Dans son appartement, la culture est très présente. Des livres, des tableaux, des dessins, et encore des bouquins. A priori pas de télévision, ou alors elle était bien cachée. En revanche, Sylvie, la quarantaine fraîchement dépassée, ne dissimule pas sa religion. Elle est chrétienne. Des représentations de la Vierge trônent sur son secrétaire. Au-dessus de sa porte d’entrée, un crucifix est suspendu. Elle est croyante et pratiquante, mais s’empresse d’avertir : « Je suis pour le mariage pour tous. » Elle est vive, cultivée et son franc-parler est aussi fort que sa foi. C’est d’ailleurs sa religion qui l’a amenée à rencontrer ces personnes du groupe à dérives sectaires. Sylvie se souvient : « On était à plusieurs. » Quelques membres de sa famille l’ont suivie. Partir en équipe avait un côté rassurant pour elle. Une sorte de soutien, mais qui était bancal. « Il y avait une vraie détresse affective à cause d’un manque de dialogue. » La famille avait aussi vécu une épreuve douloureuse avec un deuil. Quand le petit groupe était parti à la rencontre du groupe, c’était comme un réveil. Sauf qu’ils se laissaient endormir par un manipulateur de talent. « Il était sympa, à l’écoute. Il nous apportait du réconfort. D’autant, qu’au début il allait dans notre sens. » Et puis, un manipulateur travaillant sur le religieux se doit aussi de présenter un côté magique. « Je ne sais pas encore, même aujourd’hui, s’il savait pour le deuil dans la famille. » Mais il en parlait avec le groupe. En fait, il s’est engouffré dans la brèche. Jouer sur la solitude et les craintes des personnes est le jeu des manipulateurs. « Quelque chose s’est passé », soutient Sylvie. « C’est de l’ordre du paranormal. » Son manipulateur est une personne intelligente, avec une mémoire photographique. Il est très probable qu’il ait entendu parler de ce décès pour le ressortir ensuite plus tard comme une révélation. Sylvie veut bien entendre ce type d’explication rationnelle. Toutefois, elle donne un autre exemple qui a semé le trouble dans sa famille. « Un jour, je lui téléphone. Nous étions à plusieurs centaines de kilomètres d’écart. Pourtant, il m’a décrit comment j’étais habillée. Comment a-t-il fait ? »

La foi de Sylvie n’a pas été bonne conseillère : « Quand il me parlait, c’est comme s’il lisait dans mes pensées. À travers lui, c’est Dieu qui me parlait. Ça coulait de source. » L’éducation religieuse de Sylvie a été très poussée. Elle aurait pu reconnaître un charlatan qui utilisait les évangiles pour tromper son monde. « Les références étaient les bonnes. On était dans la joie. » Un autre élément rassurait Sylvie. Il était encadré par une autorité religieuse devant, normalement, surveiller le groupe. Quand elle évoque le début de son aventure, Sylvie peine à dissimuler un sourire en coin. « Nous étions dans la joie. J’ai voulu le vivre jusqu’au bout. » Elle assure même s’être bien amusée… Enfin, au début.

Une secte peut se définir par trois critères : manipulation mentale, rupture familiale, extorsion d’argent. La première étape se met en place doucement. Le manipulateur après avoir mis en confiance, prend possession de l’esprit. Le but étant de laisser croire que toutes les actions des membres ne sont le fruit que de leur libre arbitre… Or, c’est lui qui tire les ficelles, parfois involontairement d’ailleurs. À l’instar d’un régime totalitaire policier, le contrôle doit vite laisser la place à l’autocontrôle, plus efficace et plus pervers. Ainsi, les membres guettent le moindre faux pas, le dénoncent, le remettent en place… Avant que le manipulateur ait eu le temps de réagir. Pour Sylvie, c’était la même chose. « Quand quelqu’un n’était pas dans le rang, c’était dur. Quand quelqu’un essayait de réagir, on se faisait contrecarrer. Tout le groupe se réunissait. C’était comme un procès » bien évidemment sans présomption d’innocence, ni avocat. Mais le verdict était invariablement le même : la punition, l’humiliation, etc. « C’était d’une violence absolue », confie Sylvie. « Il jouait sur nos défauts, il nous disait qui on était. » Tout était surveillé, du courrier aux conversations… Rien n’échappait au groupe et au manipulateur.

