Les animateurs charismatiques visés par ce texte nous ont accusés injustement de faire de l’amalgame, alors que précisément, ce que nous visions était de dénoncer le psycho-spirituel fondement de la nouvelle religion charismatique et de la croyance en la « guérison » comme centre d’une « foi » nouvelle ; nous avons donc dénoncé le psycho-spirituel en tant que cette pratique qui amalgame le psychique et le spirituel pour identifier les « blessures » du passé et les « guérir », déstabilise en réalité les personnes et les familles et provoque de nombreux dégâts (ruptures dans les couples et les familles, fausses accusations basés sur de faux souvenirs, captations d’héritages au profit de groupes charismatiques, maladies, etc.).
Le 8 décembre dernier, l’évêque du Puy, faisant fi de toutes les critiques et s’appuyant sur un seul audit qui cache le fond des choses, reconnaissait dans son diocèse l’association Anne-Peggy Agapè qui regroupe les personnes qui gèrent ces « retraites ». Passons sur cet acte autoritaire. En reconnaissant ces personnes qui véhiculent des idées et des pratiques finalement extérieures au christianisme et enracinées dans le Nouvel Age, l’évêque du Puy cherche-t-il à soutenir et peut-être à imposer une nouvelle vision de la religion chrétienne ? On est conforté dans ce point de vue quand on sait que l’un de ses collègues dans l’épiscopat vient dans le diocèse du Puy et ailleurs, afin de former les prêtres, les religieux et les chrétiens engagés, au « nouveau paradigme ». De quoi s’agit-il ? Il s’agit ni plus ni moins d’une manière foncièrement nouvelle d’envisager la transmission de la foi et l’évangélisation dans la société d’aujourd’hui, c’est de la nouvelle évangélisation au carré, si l’on veut. Or il se trouve que j’enseigne l’épistémologie et la philosophie des sciences, donc, que j’ai lu Thomas Kuhn, lequel emploie ce mot au sens de cadre conceptuel correspondant à une théorie scientifique d’une époque donnée, mais aussi au sens d’une communauté de pensée partageant des méthodes et des objectifs communs. Plus précisément, on parle de « changement de paradigme » pour le passage du géocentrisme à l’héliocentrisme, ou pour le passage de la théorie de Newton à la physique relativiste du début du XXe siècle. L’application de ce concept à la foi chrétienne, j’ose espérer plutôt à la façon de la transmettre, est d’une violence extrême. En tant qu’épistémologue, professeur d’université, je voudrais témoigner ici de ce que l’application de ce terme aux pratiques chrétiennes suggère : un changement complet de référence théorique (le dogme lui-même reste-t-il intact devant le changement de paradigme, on ose l’espérer, mais…), de méthodes (le champ est libre pour toutes les irrationalités charismatiques), d’objectifs (spirituels et religieux mais aussi psychologiques et pourquoi pas thérapeutiques). Tout cela est très dangereux, c’est une boîte de Pandore, on attendrait que Rome soit plus vigilante et précise à l’égard des méthodes et attendus de la « nouvelle évangélisation ».
Revenons donc à l’Agapè, sujet de ces quelques lignes. Pourquoi revenir à nouveau sur ce sujet et affirmer la dangerosité de ces pratiques psycho-spirituelles ?
Le Père Humbrecht a fait un audit et il déclare que tout va très bien (Madame la marquise), qu’il s’agit de retraites où on aide des personnes en difficulté et qu’il n’y a rien de dangereux ni de répréhensible ; certes, l’audit reconnaît qu’on identifie et nomme les blessures du passé mais reste très imprécis sur le fond… et pour cause. Jamais, dans un texte destiné au grand public, les responsables ne disent vraiment la vérité sur le fond de ces pratiques qui prennent leur origine dans le re-birth. C’est ennuyeux…
Que se passe-t-il donc dans ces fameuses retraites pour en affirmer la dangerosité ? Tout simplement, le retraitant aidé d’un accompagnateur est supposé revisiter les blessures du passé, jusqu’à… sa propre conception ! Pour ce faire, il est invité à faire taire la raison (tout un programme !) et laisser parler en lui les émotions (sacro-saintes émotions chères au cœur des charismatiques) et la mémoire des sens ! A partir du moment où, pour des évènements qui se seraient passés pendant la conception ou la vie embryonnaire, la mémoire liée aux sens (sensitive) n’existe tout simplement pas chez un adulte, nous avons ici un gros mensonge. Il est faux et idiot d’aller dire que si le cordon ombilical s’est entouré autour de votre cou au moment de la naissance, vous serez particulièrement sujet à l’angoisse durant votre vie (et c’est de plus un faux raisonnement si vous dites que vos angoisses actuelles sont imputables à cet évènement). Il est impossible de revisiter des souvenirs qui remonteraient à la conception à la vie intra-utérine ou à la naissance et d’en inférer les conséquences actuelles de prétendues blessures. Les animateurs psycho-spirituels (notamment dans les retraites Agapè et de façon générale) demandent de faire mémoire des « blessures » (terme très ambivalent) reçues depuis la conception jusqu’au moment présent, de les identifier et de les nommer, voire de demander à l’Esprit Saint de les révéler. Cette « méthode » induit très souvent de faux souvenirs. Les auteurs de ces prétendues blessures sont toujours accusés et se voient mis devant le fait accompli de ruptures de lien familial, etc. Par ailleurs, la fixation sur la mémoire et les évènements du passé, en tant que tout cela conditionnerait la vie spirituelle, est une attitude fausse. La vie spirituelle n’est pas conditionnée à ce point par la psychologie, elle est autonome, elle n’est pas déterminée par un état physique ni par un état psychologique ni par la mémoire (c’était déjà le problème de Saint Augustin de mettre en relation mémoire et vie spirituelle). Mais la vie spirituelle est actuelle et donc, elle peut avoir des effets concrets, apporter une libération ou un simple soulagement dans des maux physiques et psychiques, la vie des saints est remplie de ces témoignages, sans qu’il soit nécessaire d’aller chercher des pratiques pseudo-psychologiques relevant de la pseudo-science.
Il faut dénoncer ces méthodes inacceptables et bien dire que la foi chrétienne vécue dans le témoignage quotidien, n’a rien à voir avec ces trafics de faux souvenirs. Pour conclure, il faut dire que ni la polémique ni l’omerta n’apporteront de solutions. Soit ces pratiques ont des conséquences heureuses et portent des fruits, ce qu’on attend de voir ; soit elles entrainent des désastres, qui eux sont réels et pour lesquels il y a de vrais témoignages, auquel cas, il faut que cela cesse.

source :
site de GOLIAS
par Olivier PERRU.
{{Professeur à l’Université Lyon 1}}