http://www.slate.fr/story/46105/scientologie-justice

11 novembre 2011

Condamnée en 2009 pour escroquerie en bande organisée, l’organisation multiplie les manœuvres pour tenter de torpiller le procès en appel.

Avec la Scientologie, la justice tient souvent du miracle. Dossiers disparus, plaintes envolées, procédures interminables… rares sont les procès qui se déroulent normalement avec les héritiers de Ron Hubbard. Celui qui se tient depuis le 3 novembre devant la cour d’appel de Paris n’échappe pas à la règle.

Lors du procès en première instance, en 2009, le parquet avait requis la dissolution pure et simple des deux principales structures de la Scientologie française, le Celebrity Centre et sa librairie SEL.

Problème: une mystérieuse modification législative votée en catimini un mois plus tôt empêchait justement la dissolution d’une personne morale pour escroquerie.

A l’époque, l’affaire fait grand bruit. Certains députés vont même jusqu’à évoquer une infiltration de la Scientologie au cœur de la Chancellerie. Après enquête interne, on découvrira finalement que le changement de loi est dû à la «bourde» d’un administrateur de l’Assemblée nationale.

Un malaise d’autant plus difficile à dissiper que la Scientologie, s’estimant flouée par les réquisitions illégales du parquet, assignera quelques mois plus tard l’Etat français pour faute lourde, réclamant au passage un million d’euros de dommages et intérêts…

Rachat de plaintesMalgré ces péripéties, la Scientologie a été lourdement condamnée en première instance: des peines de dix mois à deux ans de prison avec sursis pour les principaux prévenus.

Mais surtout 600.000 euros d’amende pour la personne morale, reconnue coupable d’escroquerie en bande organisée et d’exercice illégal de la pharmacie. Plus que d’éventuels lampistes, c’est donc le système scientologue lui-même que la justice française a étrillé en 2009.

Deux ans plus tard, l’organisation a donc à cœur de laver cet affront. Et pour éviter toute nouvelle condamnation, catastrophique en termes d’image, la Scientologie est prête à payer le prix fort.

Selon une source interne, son service juridique a ainsi déboursé plus d’un million d’euros dans le procès actuel. Une manne qui comprend les honoraires de ses avocats, plus d’une demi-douzaine à l’audience, mais aussi les sommes versées aux victimes afin qu’elles retirent leur plainte, une vieille méthode scientologue.

Dernière à avoir accepté de monnayer son silence: Aude-Claire Malton, pourtant la seule plaignante à avoir résisté aux pressions jusqu’au procès en première instance.

Face au tribunal, la jeune femme avait alors raconté son premier contact avec la Scientologie, un soir de mai 1998, à la station de métro Opéra.

Après un «test de personnalité», on lui avait diagnostiqué une fragilité psychologique avant de l’orienter vers le centre parisien de la Scientologie. Entre les cours et les ouvrages, la nouvelle recrue avait alors dépensé 21.500 euros en quelques semaines, liquidant au passage son plan d’épargne-logement et son assurance-vie. Ruinée, elle avait même été escortée par un scientologue jusqu’aux portes d’un établissement de crédit…

«Climat malsain»Impossible de savoir combien la jeune femme a touché, depuis, pour se rétracter. Mais toutes les victimes ayant retiré leur plainte, il ne reste désormais que deux parties au procès en appel: l’Ordre des pharmaciens et l’Unadfi, la principale association anti-sectes française.

Une situation jugée insupportable par la Scientologie, qui n’a de cesse, depuis plusieurs années, de dénoncer une «police de la pensée» financée par les pouvoirs publics. Dans un épais dossier de presse distribué aux journalistes en marge du procès, l’organisation de Ron Hubbard s’en prend ainsi violemment à l’Unadfi:

«Son instrumentalisation de la justice à des fins partisanes et son intervention pour formater le discours d’anciens fidèles afin qu’il colle avec ses propres thèses liberticides sont la source des rumeurs qui entourent ce procès.»

Cette ligne de défense est largement reprise par les avocats de la Scientologie. «Nous ne sommes pas dans un procès, nous sommes dans un combat», a ainsi lancé l’un d’eux dès le premier jour d’audience. Cherchant à obtenir en vain le renvoi de l’affaire, multipliant les questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) pour retarder les débats sur le fond, les avocats ont également dénoncé le «climat malsain» et la «psychose» autour de ce dossier.

Difficile d’être dupe. Car derrière ces manœuvres procédurales, la Scientologie, classée comme «secte» dans un rapport parlementaire de 1995, cherche surtout à déplacer le débat sur le terrain de la liberté religieuse. C’est d’ailleurs un spécialiste de la question, Me Michel de Guillenchmidt, qui est venu opportunément grossir les rangs de la défense.

Lobbyiste bien connu des Témoins de Jéhovah, l’avocat ferraille depuis des années pour faire condamner la France pour discrimination religieuse. Un combat largement relayé par la Scientologie elle-même, qui n’hésite pas à saisir la Cour européenne des droits de l’homme à chaque condamnation.

«Ce procès sera l’occasion de poser des vraies questions sur le traitement des minorités religieuses en France», soulignait récemment la Scientologie dans un communiqué. Pas sûr toutefois que cette défense de rupture suffise à convaincre le tribunal. A moins qu’un nouveau miracle ne vienne sauver les scientologues.

Emmanuel Fansten