27.05.09 – n° 3326
par Joséphine Bataille
{{La Scientologie comparaît pour escroquerie. Ce procès révèle la difficulté de saisir le phénomène sectaire.}}
Le procès qui se tient, depuis le 25 mai et jusqu’au 17 juin, devant le tribunal correctionnel de Paris, est une première : l’Association spirituelle de l’Église de Scientologie, la principale organisation scientologue en France, comparait pour la première fois en tant que personne morale, avec la librairie SEL et sept de ses membres. Jugée pour « escroquerie en bande organisée », elle encourt des peines qui peuvent aller jusqu’à sa dissolution. À l’origine du procès, deux plaintes datant de 1998 – trois autres ont été retirées moyennant négociations financières avec les scientologues. Parmi les victimes, Aude-Claire Malton, personnalité vulnérable, qui, sous la pression supposée de la secte, a dépensé plus de 21 000 €.
Si elle a acquis, aux États-Unis, le statut de religion, la Scientologie n’a à peu près rien d’un culte, mais à peu près tout d’une entreprise commerciale en « bien-être psychique » – que les adeptes appellent plutôt « éveil personnel ». L’Église s’appuie sur la « dianétique », une « science de la santé mentale », inventée par son fondateur L. Ron Hubbard, qui permettrait d’accéder au bonheur en se purifiant des éléments mentaux négatifs. Après leur avoir proposé des tests de personnalité gratuits, l’Église incite les personnes à acquérir des « remèdes » à des tarifs exorbitants, à base de formations en communication, dianétique et « réparation de vie », de cures de vitamines (interdites à la vente libre) et de séances de sauna.
Ce positionnement sur le créneau psychologique est emblématique d’une tendance pointée par la Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires), dont le dernier rapport dénonce un dévoiement croissant de la démarche psychothérapeutique à des fins sectaires. « Pourtant, il ne suffit pas qu’un mouvement sorte du champ d’une définition réglementée de la psychothérapie pour qu’on puisse l’appréhender comme une secte, estime le sociologue Arnaud Esquerre, auteur de la Manipulation mentale, sociologie des sectes en France (Fayard). En se focalisant sur l’aspect psychologique, on est impuissant à saisir le phénomène sectaire, qui réside plutôt dans un type d’organisation – très hiérarchisé, sans souplesse, brassant beaucoup d’argent. »
De fait, ce n’est pas sur le caractère sectaire ou non de la Scientologie que le tribunal est appelé à se prononcer. Mais sur des faits d’escroquerie. Exit la question de l’état de « sujétion psychologique » des victimes ? Le concept avait été introduit dans le code pénal en 2001, par le truchement de la loi About-Picard. Celle-ci avait les sectes en ligne de mire, mais n’a guère trouvé matière à s’appliquer jusqu’à présent, ou alors en dehors du contexte sectaire. « Longtemps, c’est l’Église catholique qui a désigné les sectes, comme s’écartant du dogme reçu dans la religion. Aujourd’hui, on les définit comme des lieux de “manipulation mentale”, et tout l’effort étatique de lutte contre les sectes, à partir des années 1970, s’est bâti sur cette idée. Mais on s’aperçoit qu’il s’agit d’une notion à la fois très générale et bien difficile à cerner », souligne Arnaud Esquerre.
La question financière semble une accroche autrement plus efficace et pertinente au regard du code pénal pour juger d’éventuels escrocs. Que les deux plaignants présents au procès aient été acculés jusqu’à la ruine dans un engrenage destructeur et infini sera-t-il objectivement suffisant pour faire condamner le mouvement ? Le chef d’escroquerie a déjà permis de faire condamner, à titre individuel, plusieurs membres de la Scientologie, ces dernières années. Pourtant, dans le dossier qui fait aujourd’hui l’actualité, le ministère public avait requis en 2006, à la fin de l’instruction, un non- lieu pour absence de charges. De son côté, la Scientologie nie les faits et se maintient sur le registre religieux, criant pour sa défense à la persécution d’une « minorité de conscience ». « C’est un procès en hérésie, il y a une espèce d’acharnement contre l’Église de Scientologie », a déclaré Danièle Gounord, la porte-parole du mouvement.
Dans la lutte antisectes, la tendance actuelle est de viser les faits délictueux qui offrent une prise à la justice, plutôt que les mouvements susceptibles, par leur nature sectaire supposée, de les commettre. En témoigne la circulaire envoyée le 15 mai par le ministre de l’Intérieur chargé des cultes, Michèle Alliot-Marie, enjoignant les préfets à renforcer le caractère « opérationnel » de leur action, et annonçant la création à la police judiciaire d’une cellule d’assistance aux services de police et de gendarmerie. Un croche-pied à la Miviludes et à son président, Georges Fenech, qui maintiennent une volonté affichée de référencement des groupes à risque.
En 1995, la publication d’une « liste noire » des sectes, parmi lesquelles la Scientologie, avait déclenché la polémique. Aux plus hautes instances, donc, le débat sur la façon d’appréhender la lutte contre le phénomène sectaire continue.
La Vie