Édito de Seneplus Par Momar Seyni Ndiaye

Macky Sall avait raison de souligner que la pauvreté et la maltraitance sont des terreaux du radicalisme. Il nous paraît à ce titre, plus concevable de lutter contre la cause et non les effets
Comme une sempiternelle rengaine, la commémoration des droits de l’enfance donne lieu à toutes les formes de proclamations des plus généreuses. Vœux pieux de la rhétorique gouvernementale, effets de manche des ONG prétendument spécialisées en la matière, fausse empathie des entreprises sociales, qui tirent fruit et usufruit de ce filon si juteux hélas ! Ce marronnier donne de la résonance à toutes les formes d’émissions et plateaux radio-télé et permet de remplir des pages entières des tabloïds et autres magazines, qui trouvent ainsi occasion à dépoussiérer les dossiers et enquêtes maintes fois servis à des publics intérieurement sidérés mais rendus indifférents par la routine, la récurrence du verbiage et l’inaction. Par acquis de conscience !

Une petite dose d’émotion et d’humanisme à la petite semaine peut en effet diffuser une certaine bonne conscience aux uns et aux autres pour que toutes ces hypocrisies se dédouanent de temps à autre de leur totale indifférence. Il est vrai qu’à force de cohabiter avec cette misère morale, sociale et économique, somme toute crasse, des enfants des rues, on est presque tentés de les «haïr». Sentiment d’impuissance, devant une maltraitance institutionnalisée, socialement acceptée et psycho-sociologiquement refoulée.

En effet, derrière cette apparente solidarité ou générosité par les oboles jetées dans l’escarcelle du pauvre, il y certainement pour la plupart des gens, plus de mépris que d’altruisme. Parce qu’incapable de mettre fin à cette violence faite à enfants, la société cherche à les culpabiliser. Nombreux sont ceux qui sont alors pris d’une folle envie d’exorciser cette teigneuse mauvaise conscience qui les hante dès que ces jeunes mendiants s’approchent d’eux pour implorer une pitance. Et comme pour refouler cet envahissant complexe, d’aucuns s’empressent de les rouer de questions sur leur niveau de connaissance du Coran. Comme si apprendre ou chercher à maîtriser les sourates du livre saint passait inéluctablement par la souffrance et devait justifier la violence et la souffrance.

Certains le soutiennent ouvertement et mordicus, comme ce «maître d’école» sanguinaire, dans les ondes d’une radio de place déclarant sans sourciller : «Pour que le Coran pénètre dans l’esprit de l’enfant, il faut qu’il saigne.» Quelle infamie !

La mendicité des enfants est alors perçue comme une forme d’incubation sociale, une sorte de rite d’étape par lequel, les jeunes pousses devraient passer pour s’armer contre les vicissitudes futures de la vie. Et comme pour se donner bonne conscience, ils citent à l’envi la réussite sociale de cadres, hommes d’affaires ou commerçants et autres tenanciers de l’informel sortis tout droit des fourches caudines des daaras. Ils occultent, cependant, toutes les autres victimes emportées dans leur tendre enfance par des sévices de tous ordres. Et tous les autres ex-talibés à jamais marqués par ces frustrations et maltraitance aussi handicapantes les unes que les autres.

Jamais et en aucun cas, la souffrance seule ne pourrait servir de levier pour assurer une promotion sociale d’une personne humaine au nom d’un principe simple qu’il n’est pas nécessaire de souffrir pour réussir. On peut apprendre à braver les épreuves inhérentes aux parcours humains sans tomber dans le masochisme. Aujourd’hui la technologie moderne vole au secours des apprenants. Des techniques modernes d’apprentissage du coran, permettent d’accéder au savoir sans subir les affres de la torture. Les moyens et lieux d’apprentissage du coran se sont démultipliés à un rythme exponentiel. Un programme de construction de daaras modernes est en chantier et commence à essaimer dans toutes les zones du Sénégal. Il offre des conditions optimales d’accès aux connaissances du livre saint et des matières instrumentales pour une meilleure ouverture sur le monde.

