De grosses berlines immatriculées en Autriche, ou en Allemagne que l’on préfère garer un peu plus loin. Des minibus de location aux vitres fumées. Et des va-et-vient incessants… Mais discrets. Si discrets. Trop discrets ?

La nuit surtout, à n’importe quelle heure, des petits soldats muets, tête baissée, chargés de paquets et valises énormes, se dirigent tous vers un seul lieu : l’hôtel Europe Village. Voilà de quoi inquiéter, sinon intriguer, les riverains du quartier chic du Cap-Martin.

Car l’hôtel Europe Village n’est plus un hôtel. Qu’est donc devenu cet ensemble de 27 chambres vendu le 31 juillet à une SCI, délicieusement nommée Skylove ? C’est ce qu’aimerait savoir Liliane qui habite à deux pas de là : « Ils arrivent par 20 ou 30 à la fois, jusqu’à plus de 100 dans la même soirée. C’est pas très rassurant, non ? Et ça va déprécier le quartier. »

Une armée de l’ombre

Jane, soucieuse, s’interroge aussi : « On dirait une armée de l’ombre. Ils rentrent et sortent en pleine nuit. Dans le silence le plus total. Ils ne nous dérangent pas, c’est le moins que l’on puisse dire, mais… »

Quant à Pierre, joggeur régulier, plus curieux que les autres, il a déjà jeté plusieurs fois un oeil à travers la haie : « Ils plantent des tentes et regardent tous dans la même direction. Je pense que c’est un écran plat dans le jardin. Mais on entend une mouche voler. Pour la plupart, ce sont des Asiatiques. Il y a quelques Européens, mais très peu. »

« On est juste des amis »

Et déjà le bruit court. Vite. Est-ce une secte ? De nombreuses voitures garées dans les rues alentours arborent le même médaillon à l’effigie du Maître Suprême Ching Hai. Jolie Asiatique, blonde, sans âge. A la tête d’une télé sur le net et d’un mouvement à caractère mondial : l’AIMSCH (l’Association internationale du Maître Suprême Ching Hai).

La police municipale de Roquebrune-Cap-Martin précise : « Au départ, le milliardaire russe Abramovich a essayé d’acheter la propriété. Et puis, au dernier moment, c’est Skylove qui a signé et cette SCI loue l’ancien hôtel à l’AIMSCH. ça nous a un peu intrigués, on est allés sur place. Nos interlocuteurs ont été charmants mais ne nous ont pas laissé entrer. »

Effectivement. Durant la journée, lorsque l’on cogne au portail de l’ancien hôtel, c’est un ouvrier qui vient ouvrir. Ils sont nombreux – très nombreux même – à travailler dans la propriété.

Mais lorsque les journalistes se présentent à l’entrée, les petites mains courent alors chercher une sorte de responsable et referment soigneusement le portail derrière eux. En anglais, large sourire mais un peu fébrile, la jeune femme nous répond sur le pas de la porte : « Nous sommes juste des amis et nous nous rencontrons pour discuter, faire la fête. Ce que font des amis, quoi ! » Des amis qui portent au cou la photo de la déesse Ching Hai et au doigt les bagues qu’elle met en vente (chères) sur son site Internet (lire par ailleurs). Demi-tour, on n’en saura pas plus.

Patrick Césari, le maire de Roquebrune-Cap-Martin, affiche sa vigilance : « Nous avons eu vent de regroupements, sans avoir toutefois de plaintes particulières. Nous suivons avec une grande attention tout cela. Les services de l’état ont été informés. »

C’est vrai. La police nationale de Menton est avisée. Et l’« affaire » est sur le bureau du SDIG (Service départemental de l’information générale) et dans les mains du chargé du culte et des dérives sectaires.

Et à Roquebrune, les membres de l’association de Ching Hai décident finalement de nous parler un peu plus. Une certaine Eva nous contacte. Elle affirme appeler de Paris : « A Roquebrune, ce n’est plus un hôtel maintenant, mais un lieu privé pour les membres de notre association qui veulent se retrouver. Et uniquement pour eux. Ce n’est pas un centre où l’on donne des renseignements. » Et la gratuité de ce lieu privé semble toute relative : « Disons que les membres participent à leur hébergement », bafouille Eva.

Au sujet de la SCI Skylove, notre interlocutrice « ne sait pas trop, mais pourrait se renseigner ». Quelques minutes plus tard, elle lâchera : « Je crois que la gérante de la SCI est une personne en contact avec Maître Suprême. Les fonds proviennent peut-être un peu de Ching Hai et aussi certainement de généreux donateurs. Vous savez, certains ont des entreprises à l’étranger qui gagnent des milliards d’euros, alors pour eux, c’est peu. » Une explication laconique qui ne rassure en rien le voisinage.

« Les fonds ? De généreux donateurs… »

Stéphanie Gasiglia

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