À partir de l’âge de 15 ans, Magalie a vécu au sein de la communauté sectaire fondée et dirigée par sa mère, Éliane. Ayant pris conscience des manipulations de cette dernière, Magalie a quitté le groupe et se bat aujourd’hui contre elle. Elle raconte à Olivier Delacroix* les manipulations de sa mère gourou.

Le 15 août 1996, la mère de Magalie, Éliane, a affirmé voir apparaître la Vierge dans les bois. Réunissant autour d’elle de plus en plus de personnes, cette dernière a fondé l’association Amour et Miséricorde en 2000, un groupe aux dérives sectaires dont elle est le leader. Pendant cinq ans, Magalie a vécu au sein de la communauté, jusqu’à ce qu’elle rencontre son mari. Ayant pris conscience des sévices exercés par sa mère sur les membres de la communauté, Magalie a quitté le groupe. Elle raconte à Olivier Delacroix sa vie passée au sein de la communauté et son combat pour faire cesser les agissements de sa mère. 

Magalie évoque son enfance et son adolescence passées auprès de sa mère avant qu’elle ne fonde sa communauté : “Ma mère était chrétienne. Elle l’est devenue très intensément quand elle a commencé à héberger des SDF pour essayer de les sortir de l’ennui dans lequel ils étaient. À ce moment-là, on commençait déjà à ne plus avoir une vie de famille classique. Il fallait qu’on partage nos chambres. Ils habitaient là, mangeaient, se lavaient, dormaient…

Mon papa ne le savait pas. Mes parents ont divorcé quand j’avais trois mois. Je n’ai pas eu de relations avec mon père avant longtemps. Ma mère m’a toujours dit des méchancetés sur lui. Ce n’étaient que des choses négatives, jamais de choses positives. Elle disait qu’il ne voulait pas nous voir, qu’il s’en fichait de nous et que ce n’était pas un papa, juste un géniteur. Je ne le voyais jamais. Donc, je me disais qu’elle avait raison.”

Ce n’était pas possible de mettre la parole de ma mère en doute

Magalie a vécu ainsi jusqu’à l’âge de 15 ans. Elle se souvient de ce soir d’août 1996, où sa mère a prétendu voir une apparition de la Vierge : “Une amie de ma mère l’a appelée en lui disant qu’il y aurait l’apparition d’une dame blanche le 15 août à minuit dans les bois. Mon beau-père et nous les cinq enfants sommes partis dans les bois, ce 15 août 1996, voir ce qu’il s’y passait. À 00h06, ma mère a fait son signe de croix et a commencé à monter le chemin sur lequel on était.

On l’a entendue dire ‘oui’ trois fois. On regardait le talus en se demandant ce qu’elle faisait et à qui elle parlait. On ne comprenait rien. Quand elle a fini de parler à cette apparition, elle nous a dit qu’elle avait vu une dame qui lui a demandé de revenir ici tous les 15 du mois. On lui a fait confiance. Ce n’était pas possible de mettre la parole de ma mère en doute parce qu’elle ne nous avait jamais menti avant. On l’a crue. Puis, on y est retournés les mois d’après. Ça a commencé comme ça.”

Je ne l’appelle plus maman parce que ça se mérite

La communauté s’est alors formée autour de la mère de Magalie : “Ma mère et ses amis en avaient parlé. Il y avait bien plus de monde que la première fois. Ces gens sont venus et en ont reparlé. Ça a créé un effet de masse très vite. Au bout du sixième mois d’apparition, des cars venaient en pèlerinage. C’était fou. On est très vite arrivé à 150 personnes sur le lieu de l’apparition. La communauté s’est vraiment construite quand plusieurs personnes ont habité au sein du foyer de ma mère et de mon beau-père. Ils ont créé une association.

Ces personnes venaient de milieux différents. Il y avait des gens au chômage, des dentistes, des infirmières, des notaires… C’était le camping. Ce n’était pas une vie de famille ordinaire. On était 14 autour d’une table. On ne racontait pas notre journée à l’école ou au boulot. Tout tournait autour d’Éliane, pas de nous. Si on n’était pas là, c’était pareil. Elle est devenue autoritaire, toujours en train de crier. Il fallait faire ce qu’Éliane demandait. Je ne l’appelle plus maman parce que ça se mérite. Être une maman, ce n’est pas juste un nom. Elle n’est plus ma mère.”

