M. Tavakumar était l’un des participants de Kaavadi, le festival hindou qui avait lieu dimanche dernier à Val-Morin. Chaque année depuis près de 20 ans, la petite ville des Laurentides accueille des milliers de Tamouls d’origine sri-lankaise, venus d’aussi loin que Toronto et Ottawa pour rendre hommage au Dieu Muruga.

Kaavadi, c’est le festival du jeûne et de la prière. C’est aussi le temps des faveurs et des remerciements pour vux exaucés.

Pour être bien sûr d’être entendus par Muruga, certains adeptes se roulent par terre. D’autres se percent la joue avec des tiges de métal ou le dos avec des hameçons. Reliés à des cordes, ils vont danser jusqu’à l’épuisement.

Les plus illuminés vont jusqu’à se suspendre dans les airs, avec des crochets derrière les cuisses, les mollets et les omoplates. Ils vont rester accrochés pendant toute la procession dans les rues de Val-Morin. À ce stade-ci, on ne parle plus d’exotisme, mais de surréalisme.

Est-ce que ça fait mal? Apparemment non. Transe et prière aidant, ces dévots extrêmes disent ne rien sentir. Ou refoulent la douleur. «Le gros de leur souffrance n’est pas dans leur peau, mais dans leurs pieds, explique Perinpan Vignarajah. Ce qui tue, c’est de danser pieds nus pendant cinq heures sur l’asphalte brûlant.»

Jeune Tamoul de Montréal, Perinpan s’est porté volontaire pour «contrôler» un de ces adeptes du piercing. Un art. Au cours des ans, il a développé une technique bien précise qui permet à son partenaire d’éviter la douleur. «Le but est de garder les cordes bien tendues, dit-il. Si je les laisse molles, c’est là qu’il aura vraiment mal.»

Et les cicatrices? «Je l’ai fait l’an dernier et les marques sont parties en trois jours», a souligné un autre participant, rencontré pendant le défilé.

Entre frissons et fascination

Même si Kaavadi a lieu à Val-Morin depuis près de 20 ans, la fête continue d’attirer les curieux. Quand l’étrange cortège a traversé le village, ils étaient une centaine à observer le spectacle, certains fascinés, d’autres, horrifiés.

«Ça fait des années que je les regarde passer. Mettons que c’est dépaysant, confie Solange Vendette, depuis son balcon. Rien que de les voir avec les crochets, ça donne des frissons.»

«Ils sont bons en maudit de faire une affaire de même, ajoute Pierre, bien installé sur sa chaise pliante, en regardant l’homme suspendu. Moi, juste une piqûre, je perds connaissance.»

Pour Édith Martel et Ève Dutil-Paquette, c’est plutôt l’occasion de créer des ponts entre les communautés. «On a un chalet dans la région, on vient chaque année. Ça permet de comprendre leur culture», lance Mme Dutil-Paquette.

À la sortie du village, la procession s’est arrêtée pour une pause. Sous le soleil tapant, on s’est lavé les pieds et distribué de la boisson. Il fait chaud. Tiré par un groupe d’hommes et de femmes, le «thair» (la structure sur roues qui est au centre du défilé) paraissait de plus en plus lourd.

De retour au temple, les «hameçonnés» ont entamé une dernière danse. La transe ultime, avant le décrochage. Tout doucement, on a libéré les fous de Dieu, pendant que la foule se dispersait. Le dos transpercé, M. Tavakumar semblait pleinement satisfait. Avec un peu de chance, son sacrifice aura servi à quelque chose.

«Je vais dormir sur le côté pendant quelques jours. Après, tout ira bien»

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Pourquoi Val-Morin?

En 1962, le gourou du yoga Swami Vishnudevnanda a eu un coup de coeur pour Val-Morin dans les Laurentides. N’écoutant que son intuition, il y a fondé un centre de yoga qui est encore aujourd’hui un haut lieu de la méditation au Canada, voire au monde. Au début des années 90, il a fait construire un temple au même endroit, en le dédiant au dieu hindou Muruga. L’endroit est devenu un lieu de pèlerinage pour les Tamouls d’Amérique du Nord, qui y célèbrent depuis le festival Kaavadi. Les premières années, il a fallu s’entendre avec les résidants de Val-Morin. Mais aujourd’hui, la fête est mieux organisée: la SQ contrôle les foules et les bénévoles du centre de yoga nettoient le village une fois le défilé passé. Swami Vishnudevnanda, qui vouait une passion à l’aviation, est décédé en Inde en 1993, mais son avion est exposé à Val-Morin près du temple Subramanya/Ayyapa.

Source : par Jean-Christophe Laurence La Presse – Canada le 30 juillet 2011