lundi 22 décembre 2008

{{La nouvelle stratégie}}

Georges Fenech, nouveau président de la Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) a été clair, en dénonçant les agissements de ce groupe de prières. Pour lui, il y a bien une dérive sectaire caractérisée. Depuis trois ans déjà, cette « association » était suivie par les services d’enquête et les plaintes formulées par les familles et les anciennes victimes.
Georges Fenech nous confiait vendredi soir : « Il y a des cas avérés de ruptures familiales. On a l’habitude de voir ça quand il y a une emprise mentale et sectaire. On ne peut pas contester la légitimité d’un groupe de prières dans ses croyances. En soi, ce n’est pas condamnable. Mais on avait accumulé des preuves de confessions publiques. On voit que des jeunes enfants sont influencés par de longues journées de prières et totalement subjugués par une femme qui délivre des prétendus messages de la Vierge. Il y a aussi des cas concrets d’exigences financières. Le 11 décembre, on leur a rendu visite. C’est une nouvelle méthode que nous avons inaugurée.
Ce jour-là, je me suis rendu à Chaussin dans le Jura en me présentant au propriétaire qui nous a reçus librement. J’ai constaté qu’il y avait quatorze caravanes, toutes bien entretenues et propres.
J’ai ensuite rencontré l’une des filles d’Eliane Deschamps qui a fait preuve d’un grand courage et qui a réussi à sortir de cette emprise. J’ai également rencontré Eliane Deschamps. J’ai rencontré Mgr Minnerath à qui j’ai fait part de toutes nos découvertes. Je lui ai demandé s’il était allé les voir. Il m’a dit que non. Il me semble que l’évêque du Jura a été plus clair dans ses rapports et moins ambigu.
Aujourd’hui (vendredi) deux de mes conseillers techniques ont fait le point sur cette affaire, au conseil général, à l’occasion de la signature du protocole « violences conjugales en Côte-d’Or ». On donne tous les éléments que nous possédons au préfet.
Georges Fenech nous a également clairement exposé sa nouvelle stratégie.

Regrettant que la nouvelle loi About-Picard de 2001 ne soit pas assez appliquée, il a organisé dernièrement une session de formation qui rassemblait 150 magistrats.
Cette nouvelle loi a été appliquée une première fois à l’encontre de Néo Phare à Nantes, une instruction est en cours à Lisieux et une douzaine d’enquêtes dans différentes juridictions. Il est apparu à la Miviludes que cette nouvelle notion d’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de faiblesse plongeait aisément les enquêteurs et les magistrats dans un certain embarras. Pour lever toute difficulté, Georges Fenech envisage de créer une « cellule d’intervention mobile sur les agissements sectaires » qui seconderait les enquêteurs et les magistrats. Ces spécialistes proviendraient du secrétariat général de la Miviludes. Toujours dans cet esprit, Georges Fenech déclare vouloir donner une dimension plus opérationnelle à sa mission.