Mais des conservateurs d’un autre âge tentent de s’opposer à la nouvelle loi sur l’enseignement de la langue arabe et l’intrusion des daaras modernes dans notre système scolaire. Le gouvernement a reculé sous leur pression, pour des raisons purement politiciennes. Ce faisant, il laisse perpétuer un système inique qui maintient les enfants dans des conditions dignes de l’esclavage des temps modernes. Et pourtant les instruments juridiques pour sauver les enfants de la maltraitance existent.

La Stratégie nationale de protection de l’enfant (SNPE), censée encadrer les droits des enfants, a été adoptée depuis le conseil interministériel du 27 décembre 2013. Elle constitue selon le verbatim officiel, «le cadre de référence pour mettre en place un système intégré de protection de l’enfant conforme aux standards internationaux et vise à promouvoir un changement de comportement favorable au respect des droits de l’enfant». La SNPE se prévaut «d’offrir, à travers un système de protection intégré, un environnement politique, institutionnel et légal protecteur contre toutes formes de maltraitance, négligence, abus d’exploitations et violences que subissent les enfants». Elle s’inspire largement de convention internationale des droits de l’enfant en 2006 et la charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant. Un comité national consultatif des droits de l’homme sur la protection des enfants a pignon sur rue. Il a déjà tracé toute la cartographie et l’analyse des systèmes de protection de l’enfance au Sénégal et cherche à harmoniser les interventions et les modes de communication en la matière.

Avec de tels instruments que manque-t-il encore au Sénégal pour éradiquer ce fléau ? La volonté politique ! On dénombre entre 15 000 et 3000 enfants des rues au Sénégal, dont la majeure partie dans la seule région de Dakar. Peu importe d’où ils viennent ! De notre pays ou d’ailleurs !

Ce débat sur l’origine des enfants errant, mendiant ou travaillant est insensé. Il s’agit dans tous les cas, d’enfants qui souffrent, de gamins de très bas âge abandonnés à eux-mêmes, taillables et corvéables à merci. Il ne s’agit ni plus ni moins que de jeunes êtres humains, non responsables de leurs malheurs, soumis aux pires intempéries, torturés, violés sans ménagement et qu’il est impératif de sortir de ce cycle infernal de la violence. Ces marginaux, retraités avant l’heure constituent une bonne partie des forces vives de nos pays et doivent être traités comme des humains.

Parlant du terrorisme, le Président Sall avait bien raison de souligner que la pauvreté et la maltraitance en sont aussi des terreaux. Il nous paraît à ce titre, plus concevable de lutter contre la cause et non les effets. Rien ne dit que ces enfants frustrés aujourd’hui ne trouvent des raisons de se révolter contre l’ordre établi au mépris de leur avenir. Révoltés, ils pourraient retourner leurs armes avec cette violence inouïe aux systèmes institutionnels en place.

L’échec des politiques publiques et l’insouciance des gouvernants laissant prospérer une partie de la population au détriment de l’écrasante majorité constituent la principale cause du développement du terrorisme. En France ce sont les enfants de la banlieue (avec plus de 30 % de taux de chômage,) génération issue de l’émigration, qui constituent le plus gros bataillon des /islamistes.

Pourquoi ces frêles ouailles en provenance de la Guinée-Bissau, de la Guinée, du Mali, du Niger, et même du Tchad, grandis à Dakar, ne seraient pas demain, nos «beurs révoltés» ? Et si la stigmatisation se mêle à l’exclusion comme en France, le cocktail risque d’être explosif. Au propre comme au figuré !

Quand le terrorisme s’installe quelque part, il devient difficile de l’en déloger. Il est plus aisé de chercher à vaincre les affres de l’exclusion sociale, que de combattre dans l’urgence le terrorisme aveugle et vindicatif. Quand c’est urgent, c’est déjà trop tard !

SENEPLUS
Abdoul Aziz DIOP

source : senxibar.com le 23 novembre 2015