« Le crime se porte bien (…). Moins de sept cents par an, alors qu’on en comptait deux mille il y a dix ans. Mais les tentatives augmentent, preuve qu’on est de plus en plus maladroits. Pourtant on n’a jamais vu autant de crimes à la télé. En revanche, sachez que la plupart des jeunes qui partent pour faire le djihad se sont entraînés sur le jeu vidéo Call of Duty. »
{{La « propagande du califat » visée}}
Joint par LeMonde.fr, Alain Bauer précise par email avoir joué à Call of Duty comme à Grand Theft Auto (GTA). « Evidemment tous les joueurs ne sont ni djihadistes ni criminels. Rien dans l’article de VSD ne le dit. En revanche, toute la propagande du califat est basée sur les codes des jeux vidéo. »
Le criminologue ne cite pas ses sources, mais n’est pas le premier à opérer ce rapprochement. Dans une étude à la rigueur méthodologique contestée, l’ethnologue Dounia Bouzar, présidente du Centre de prévention contre les dérives sectaires liées à l’islam (CPDSI), avait notamment intégré Call of Duty parmi ses exemples de « modes identificatoires qui font basculer les jeunes », capture d’écran d’une page Facebook de djihadiste à l’appui.
Une page Facebook citée par le Centre de prévention contre les dérives sectaires liées à l’islam montre un profil de djihadiste illustré par un lion, symbole des partisans de Ben Laden, et Ghost, un des héros de « Call of Duty ». CPDSI
Mais l’étude se base sur un échantillon très limité (55 familles), qui ne permet pas de tirer de conclusions générales – et encore moins d’affirmer de manière massive que « les jeunes qui vont faire le djihad se sont entraînés sur le jeu Call of Duty », comme l’affirme Alain Bauer. La réutilisation des codes issus de jeux vidéo à succès ne vaut pas « entraînement ».
{{Les approximations du rapport de la CPDSI
Le rapport du CPDSI consacrait par ailleurs un long passage à l’analyse du jeu vidéo Assassin’s Creed et aux interprétations djihadistes qu’il ouvrirait :}}
« [Le jeu] reproduit l’escalade de violence constatée en Syrie et en Irak ces derniers mois. [Il] permettra au joueur de décapiter le roi de France dans le contexte de la Révolution française. La menace récemment prononcée à l’encontre de la France par l’Etat islamique et Jabhat al-Nusra ainsi que l’égorgement d’un ressortissant français en Algérie confirment cette tendance. Le message est d’autant plus fort que le terme “Unity” du jeu renvoie à la notion de “Tawhid” en arabe, qui signifie “le retour au principe divin” et qu’il n’existe rien en dehors de Dieu. »
Le rapport confondait en fait plusieurs jeux, le premier Assassin’s Creed, qui se déroule au temps des croisades, et Assassin’s Creed Unity, qui prend la Révolution française pour cadre et tient son nom, « unité », de la possibilité de jouer à plusieurs joueurs en équipe. Le document avait été très contesté par des experts de la question djihadiste.
Joint à l’époque par LeMonde.fr, Dounia Bouzar avait expliqué que ces analogies lui avaient été suggérées par les adolescents eux-mêmes. « Le but n’est pas d’accuser les films ou le jeu vidéo ni de dire qu’il y a un lien de cause à effet, mais de montrer que ces vidéos viennent toucher le jeune avec des œuvres familières », confiait-elle.
{{Ras-le-bol des joueurs}}
Au début de l’année 2015, le journal britannique DailyMail avait déjà accusé l’Etat islamique de détourner un jeu vidéo, Arma III, afin d’intégrer les troupes djihadistes et d’embrigader des enfants. Il s’agissait en réalité d’un « mod », une version trafiquée amateure du jeu, réalisée par un internaute passionné de conflits contemporains, et qui suite aux soupçons portés sur lui, a abandonné son projet.
aussi : L’étrange trajectoire d’Iraqi Warfare, le jeu vidéo permettant d’incarner l’Etat islamique
L’analyse d’Alain Bauer a été très peu goûtée des joueurs, habitués de longue date des sorties diabolisant les jeux vidéo.
En 1993 déjà, un article du Figaro attribuait la prise d’otages de la maternelle de Neuilly à un jeu vidéo, Super Mario Bros.
« Comme dans Supermario 2, l’acteur se protège dans son parcours par des « vies » – celles des enfants – des « superpouvoirs » – ceux procurés par ses explosifs – et cherche à gagner des pièces d’or. [sic] »
A la décharge d’Alain Bauer, des jeux vidéo d’entraînement militaire existent bel et bien. Bohemia Interactive, l’éditeur tchèque du jeu de guerre Arma III, commercialise en effet des solutions d’entraînement virtuels, les programmes Virtual Battlespace (ou VBS). La société compte l’US Army, la Royal Navy ou encore l’Armée de l’air française parmi ses clients.
Le dernier épisode de Call of Duty : Advanced Warfare propose au joueur de sauver le monde en utilisant un exosquelette à propulsion arrière, des grenades laser et des drones futuristes. Selon les chiffres Gfk/SELL, 900 000 copies s’en étaient vendues en France en 2014.
source :
http://www.lemonde.fr/pixels/article/2015/03/24/selon-alain-bauer-les-jeunes-qui-vont-faire-le-djihad-se-sont-exerces-sur-le-jeu-call-of-duty_4600206_4408996.html