Quand le corps d’Éliane parlait, c’était le Seigneur

Quand l’association Amour et Miséricorde a été fondée en 2000, Magalie explique n’avoir jamais remis en cause les paroles de sa mère : “Je faisais partie intégrante de tous les membres de la communauté. Je n’étais plus sa fille. Je faisais partie du groupe. Elle me disait qu’elle avait donné sa vie à Dieu, qu’elle nous avait offert à Dieu et qu’elle ne s’inquiétait pas pour nous. Quand le corps d’Éliane parlait, c’était le Seigneur. Je ne me doutais pas que ce que ma mère disait, faisait et ordonnait, n’était pas bon.”

Cinq ans plus tard, quand elle avait 20 ans, Magalie a rencontré son mari et a pris conscience des agissements de sa mère : “Mon mari s’est rendu compte des failles dès le début. Il est athée. Ma mère n’a jamais pu lui mettre le grappin dessus. Il ne participait pas, mais il était sur le site. Il voyait la façon que ma mère avait de parler, son autoritarisme, l’emprise qu’elle avait sur les gens et la façon qu’elle avait de les faire pleurer en un claquement de doigts. Il s’en est rendu compte, alors que moi, je refusais de le voir. Il avait raison. Il y avait beaucoup de choses qui n’étaient pas normales. C’est comme ça que j’ai commencé à ouvrir les yeux.”

Ça ne peut pas être une mère

Magalie s’est ensuite rapprochée de son père, mais celui-ci est décédé quelques mois après leurs retrouvailles. Ce décès a alors mis au jour les mensonges de sa mère : “Les papiers que j’ai retrouvés quand mon papa est décédé parlaient d’eux-mêmes. Ça a été doublement douloureux. Ma mère refusait que mon père nous voie, contrairement à ce qu’elle disait. Cet homme a eu soif de connaître ses enfants toute sa vie, de nous voir grandir et on lui a enlevé ce bonheur de papa.

Ça ne peut pas être une mère. Elle m’a menti durant des années, disant que mon papa refusait de nous voir, qu’il ne payait pas ses pensions alimentaires, qu’il ne subvenait même pas à nos besoins, alors que c’était complètement faux. J’ai vu les papiers. J’ai découvert ça quand mon petit père est parti. C’est de la manipulation. C’est manipuler l’esprit d’un enfant. Parce que c’était ma mère, elle se donnait le droit de me raconter des mensonges.”

Après avoir découvert la vérité, Magalie a quitté la communauté et s’est rebellée contre sa mère. Elle soutient les personnes dont les proches appartiennent au groupe, comme Alette. Douze membres de sa famille font partie de l’association Amour et Miséricorde. Cette dernière se livre au sujet de sa rencontre avec Magalie : “C’est des nouvelles des proches. C’est aussi la preuve qu’on peut sortir et qu’on peut comprendre. C’est un espoir fantastique pour nous. Cette manipulation est venue de façon tellement insidieuse, qu’on ne s’en rend même plus compte.

L’enfermement est physique, moral et psychologique. On vous répète tous les jours la même chose et on vous fait vivre tous les jours de la même manière. Cela fait dix ans en ce qui concerne les membres de ma famille. Dix années, c’est long. C’est beaucoup de jours. C’est beaucoup de fois où on leur a demandé : ‘Jusqu’à quand vas-tu rester avec nous ?’, et qu’ils ont répondu : ‘Jusqu’à ce que mes yeux se ferment’. En plus, elle devient le Christ. On ne peut plus du tout se défaire de ça.”

C’est le Christ qui parle

Marie-France, dont le fils unique appartient au groupe, poursuit : “On ne peut pas s’y opposer. C’est le Christ qui parle. Les ordres sont donnés par le Christ. On s’exécute, dans la crainte de déplaire au Christ. On l’a compris grâce à ceux qui en sont sortis et qui nous ont expliqué. C’était inespéré qu’on ait cette version de ce qui se passait à l’intérieur. J’en ai fait l’expérience. Je suis allée en surprise dans la propriété où ils habitaient pour les 30 ans de mon fils. Spontanément, mon fils a été très accueillant et heureux de me voir.

