Catherine Handfield

La Presse

Le mercredi 21 mai 2008

Rivière-Ouelle

{{«Francis tient de moi. On est si déprimés, si fragiles. Et depuis quelques mois, je sais qu’il ne prenait plus ses médicaments.»}}

Assise à la table de son appartement de Saint-Pascal, à quelques kilomètres de Rivière-Ouelle, Lise Hudon tente de s’expliquer le crime qu’aurait commis son fils unique, Francis Proulx. Ses mains tremblent.

«C’est un péché de faiblesse, un coup de désespoir, dit-elle. Je le sais, c’est écrit dans la Bible. Écrivez-le, c’est écrit dans la Bible.»

Lise Hudon a su lundi que son Francis était accusé du meurtre de Nancy Michaud, une mère de famille de 37 ans et conseillère politique du ministre Claude Béchard.

Ses amis des Témoins de Jéhovah, dont elle fait partie depuis 1992, sont venus l’avertir.

L’annonce a été foudroyante pour la femme de 50 ans. «J’ai senti une épée me traverser le corps», dit-elle, tenant sa Bible contre elle. «Et depuis, je me couche en pleurant, je me lève en pleurant. Je suis morte, je me sens morte. Toute mon âme est morte. »

Lorsqu’elle a reçu La Presse hier après-midi, Lise Hudon revenait d’une rencontre avec sa psychologue. Elle venait tout juste d’écrire une lettre pour son fils. Elle tenait à en lire un extrait. «Francis, sache que je t’aime de tout mon cœur, mon garçon. Tu as toujours été mon rayon de soleil. Tu es mon plus beau cadeau du ciel que Jéhovah Dieu m’a donné. »

L’écriture est menue, les lettres sont serrées. Pendant la lecture, la femme frotte constamment son pouce et son annulaire. «Ah, Jehovah», soupire-t-elle quand l’émotion remonte. Son débit de voix est rapide, saccadé. Elle oscille constamment sur sa chaise.

Lise Hudon porte une longue robe verte et une veste lilas. Ses longs cheveux noirs parsemés de quelques-uns déjà blancs tombent sur ses épaules. Son visage pâle ressemble beaucoup à celui de son fils. Elle a tracé de larges sourcils avec un crayon noir.

Son appartement est impeccable. Une photographie de son fils, prise au moment de sa graduation, trône sur une commode. À côté du portrait, des livres religieux alignés et classés. Une Bible des Témoins de Jéhovah et la revue Réveillez-vous reposent sur la table.

Selon Lise Hudon, Francis Proulx a toujours été dépressif, anxieux. Sa mère l’a su dès qu’il était enfant. «Mon fils traîne une grande souffrance depuis qu’il est tout petit. Il sursautait chaque fois qu’on le touchait, se rappelle-t-elle. On ne se parlait pas beaucoup. Il gardait tout en dedans.»

«C’est héréditaire», poursuit-elle, en se remémorant son grand-père dans une camisole de force. C’est à lui qu’appartenait la maison abandonnée où le corps de Nancy Michaud a été retrouvé.

Francis Proulx a eu une enfance difficile, admet sa mère. Ses parents se sont divorcés lorsqu’il avait 2 ans. Son père est parti refaire sa vie en Beauce.

De l’âge de 2 à 14 ans, il a vécu la moitié du temps chez sa grand-mère, à Rivière-Ouelle, et l’autre chez sa mère, qui déménageait fréquemment. Lise Hudon ne travaillait pas. Sa santé était trop fragile.

À l’école, Francis Proulx était victime des coups des autres enfants. Il avait peu d’amis, se souvient sa mère. Il n’a jamais eu de petites amies non plus. Son fils a terminé son secondaire à Rivière-du-Loup avant d’entreprendre une formation technique en soudure à Charny, près de Québec.

En 2004, Lise Hudon s’est exilée en Gaspésie, sans laisser d’adresse. L’appartement qu’elle louait Rivière-Ouelle, dans le vieux presbytère, était possédé par des démons, dit-elle.

«Les démons sont sur terre, dit-elle, en scrutant sa Bible avec un loupe. Satan est le chef du monde, et le monde gît au pouvoir de Satan.»

Lise Hudon est revenue s’installer dans la région l’année dernière seulement. Son fils lui avait dit au téléphone qu’elle serait bien à Saint-Pascal. Elle a senti qu’il avait besoin d’elle.

«Mais l’hiver dernier, il a changé soudainement de comportement après son accident de travail», dit-elle. Francis Proulx s’est blessé à l’usine Pro-lames, à Cap-Saint-Ignace, là où il travaillait.

Dès lors, il est devenu prestataire de l’assurance chômage. Il parlait encore moins que d’habitude. Et il était constamment devant son ordinateur, dans la chambre qu’il occupait chez sa grand-mère.

«Il faut faire attention à l’internet, avertit Lise Hudon. C’est mauvais. Il devait regarder des choses de méchanceté.»

Peut-être est-elle en partie responsable du malheur de son fils, se dit-elle. «J’étais une fille-mère. J’ai peut-être trop crié. Si j’ai fait quelque chose de mal, Francis, pardonne-moi», dit-elle, les larmes aux yeux.

Lise Hudon a pensé aller aux funérailles de Nancy Michaud. Ses amis des Témoins de Jéhovah le lui ont déconseillé. «Mais quand viendra le temps, je vais aller les voir.»

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