http://www.lemonde.fr/societe/article/2009/11/18/seule-une-victime-peut-declencher-une-enquete_1268717_3224.html
L’enquête contre les agissements de Thierry Tilly a démarré dès 2001, lorsque les onze membres de la famille Védrines se sont retirés du monde, reclus dans leur château de Martel à Monflanquin (Lot-et-Garonne). Cessant du jour au lendemain toutes activités sociales et professionnelles, ces femmes et ces hommes, âgés à l’époque de 16 à 85 ans, n’ont plus obéi qu’aux injonctions de leur gourou, coupant tout lien avec l’extérieur, y compris avec leurs proches, qu’ils soient époux, cousins ou amis.
Dès 2001, Jean Marchand, époux d’une des victimes, avait alerté les autorités. A ce jour, Ghislaine, ex-épouse de Jean Marchand, et leurs deux enfants, François et Guillemette, 24 et 26 ans à l’époque, malgré l’interpellation de Thierry Tilly, sont encore enfermés derrière les barreaux virtuels de la prison édifiée par leur gourou.
{{« Les proches sans arme »}}
« Dans un cas comme celui-là, où des personnes adultes ayant a priori tous leurs esprits font l’objet de manipulation mentale, la loi française ne permet pas de s’y opposer. Les proches ne peuvent rien faire. Seule une victime directe du manipulateur peut porter plainte et déclencher une enquête judiciaire », s’indigne Me Daniel Picotin. Ancien député (UDF) de Gironde (1993-1997), cet avocat mène une croisade afin que la loi française contre les sectes et les gourous soit renforcée. « Rien dans la loi ne permet de protéger les gens manipulés et passés sous l’emprise d’un tiers. Les proches et les ayants droit sont sans arme », déplore-t-il.
Comment expliquer que des femmes et des hommes en possession de tous leurs moyens puissent être l’objet de manipulation mentale ? « C’est une question à laquelle on n’a jamais pu répondre », indiquait, en 1999, l’expert psychiatre Jean-Marie Abgrall, entendu comme expert devant un tribunal qui jugeait des scientologues. Selon ce spécialiste, auteur de plusieurs ouvrages sur cette question, les manipulateurs comme Tilly jouent toujours sur le registre de l’émotion.
Les gourous disposent d’une panoplie de masques séduisants, pour parvenir à leur fin : une soumission librement consentie. Depuis juin 2001, il existe un texte contre « les abus de faiblesse », la loi dite About-Picard, mais elle comporte une limite : seule la victime peut s’en prévaloir.
Yves Bordenave-19.11.2009