Pour la première fois, la secte est condamnée pour escroquerie, mais elle échappe à la dissolution.

Tuesday 27 October 2009

C’est un jugement qui fera date dans l’histoire de la lutte contre les sectes en France. Pour la première fois, l’Eglise de scientologie a été condamnée pour «escroquerie en bande organisée» par le tribunal correctionnel de Paris. Elle devra verser un total de 600.000 euros d’amendes: 400.000 euros devront être versés par l’Association spirituelle de l’Eglise de scientologie (le Celebrity Center); 200.000 euros par la librairie de l’organisation. Le tribunal a estimé que les activités de ces deux principales structures de la Scientologie en France sont de nature «frauduleuses».

En outre, quatre responsables français de la Scientologie – qui revendique 45.000 membres dans l’hexagone et 12 millions dans le monde – sont condamnés à des peines de prison avec sursis, échelonnées de dix mois à deux ans, et assorties d’amendes de 5.000 à 30.000 euros. La peine la plus lourde frappe son principal dirigeant français, Alain Rosenberg, 60 ans, condamné à deux ans de prison avec sursis et 30.000 euros d’amende. Deux autres sont condamnés à 1.000 et 2.000 euros d’amende pour exercice illégal de la pharmacie. Le parquet avait exigé quatre millions d’euros d’amendes contre les personnes morales, des peines de deux à quatre ans de prison avec sursis contre les personnes physiques et des amendes allant jusqu’à 150.000 euros, ainsi que des privations de droits civiques, option écartée par le tribunal.

Ce jugement fait suite au procès qui a eu lieu en juin intenté par deux plaignants qui disent avoir été dépouillés, entre 1997 et 1999, de plusieurs dizaines de milliers d’euros. Les précédentes condamnations, à Lyon en 1997 et Marseille en 1999, visaient des responsables scientologues, mais non l’organisation comme telle. C’est désormais chose faite: les méthodes de l’Eglise de scientologie comme les tests de recrutement, cures de «purification» avec saunas et joggings intensifs et utilisation de l’«électromètre», relèvent de l’escroquerie.

Condamnation sévère

Il s’agit du jugement le plus sévère jamais prononcé en France contre ce groupe à prétention religieuse d’origine américaine, créé en 1954 par l’écrivain de science-fiction Ron Hubbard, considéré comme une secte dans un rapport parlementaire français de 1996, mais qui se présente comme une nouvelle Eglise. La Scientologie, qui a toujours nié tout délit, va faire appel de ce jugement, ce qui suspend les sanctions en attendant le second procès, dans environ un an.

Dans les attendus, les juges font valoir que les droits de chaque individu à la liberté de conscience et de religion doivent toujours être respectés, mais ils soulignent que ces libertés ne supposent pas d’immunité préalable pour ceux qui peuvent s’en prévaloir. «Des individus qui utilisent une doctrine philosophique ou religieuse, dont l’objet est licite, à des fins financières ou commerciales, pour tromper volontairement des tiers, sont susceptibles d’être poursuivis pour escroquerie», note avec sévérité le jugement qui, à n’en pas douter, sera amplement repris dans l’argumentaire de toutes les organisations antisectes.

La publication de ce jugement est ordonnée dans sept médias français et américains, dont le Herald Tribune et Time magazine. Rappelons, en effet, que la secte est très présente et reconnue aux Etats-Unis. «C’est une décision importante et historique, car c’est la première fois que la Scientologie est condamnée pour escroquerie en bande organisée», a commenté Me Olivier Morice, un des avocats des parties civiles. Catherine Picard, présidente de l’association antisectes Unadfi, a ajouté: «le jugement est subtil et intelligent. Il va nuire à l’organisation et permettre de mieux la contrôler».

Infiltration?

Ce jugement laisse pourtant un goût d’inachevé. Si un coup sévère est aujourd’hui porté à l’Eglise de scientologie, ce n’est pas l’estocade finale escomptée par beaucoup. Pour deux raisons au moins. D’abord, la Scientologie est autorisée à poursuivre son activité. Les juges du tribunal correctionnel de Paris ont écarté la peine d’interdiction d’activité, car, écrivent-ils, elle «risquerait d’engendrer la continuation de l’activité en dehors de toute structure légale». Ensuite et surtout, la peine de dissolution visant l’Eglise de scientologie comme personne morale – qui avait été requise lors du procès – n’a pas pu être retenue par le tribunal parce qu’elle ne figure plus dans l’arsenal législatif visant les personnes morales convaincues d’escroquerie.

La lumière reste à faire sur cette modification législative intervenue très opportunément pour la Scientologie à la veille du procès, dans l’ignorance apparente de tout le monde judiciaire. Aujourd’hui encore, personne ne sait avec certitude s’il s’agit d’une erreur factuelle commise au niveau parlementaire ou la preuve d’une infiltration de la Scientologie dans les rouages de l’Etat. De récentes révélations publiées par Le Point du 22 octobre tendent à prouver que des avocats de la secte aux Etats-Unis avaient été prévenus de l’imminence d’un changement de la législation française sur les personnes morales.

La modification est intervenue dans le cadre de la loi dite «de simplification et de clarification du droit et d’allégement des procédures», un texte fourre-tout qui fut voté le 25 mai à l’initiative du député UMP Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois. Ce texte, qui reprécise les peines encourues par les personnes morales en matière de crimes ou délits, conserve la possibilité de prononcer contre elles l’interdiction à titre définitif d’exercer une ou plusieurs activités, ainsi que la fermeture définitive des établissements ayant servi à l’infraction. Mais il exclut la dissolution pour escroquerie ou toute autre cause.

Aussi étonnant que cela puisse paraître, cette modification législative était passée inaperçue, y compris des acteurs du procès de la Scientologie en juin. C’est la Miviludes (Mission interministérielle de lutte contre les dérives sectaires) qui, par hasard en septembre, a découvert le pot-aux-roses. «J’ai été surpris et consterné de voir qu’une disposition de cette importance avait pu être supprimée sans débat, avait réagi le président de la Miviludes, Georges Fenech, alors que la dissolution est nécessaire pour certaines organisations qui troublent l’ordre public.»

Michèle Alliot-Marie, la garde des sceaux, et l’Assemblée nationale ont plaidé l’erreur matérielle consécutive à la lourdeur de la tâche parlementaire. Elles ont pris des dispositions pour la corriger dans les meilleurs délais. Mais une ombre continue de peser sur ce jugement du 27 octobre. La portée symbolique de la condamnation qui frappe aujourd’hui l’Eglise de scientologie est atténuée par cette mise à l’écart d’une peine de dissolution qui aurait valu à la Scientologie d’être condamnée non seulement pour ses activités et méthodes, mais pour son existence même en tant que personne morale. Ce jugement ne manque ainsi pas d’apparaître comme une occasion gâchée.

Henri Tincq

http://www.slate.fr/story/12219/scientologie-escroquerie-justice-dissolution