L’étape suivante n’est au final que l’aboutissement de la première. Diviser pour mieux régner est le maître mot des manipulateurs. Sylvie était arrivée en famille. Sans que personne ne s’en rende compte, ils s’étaient montés les uns contre les autres. Le manipulateur, pour s’assurer du soutien sans faille de Sylvie et de sa famille, leur explique que le monde extérieur est leur pire ennemi. De ce constat, ce sont les membres de la famille extérieure au groupe qui sont les cibles privilégiées. Progressivement, ceux qui étaient venus pour trouver du réconfort, se retrouvent encore plus seuls et isolés qu’au début, avec, en prime, un manipulateur sur les bras. « Ça marche tellement bien, que dès qu’une personne tentait de nous ouvrir les yeux, on le prenait pour une agression, et une confirmation du mensonge issu du monde extérieur. » Sylvie a tenté la vie en communauté avec les autres membres. Sans succès. La manipulation étant tellement bien ficelée qu’elle pouvait retourner vivre dans le civil. Le manipulateur savait qu’elle reviendrait. Invariablement, elle retournait dans son giron. Avec des membres de sa famille. Cela la rassurait. Et puis, le monde extérieur ne peut pas comprendre l’aventure qu’elle vit. Elle rencontre tout de même des hommes. Même si, à l’origine elle a fait le vœu de chasteté. « Avec les mecs, c’était pas évident. Quand je leur racontais mon aventure, ça ne les faisait pas fuir ! Ça m’a beaucoup étonnée, mais bon… »

Une personne de son entourage ne perd pas espoir de la voir sortir. Évidemment, le manipulateur ordonne à Sylvie de la fuir comme la peste. Plus le temps passe, plus Sylvie s’aperçoit que quelque chose cloche. Cela ne peut pas être le manipulateur puisque « ce n’est pas lui que nous adorions, mais Dieu qui parlait à travers lui. À force de prendre mes distances, je me suis réveillée. Le reste de la famille était encore dans le piège. Ils étaient l’ombre d’eux-mêmes. » Sauf qu’ils sont encore sous influence. Tout mauvais commentaire sur le manipulateur ne provenait pas de la raison, mais du diable lui-même. Sylvie a su être patiente. Elle a profité de cette attente pour commencer à se reconstruire. « Aujourd’hui, je n’ai plus peur de lui », affirme-t-elle. « Quand on est sous ce type d’influence on ne réfléchit plus. » Aujourd’hui, Sylvie a gardé son emploi. Ses collègues et amis sont unanimes : elle est rayonnante. Quand elle fait le bilan de ces dernières années, elle ne regrette presque rien. « Cela a renforcé ma foi. Maintenant, je connais le bonheur. D’ailleurs, je n’ai qu’une peur : que cela s’arrête pour me faire payer mes erreurs. » Elle a retrouvé toute sa famille. Ceux qui étaient sous l’influence du manipulateur sont sortis et se reconstruisent. Sylvie est notamment très heureuse de l’accueil de ceux qu’elle considérait, il y a quelques mois encore comme des pestiférés. Quand elle est allée les visiter pendant les vacances, elle a vu les multitudes de photos sur les murs. « Je me suis sentie bête. » Elle avait tout fait pour les oublier, alors qu’eux laissaient leur cœur ouvert. Sylvie relativise aussi. Avant cette histoire, sa famille était sur le point d’imploser. Grâce, ou à cause, du manipulateur, ils se sont retrouvés. La solitude les a fait évoluer dans le bon sens. Ils sont unis par un amour qu’ils savent sincère. Sa croyance lui rappelle la parabole de l’enfant prodigue d’après l’évangile de Luc. Cette histoire raconte qu’un père a accueilli un des ses fils, qui lui avait tourné le dos, par une grande fête et à bras ouverts. Sylvie l’a vécue, ce qui rend sa foi encore vivante. Même si elle n’arrive pas à s’expliquer les raisons de ses errements, elle reste vigilante. Sylvie regarde devant elle. Elle s’en veut surtout de ne pas avoir pu résister davantage. Puis soupire « c’est comme une passion amoureuse ». On ne voit rien venir et le cœur perd toute logique.

source : 19/09/2013 | La Gazette de Côte d’Or n° 354 | Par Jérémie Demay