« Changé, Dieu ? » s’étrangle la théologienne de haut vol, qui reçoit dans le minuscule parloir du monastère des Dominicaines cloîtrées de Lourdes. « Je demande à voir ! », s’exclame ce vif-argent de 68 ans, le rire à fleur de visage et la faconde chantante du Sud-Ouest.
« Ca voudrait dire que j’ai consacré 47 ans de ma vie à prier pour des prunes. Pour m’entendre dire qu’on guérit +à la demande+ grâce à des pseudo-thérapies, par l’opération du Saint Esprit. En sautant les étapes de la vie spirituelle ? »
Alors, cette experte en patristique (Etude des Pères de l’Eglise), professeur à l’université dominicaine en ligne Domuni, mène l’enquête sur ce « psycho-spirituel », venu du Canada à la faveur du Renouveau charismatique. Et introduit en France dans certaines communautés post-Vatican II.
Elle, qui a fait des études de médecine, s’est penchée sur la spiritualité africaine, au séminaire à Douala au Cameroun. Elle sait qu’il existe des univers différents.
Mais là, elle découvre un monde nouveau, inconnu au bataillon théologique: les « ministères de guérison et de délivrance », confiés à des « bergers guérisseurs » auto-proclamés, dotés de « charismes » ou dons du Saint-Esprit.
– « Doxa vaguement freudienne » –
Leurs détenteurs jouent sur l’idée que l’homme est un « être total » et qu’en soignant sa psyché, « on peut le guérir corps et âme ».
Problème: si ces « bergers » sont religieux, ils ne sont pas forcément psychothérapeutes. Et vice-versa. Ce que beaucoup oublient dans les centres ou retraites de guérison intérieure, où plus d’un abus a été dénoncé.
Soeur Ancilla pointe du doigt l’agapèthérapie -guérison par l’amour de Dieu- et ses dérives, parmi lesquelles l’induction méphitique de faux souvenirs chez les victimes de ces pseudo-thérapeutes. Certaines sont convaincues d’avoir été violées par leur père, non désirées par leur mère.
Le Père jésuite Dominique Salin le confirme: « toute une +doxa+ vaguement freudienne est à la disposition d’apprenti-sorciers qui sévissent aussi bien dans le champ des thérapies psychiques que dans les églises ».
« Trop de sessions de guérisons invitent au nom de l’Esprit, et de façon très naïve et primaire, à revisiter les relations familiales, dit-il. Et à identifier donc implicitement, à diaboliser, tel père ou telle mère comme étant responsable du mal-être dont souffre une personne ».
« C’est, selon lui, nier les ravages que peut provoquer ce genre de tentative: au minimum, aggravation des symptômes et plongée dans le désespoir ».
Soeur Ancilla parle carrément d' »un messianisme terrestre qui promet guérison et bien-être sur la terre. C’est une perversion de la foi et la mort de la vie monastique, qui mise sur l’éternité ».
– Flamme intérieure communicative –
Elle le clame bien haut, avec le « solide bon sens, la culture et l’intelligence très réactive qui la caractérisent », note Serge Blisko, président de la Miviludes (mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires), qui défend cet « esprit libre ».
Mais, face au mur du silence devant lequel elle se retrouve, lorsqu’elle participe en 2010 à un groupe de travail au sein de l’épiscopat, Soeur Ancilla jette l’éponge. Mais pas la plume. Elle publie livre sur livre.
D’autres voix s’élèvent. L’historien des religions Odon Vallet note que « les questions de miracles et de guérisons chez les évangéliques et les catholiques charismatiques sont un énorme problème ». Certains catholiques ne veulent pas « se laisser distancer par les évangéliques ».
Mais les évangéliques eux-mêmes s’inquiètent de la situation d’autorité donnée à l’homme et qui en fait un petit dieu, agissant à sa guise. « L’homme est devenu celui qui commande et Dieu celui qui sert ».
Quant à Bertran Chaudet, ex-co-coordinateur de la Pastorale des Sectes et Nouvelles croyances, il regrette qu’on n’ait pas écouté celle qui a « l’art de rendre simples des concepts compliqués, avec une joie, une vigueur et une flamme intérieure communicatives ».
Mais Soeur Ancilla -une foi à renverser ces montagnes des Pyrénées qui l’entourent- s’est replongée dans la prière, le biberonnage des jeunes agneaux et la tenue de la bibliothèque.
Pour elle, « ce n’est pas Dieu qui a changé, c’est l’Eglise ».
source : LE POINT.fr