Les membres de la commission d’enquête parlementaire “visant à élaborer une politique en vue de lutter contre les pratiques illégales des sectes et le danger qu’elles représentent pour la société et les personnes” ont eu raison de recommander, en 1997, la création d’un Centre d’information et d’avis sur les organisations sectaires nuisibles (CIAOSN). Depuis sa création, celui-ci ne cesse effectivement d’être sollicité, preuve qu’il répondait à un réel besoin. “Les autorités publiques nous demandent de formuler des avis ou des recommandations concernant l’un ou l’autre groupe”, explique Eric Brasseur, son directeur, “mais notre principale mission consiste à répondre aux questions qui nous sont posées par le public.” Pour ce faire, le CIAOSN analyse les documents de sources ouvertes qu’il récolte et dispose entre autres d’une bibliothèque particulièrement bien fournie. “C’est l’une des meilleures d’Europe”, précise Eric Brasseur, qui rappelle qu’elle est accessible à tous, sur simple demande.

Quel est le profil des personnes qui vous consultent?

Les personnes qui viennent ici ne nous donnent pas leur carte d’identité. Nous ne savons donc pas toujours qui elles sont vraiment. Par contre, la plupart d’entre elles nous disent pourquoi elles viennent. Ce sont généralement des personnes ayant un proche – un membre de la famille ou un ami – qui est entré dans un groupe. Elles viennent nous trouver, car elles constatent des changements dans ses habitudes, son mode de vie, ses relations avec autrui, et sont inquiètes. Nous sommes également consultés par des journalistes, des étudiants, des doctorants, des avocats, des policiers, des magistrats, des membres de la société civile… En?n, nous recevons également des membres ou des responsables de groupes qui viennent s’informer sur ce que nous disons à leur propos.

A partir de quand une secte est-elle considérée comme nuisible?

Je tiens tout d’abord à apporter quelques précisions. Au CIAOSN, nous ne parlons pas de sectes – même si les gens qui viennent nous trouver utilisent ce terme –, mais plutôt de groupes. Le mot “secte” n’a d’ailleurs pas forcément toujours une connotation négative. C’est notamment ainsi que l’on désigne les différents mouvements à l’intérieur du bouddhisme japonais. Ici, nous entendons par organisation sectaire nuisible, tout groupement à vocation philosophique ou religieuse, ou se prétendant tel, qui, dans son organisation ou sa pratique, se livre à des activités illégales dommageables, nuit aux individus ou à la société ou porte atteinte à la dignité humaine. Cela veut donc dire qu’il existe des groupes sectaires qui ne posent pas de problèmes à la société ou à l’individu.

Les médias parlent beaucoup moins des sectes que par le passé. Cela veut-il dire qu’elles ne représentent plus un danger aussi important?

Je ne pense pas que les médias soient un bon critère d’évaluation dans ce domaine. Depuis l’ouverture du centre, nous recevons toujours autant de demandes. Cela reste donc relativement stable. En fait, le problème des sectes, des schismes et des hérésies a toujours existé. La vraie différence, c’est qu’aujourd’hui, il y a des médias pour en parler. Cela étant, il convient de rester vigilants, de continuer à s’informer. Car c’est quand on cesse d’être vigilant que les problèmes surgissent.

En Belgique, y a-t-il beaucoup de groupes sectaires d’inspiration chrétienne?

Un tiers des demandes qui nous parviennent concerne des groupes d’inspiration chrétienne, et plus singulièrement protestante, mais cela ne veut pas dire pour autant qu’ils soient nocifs. Cela veut en tous cas dire qu’il y a des personnes qui se posent des questions. La plupart des demandes que nous recevons concernent des groupes de la mouvance pentecôtiste. Celleci est effectivement en pleine expansion. En dehors d’elle, s’il fallait dégager la dénomination d’inspiration chrétienne faisant l’objet du plus grand nombre de questions, il faudrait nommer les Témoins de Jéhovah. Quant aux questions relatives au catholicisme, elles sont très peu nombreuses, peut-être parce qu’il s’agit d’un culte extrêmement structuré et unitaire… et peut-être aussi parce que ce n’est pas un culte “exotique”.

Est-ce que l’arsenal juridique qui a été mis en place pour lutter contre les groupes nuisibles a évolué?

Je pense que nous sommes mieux armés juridiquement que lors de la création du Centre. Je pense notamment à la loi sur l’abus de situation de faiblesse du 26 novembre 2011, qui a permis d’améliorer la protection des personnes vulnérables. Il y a également des projets ou propositions qui touchent à la protection du titre et de la pratique de psychothérapeute. Quand ceux-ci seront adoptés, il sera plus aisé de s’élever contre les groupes exerçant des pratiques thérapeutiques nocives pour l’individu. Il faut savoir qu’un tiers des demandes concerne le domaine de la santé et du bien-être.

En décembre, le parquet fédéral a décidé de poursuivre l’Église de scientologie de Belgique devant la justice en tant qu’organisation criminelle. Comment avez-vous accueilli cette nouvelle?

Les procédures à l’encontre de la scientologie étaient entamées avant la fondation du Centre. Qu’elle soit poursuivie n’est donc pas une nouvelle en soi. Certes, une nouvelle étape a été franchie, mais ce qui est attendu aujourd’hui, c’est le début d’un procès. De fait, les chefs d’inculpation sont extrêmement graves: exercice illégal de la médecine et de la pharmacie, escroquerie, atteinte à la vie privée, organisation criminelle, association de malfaiteurs. Il est donc normal que les autorités de l’État s’intéressent à la scientologie, même si elle ne représente pas grand-monde. Elle compte effectivement moins de membres que la plupart des groupes actifs en Belgique, peut-être 300 ou 400 personnes. Je trouve d’ailleurs que la presse porte une attention beaucoup trop importante à ce groupe. Elle réagit systématiquement à ses communiqués et les amplifie, donnant l’impression qu’il est beaucoup plus important numériquement qu’il ne l’est en réalité.

source :
Numéro 14 – www.InfoCatho.be
Hebdomadaire du 14 avril 2013
Dimanche Express N°14 – 14 avril 2013

Propos recueillis par Pascal ANDRÉ

http://info.catho.be/2013/04/10/sectes-entre-phantasme-et-realite/