Les propos de la directrice de cabinet de Nicolas Sarkozy, Emmanuelle Mignon, estimant que les sectes constituent « une non-menace » et soutenant que la liste établie en 1995 serait « scandaleuse », ne constituent pas une surprise pour les spécialistes. Je dénonçais déjà dans le journal l’Immondialisation de novembre 2004 la capitulation du gouvernement Raffarin-Sarkozy-Villepin sous la pression américaine. Les faits ont depuis confirmé cette thèse : il n’est plus politiquement opportun de combattre les sectes et notamment la Scientologie. Comment en est-on arrivé à cette démission politique ?

Les sectes sont un des vecteurs de la mondialisation capitaliste, qui se réalise sous l’égide des États-Unis. On peut ainsi établir un parallèle entre la situation actuelle et celle des « nouveaux mouvements religieux » de la fin du XIXe et du début XXe siècle.

Les États-Unis utilisèrent déjà ouvertement certains mouvements (la théosophie notamment, mais aussi les mormons et les adventistes) pour combattre la « vieille Europe » et ses deux principaux adversaires de l’époque : le catholicisme et l’athéisme. Ces mouvements ont ensuite décliné du fait du succès, au cours du XXe siècle, des diverses idéologies progressistes (socialisme, féminisme, tiers-mondisme, freudisme, etc.). Ces mêmes sectes, ou d’autres, refont aujourd’hui surface dans le contexte de la nouvelle mondialisation et de l’effondrement des forces progressistes. Les États-Unis recommencent donc à exporter leurs sectes dans le cadre d’une « guerre des dieux » qui risque bien d’être un événement majeur du XXe siècle. La France a très vite perçu la dimension politique du phénomène sectaire.

J’ai commencé à travailler sur ce dossier dans le cadre d’une équipe constituée à la demande de Simone Veil, alors ministre de la Santé, puis j’ai continué sous d’autres couleurs politiques sans qu’il y ait de différences majeures d’orientation. À l’exception notable de la période où Alain Vivien dirigeait la MILS et s’était donné comme objectif d’aller vers la dissolution de la Scientologie considérée comme « secte absolue ». La France a subi alors d’énormes pressions américaines au niveau gouvernemental. On se souvient des rapports américains mettant la France au niveau des dictatures. Cette guerre larvée entre Paris et Washington n’aurait pas été aussi violente si la France s’était contentée de combattre les sectes sur son propre sol mais sa volonté de poursuivre le combat à l’étranger pour mieux défendre sa vision du monde la mettait en concurrence directe avec les États-Unis sur la question de la définition de la « liberté religieuse ». Cette notion ne signifie pas ce que chacun croit comprendre. Elle impose une nouvelle vision du monde notamment dans le domaine des rapports entre religion et politique, contraire à toute la conception républicaine. Le but est d’opposer à la conception des droits de l’homme et du citoyen issue de 1789 une conception des « droits de l’homme et du religieux » profondément antagoniste. Bill Clinton donnera raison au lobby religieux en faisant adopter en 1998 une loi qui permet au gouvernement américain de sanctionner les pays hostiles à cette vision. Peut-on ainsi au nom de sa foi violer des règles d’ordre public ? L’Allemagne nous en a donné une monstrueuse application avec l’affaire de cette juge, désavouée ensuite par un tribunal de Francfort, refusant d’accorder le divorce à une femme d’origine marocaine battue par son mari parce que le Coran ne condamne pas les mauvais traitements entre époux. L’adversaire principal de cette conception de la « liberté religieuse » se trouve être la France et sa maudite laïcité. La France s’est donc trouvée en concurrence directe avec les États-Unis sur la « question religieuse » internationale, c’est-à-dire sur la conception même de la société. Le gouvernement américain profitera de la réunion de l’OSCE du 27 octobre 1998 pour accuser la France d’être « la cheville ouvrière » d’un véritable plan concerté qui, sous le prétexte de la lutte anti-sectes, chercherait à étrangler cette nouvelle « liberté religieuse » et à nuire aux intérêts américains. L’ambassadeur spécial américain, Seipple, menacera même la France de déposer plainte devant l’OMC pour « discrimination à l’égard des minorités religieuses ». Face aux pressions, Paris rompra les relations diplomatiques sur ce dossier entre 1998 et 1999. La France tentera également de résister au rouleau compresseur américain en mobilisant d’autres pays (22 répondront présents à l’appel de la MILS). Le gouvernement français publiera même dans le International Herald Tribune (sous forme de publicité) un long texte argumenté contre la Scientologie américaine, reprenant mes propres travaux. Le but était alors de convaincre une partie de l’opinion publique américaine en passant par-dessus le gouvernement américain. Crime de lèse-majesté absolu.

Le 11 septembre 2001 constitue une rupture totale au sein du combat anti-secte. L’objectif est désormais de s’unir contre l’islamisme politique, ce qui suppose de revoir les jeux d’alliances internationaux, donc de cesser pour cela de vilipender la Scientologie. Les signes à destination du gouvernement américain se succèdent depuis à un rythme soutenu. On se souvient de la poignée de main volontairement médiatisée entre Sarkozy et Tom Cruise au moment même où le président Chirac refusait toute rencontre avec ce VRP de luxe de la Scientologie. On se souvient aussi de la lettre du 1er avril 2004 de Raffarin demandant de cesser de « stigmatiser » certaines sectes car, disait-il, « il importe que la France ne puisse être soupçonnée de porter atteinte aux libertés religieuses ». La transformation de la MILS en Miviludes fut aussi une façon de dire qu’il n’y avait plus de « secte absolue », bref que Paris ne considérait plus la Scientologie comme un danger. En somme, la France changeait radicalement de politique sans en informer les citoyens. Ce revirement est logique dans le cadre de l’importation en France de la révolution conservatrice mondiale symbolisée depuis par la victoire électorale de Sarkozy. La prochaine étape sera la reconnaissance officielle de la Scientologie. La gauche a aussi une part de responsabilité en ayant choisi de ne pas ébruiter les pressions américaines. Les citoyens peuvent cependant faire basculer la volonté du prince : quelle conception de la société veulent-ils léguer à leurs enfants ?

(*) Auteur de la Scientologie, une secte contre la République. Éditions Golias, 1999.

http://www.humanite.fr/2008-02-27_Tribune-libre_Sectes-Sarkozy-s-aligne-sur-Washington#envoiamiAncre

L’humanité, 27/02/2008