Propos recueillis par Marie DESNOS
leJDD.fr

La Scientologie est renvoyée en tant que personne morale devant le tribunal correctionnel de Paris pour “escroquerie en bande organisée et exercice illégal de la pharmacie”. Une première du genre, qui marque une “belle avancée”, selon Jean-Pierre Brard, membre du Conseil d’orientation de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes).

L’Eglise de Scientologie est renvoyée devant le tribunal correctionnel de Paris pour “escroquerie en bande organisée et exercice illégal de la pharmacie”, a-t-on appris lundi d’une source proche du dossier. Le juge Jean-Christophe Hullin a signé lundi une ordonnance renvoyant l’Association spirituelle de l’Eglise de Scientologie (ASES -Celebrity centre), principale structure de l’association en France et sa librairie SEL (Scientologie espace liberté) en correctionnelle. Cette décision fait suite à une plainte d’une ancienne adepte, qui s’était constituée partie civile en 1998 après avoir versé près de 30 000 euros en échange de prestations fictives. Si des dirigeants de la Scientologie avaient déjà été condamnés à titre personnel pour escroquerie, et la Scientologie en tant que personne morale pour fichage informatique illégal, jamais elle ne l’avait été en tant que personne morale pour escroquerie.

Le juge d’instruction a prononcé le renvoi en correctionnelle contre l’avis du parquet, qui avait requis un non lieu. Le procès aura lieu l’an prochain. La Scientologie a réagi en dénonçant “un climat de stigmatisation entretenu par certaines institutions”. Dans un communiqué, elle estime que “le traitement particulier réservé aux dossiers concernant l’Eglise de Scientologie pose la question de l’équité du traitement judiciaire et du respect de la présomption d’innocence”. Une accusation qui vise directement la Miviludes (Conseil d’orientation de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires), dont fait partie Jean-Pierre Brard.

Que pensez-vous de l’ordonnance de renvoi de deux entités de la Scientologie en correctionnelle?
Enfin! C’est une très bonne nouvelle. Enfin les magistrats se servent des moyens juridiques que nous leur avons mis à disposition pour agir contre les sectes. Il y a aujourd’hui un processus de conscientisation (sic) de l’opinion publique. Et les magistrats, qui, sous leur charge de travail, ont longtemps hésité à intervenir sur la question sectaire, commencent à en prendre le chemin. Cette ordonnance est très importante dans la mesure où elle ouvre la voie à une dissolution de la Scientologie. Ce renvoi – sous réserve qu’il soit suivi d’une condamnation – est un pied mis dans la porte de la Scientologie, qui vit dans l’opacité totale. Et une dissolution serait un progrès immense dans la protection des personnes. Cette décision encourage à poursuivre l’action pour la protection des libertés individuelles.

Croyez-vous qu’une dissolution de l’Eglise de Scientologie se concrétiserait dans les faits?
On sait comment font les délinquants de manière générale – et la qualification de délinquant peut-être retenue pour la Scientologie dans la mesure où il y a délit. Ils essayent toujours de se reconstituer. Mais peu importe. Car la législation a dès lors le pouvoir d’intervenir. L’essentiel est que ce processus soit engagé. Désormais, les magistrats ont les moyens d’agir.

Qu’il aboutisse ou non à une dissolution, ce renvoi est donc important?
Tout à fait. Dans tous les cas c’est une avancée. Il prouve que notre travail d’explication porte ses fruits. Vous savez, ce travail d’information est très important. Jusqu’à il y a deux ans, les magistrats avaient encore une journée de formation sur les sectes. Si ce renvoi n’aboutissait pas à une condamnation, le processus serait seulement plus long. Je crois vraiment qu’aujourd’hui les magistrats sont sensibilisés et ont la ferme intention de pénaliser l’activité des sectes des lors qu’elles violent la loi.

Si une secte ne viole pas la loi, elle ne peut pas être sanctionnée juridiquement?
Non. Et cette distinction est très importante. Nous ne nous battons pas contre la Scientologie elle-même, mais contre ses déviances sectaires qui violent la loi. Prenons l’exemple des témoins de Jéhovah. Nous les poursuivons parce qu’ils refusent la transfusion sanguine.

En quoi la Scientologie viole-t-elle la loi?
Outre le fait que ses soi-disant pratiques religieuses relèvent de la fiction, la captation d’héritage en échange de prestation fictive est un procédé très fréquent.

En quoi est-elle une secte? Comment définiriez-vous la différence entre une religion et une secte?
C’est très simple. Beaucoup plus simple que l’on ne l’entend parfois. Une religion ne prône pas de rupture avec la famille et la société. Elle prône l’amour de son prochain. Tandis que les sectes diabolisent tout ce qui est externe à la secte. C’est pourquoi tant que l’adepte a encore un lien avec l’extérieur, il est récupérable.

On entend pourtant parfois que les religions sont des sectes…
Je vais vous donner un autre exemple. Celui de la Franc-maçonnerie. Je ne suis pas franc-maçon moi-même, mais je sais qu’il est très difficile de rentrer dans une loge et très facile de s’en faire virer. A l’inverse, il est très facile de rentrer dans une secte – on y entre souvent malgré soi – et très difficile d’en sortir.