GUILLAUME DASQUIÉ

QUOTIDIEN : mardi 9 septembre 2008

Aude-Claire M. estimait que l’Église de scientologie avait instrumentalisé sa fragilité affective dans le dessein d’extorquer ses maigres économies. Au terme de près de dix années d’enquête, le juge Jean-Christophe Hullin lui a donné raison. Hier , il a signé une ordonnance renvoyant les plus hautes instances scientologues devant le Tribunal correctionnel de Paris pour, notamment, «escroquerie en bande organisée, extorsion, et exercice illégal de la médecine». L’organisation risque le pire : un ordre de dissolution pure et simple.

Les 70 pages du magistrat, que Libération a consultées (lire-ci dessous), marquent donc un tournant. Contrairement à des affaires instruites par le passé, ce ne sont plus des subalternes qui répondront à la justice. Là, le quartier général de la scientologie en France devra s’expliquer devant le tribunal en tant que personne morale. Le juge considère en effet que l’Association spirituelle de l’Église de scientologie du 69, rue Legendre à Paris a sciemment trompé les personnes qui ont cru à ses miracles supposés. En particulier «en exerçant une emprise psychologique sur ses adeptes sous couvert de l’application de la doctrine de scientologique». Selon lui, les dirigeants de la secte «ont eu en l’espèce pour seul but de capter leur fortune et d’obtenir ainsi la remise de fonds».

Emprise. Alain Rosenberg, présenté comme le scientologue en chef pour le territoire français, est ainsi renvoyé en correctionnelle. Une société d’édition, la SEL, est également sommée de rejoindre le banc des accusés. Cette structure est chargée de vendre – parfois à prix d’or – les ouvrages du maître des scientologues, Ron Hubbard. La victime à l’origine du dossier, Aude-Claire M., a déclaré avoir englouti des sommes incongrues dans cette librairie, lorsqu’elle était sous l’emprise de l’Église de scientologie. Assurant que l’Eglise profitait de son état dépressif. Une facture de carte bancaire qu’elle a signée le 4 août 1998 montre qu’elle a acheté ce jour-là pour 10 941 francs (1670 euros) de livrets et de documents à la SEL.

L’avocat de cette plaignante, Olivier Morice, ne cachait pas sa satisfaction hier en découvrant les griefs retenus par le magistrat instructeur. Selon lui, «le juge s’est attaqué à la structure de l’Église de scientologie parisienne et non plus seulement aux lampistes que sont les membres de l’organisation». Avant de stigmatiser « l’attitude complaisante du parquet à l’égard de la scientologie ».

Car ce dossier défendu par le cabinet Morice a naguère manqué de rejoindre le rayon des affaires classées. Le 4 septembre 2006, le vice-procureur Jean-Paul Mazon avait demandé le non-lieu pour l’Église de scientologie et ses responsables. Le parquet de Paris avançait alors des motifs équivoques : l’organisation aurait suffisamment cloisonné ses diverses entités pour éviter à ses dirigeants d’être inquiétés.

La porte-parole de l’Église de scientologie, Danièle Gounord (lire page 4), a refusé de commenter les développements judiciaires d’hier, préférant que ses avocats prennent le temps de les examiner. Désormais, deux autres importantes instructions pourraient se trouver relancées. Celle d’un pianiste qui aurait été dévalisé par la scientologie. Et celle visant l’ancien président de la scientologie en France pour escroquerie, qui attend une décision de la cour d’appel.

Libération