Je lui ai dit que je l’invitais au restaurant. On était très observés. On leur avait demandé de nous observer. Éliane est revenue et mon fils était complètement métamorphosé. Il était tremblant et blême. Il a décommandé tous les projets qu’on avait faits. Manifestement, il s’était fait remonter les bretelles à l’intérieur. Il paraît qu’Éliane était dans une colère folle : ‘Tu n’iras pas voir ta mère. Je t’interdis d’aller dîner en famille.’ Je le sais par une personne plus âgée qui est sortie du groupe.”

On a tous reçu des courriers de rupture

Alette confie avoir reçu des lettres de rupture de la part de ses proches : “On a tous reçu des courriers de rupture, même des gens qui n’étaient pas spécialement intéressés par ce qu’il se passait dedans, comme certains de mes frères et sœurs. Ils ont tous reçu un courrier de rupture.” Magalie explique la raison de ces courriers : “Les membres ont pris l’habitude de tout référer à Éliane. Si on reçoit un courrier, on prend une feuille et un crayon, on s’installe à la table d’Éliane, elle dicte et on écrit.”

La dernière lettre que Marie-France a reçu de son fils est aussi un courrier de rupture. Ce dernier a tout quitté pour rejoindre la communauté il y a onze ans. Il avait alors 25 ans. Marie-France a gardé sa lettre : “Des contacts sont restés jusqu’à une coupure totale. Dans la dernière lettre que j’ai reçue, il m’appelle Madame : ‘Madame, encore un courrier recommandé, que cela cache-t-il ? Je n’ai que faire de tes intrigues, mensonges, dissimulations et je te tiens avisée que désormais, tout courrier de ta main qui me sera adressé te sera immédiatement retourné sans être lu. Je n’ai plus rien à faire avec toi, vue ta méchanceté sans limite’.

Pour sortir d’une emprise aussi forte, il faut autant de temps qu’on y a passé

C’est épouvantable. Ça montre une distance énorme. C’est douloureux. Bien sûr que j’espère le revoir. J’arrive à un certain âge et mon seul espoir, c’est de le revoir et lui parler. Tout ce que je demande, c’est de pouvoir lui parler. Souvent, j’ai rêvé qu’on sonne à ma porte et que je vois arriver mon fils, mais je pense que ce n’est pas maintenant que ça se produira. On y pense le jour, on y pense la nuit. C’est presque devenu obsessionnel.

Pour espérer avancer et dénoncer ce qu’il se passe, une instruction est en cours. La justice est mêlée à cette affaire. J’ai porté plainte. Ce que nous souhaitons, ce n’est pas récupérer les membres de nos familles ; c’est qu’ils puissent être libres de choisir leur vie, libres de pouvoir s’engager dans ce qu’ils veulent. Actuellement, ils ne le sont pas. L’avenir sera sûrement dur parce que pour sortir d’une emprise aussi forte, il faut autant de temps qu’on y a passé. C’est ce qu’on nous dit.”

Le plus douloureux, c’est de se dire que c’est ma mère

En attendant l’issue de cette affaire, Magalie poursuit son combat contre sa mère : “Je n’accepte pas que ça continue. Je n’accepte pas qu’il reste encore des gens sous son emprise. Je n’accepte pas que qu’elle n’ait jamais dit la vérité. Je préfère me dire qu’elle est décédée plutôt que de me dire qu’elle est vivante quelque part, qu’elle continue à faire du mal et qu’elle s’est moqué de nous. Nous, ce ne sont pas ses enfants, c’est nous tous : moi, ceux qui sont encore dedans et ceux qui en sont sortis. Le plus douloureux, c’est de se dire que c’est ma mère. J’ai encore du mal à concevoir qu’une mère puisse à ce point abuser psychologiquement de ses enfants.”

source : https://www.europe1.fr/societe/sa-mere-dirige-une-communaute-sectaire-elle-nest-plus-ma-mere-4065096

  • “Dans les yeux d’Olivier”