Jamais un procès impliquant la scientologie ne se déroule normalement. Celui qui se tient actuellement à Bruxelles n’a pas échappé à la règle. Il vient d’être brusquement suspendu deux semaines après un malaise du procureur fédéral, Christophe Caliman, hospitalisé la veille de son très attendu réquisitoire. Sans doute trop de pression pour le magistrat, qui a supervisé les investigations durant près de vingt ans et se retrouve désormais seul face à la secte, après le désistement de tous les plaignants. Depuis l’ouverture de l’instruction, en 1997, l’ensemble des victimes ont retiré leur plainte une par une, la scientologie ayant l’habitude de signer de très gros chèques pour éviter les procès.

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L’organisation fondée par Ron Hubbard n’en reste pas moins poursuivie en Belgique pour «fraude», «extorsion de fonds», «faux et usage de faux», «pratique illégale de la médecine», et surtout «organisation criminelle». L’enquête judiciaire, qui s’appuie sur plusieurs dizaines d’auditions et des milliers de documents saisis en perquisition, vise aussi bien les pratiques «religieuses» de la secte que ses méthodes de fichage des membres ou ses techniques de recrutement. La scientologie est notamment accusée d’avoir publié des fausses offres d’emploi dans la presse belge pour enrôler de nouveaux adeptes. En creux, c’est aussi le financement international de l’organisation qui est visé par la justice, chaque «paroisse» étant tenue de faire remonter une partie de ses bénéfices vers la maison mère. Grâce à ce système de pompage, la scientologie est aujourd’hui à la tête d’un trésor estimé à plus de 3 milliards de dollars.

{{Service de renseignement de la secte}}

Le réquisitoire est d’autant plus attendu que le procureur a la possibilité de demander la dissolution pure et simple de la scientologie en Belgique. Douze personnes sont poursuivies dans ce dossier, dont plusieurs pontes du mouvement. Parmi eux : Martin Weightman, qui a fondé en 1990 le bureau européen de la scientologie. Ou encore Fabio Amicarelli, qui coordonne actuellement aux Etats-Unis les programmes humanitaires de la scientologie internationale. Tous les deux sont aussi des membres actifs de l’OSA (Office of Special Affairs), le service de renseignement de la secte, qui a dépêché plusieurs de ses sbires à Bruxelles. Deux personnes morales ont également été renvoyées devant le tribunal correctionnel : l’ASBL Eglise Scientologie Belgique et l’ASBL Eglise Scientologie Europe.

Pour assurer sa défense, la secte a embauché certains des meilleurs ténors du barreau belge, dont l’ancien bâtonnier Pascal Vanderveeren ou l’avocat Xavier Magnée, connu notamment pour avoir défendu Marc Dutroux. Depuis le début des débats, ces derniers se retranchent derrière la liberté religieuse pour justifier les dérives de la scientologie, déjà condamnée en France pour «escroquerie en bande organisée».

Un éminent professeur de droit à l’université de Sienne (Italie), cité par la défense, est ainsi venu expliquer longuement au tribunal le caractère «sacré» de la scientologie. Les avocats s’échinent également à discréditer une instruction jugée partiale. De fait, rarement un procureur fédéral n’avait été autant ciblé par les attaques. Le jour de son malaise, l’association Safe (Scientologists Alliance for Freedom in Europe), un des nombreux paravents de la secte, a porté plainte contre lui devant le représentant des Nations unies pour la liberté religieuse, dénonçant un «acharnement judiciaire» et une violation inadmissible des «droits fondamentaux».

L’hospitalisation du procureur a créé une rare pagaille au palais de justice, l’agenda du procès étant calé depuis des mois. Magnanime, le président du tribunal lui a donné deux semaines pour se rétablir, remettant au 24 novembre son grand oral, prévu pour durer huit heures. S’il n’est pas sur pied à cette date, c’est son substitut Jean Pascal Thoreau qui devra s’y coller. Problème : ce dernier n’a été jusqu’ici un support technique dans la procédure et connaît bien moins le dossier. S’il devait remplacer le procureur Caliman au pied levé, nul doute que l’impact de son réquisitoire serait moins fort sur le tribunal. Une perspective qui fait déjà saliver les scientologues.

Pour un récit détaillé du procès belge, lire l’excellent blog de Jonny Jacobsen https://www.byline.com/journalist/jonnyjacobsen/project

par Emmanuel Fansten envoyé spécial à Bruxelles 11 novembre 2015 à 15
source : liberation.fr