Les révélations sur les agressions sexuelles commises par Jean Vanier entraîneront des discussions au sein du Conseil de l’Ordre national du Québec, a confirmé dimanche au Devoir sa présidente, Liza Frulla. Le fondateur de l’organisation L’Arche avait été nommé grand officier en 1992.

« Quand l’Ordre lui a attribué son titre, il était presque “sanctifiable” », a rappelé Mme Frulla par écrit. « Il va falloir se pencher sur tout cela, avoir une politique claire [pour répondre à ce genre de situation] et faire une recommandation au bureau du premier ministre ». C’est ce dernier qui confère les titres.

« C’est un choc pour tout le monde », a ajouté Liza Frulla. « L’image que nous nous faisions de Jean Vanier est ternie à jamais », disait déjà samedi l’Assemblée des évêques catholiques du Québec.

En effet, selon les résultats d’une enquête commandée par les responsables de L’Arche internationale — une fédération présente dans 38 pays et qui accueille des personnes handicapées intellectuellement —, Jean Vanier a eu des « relations sexuelles manipulatrices » avec au moins six femmes entre 1970 et 2005.

Celles-ci étaient adultes et sans déficience, précise le rapport d’enquête, qui a été confiée à un organisme britannique indépendant. Mais elles étaient sous « l’emprise psychologique et spirituelle de Jean Vanier », un laïc canadien décédé en 2019 et qui était une figure catholique hautement respectée.

Jean Vanier a ainsi « initié des relations sexuelles, généralement dans le cadre d’un accompagnement spirituel » où il enrobait ses gestes d’un « discours supposément spirituel ou mystique destiné à les justifier ». Le rapport parle de relations qui constituaient de la « violence psychologique », et qui étaient « caractérisées par des déséquilibres de pouvoir importants : les victimes présumées se sont senties privées de leur libre arbitre. De ce fait, l’activité sexuelle a été exercée sous la contrainte. »

« Il disait : “Ce n’est pas nous, c’est Marie et Jésus. Tu es choisie, tu es spéciale, c’est un secret” », a soutenu une des victimes aux enquêteurs.

Stupeur

« Nous condamnons sans réserve ces agissements en totale contradiction avec les valeurs que Jean Vanier revendiquait par ailleurs », ont réagi samedi deux hauts responsables de L’Arche internationale, dans le communiqué dévoilant les conclusions de l’enquête. Ils évoquent des gestes « incompatibles avec les règles élémentaires de respect et d’intégrité des personnes ».

« Nous reconnaissons le courage et la souffrance des femmes [victimes], et de celles aussi qui, peut-être aujourd’hui encore, resteraient dans le silence », écrivent Stephan Posner et Stacy Cates Carney. Au Québec, les évêques ont aussi tenu à « saluer le courage des victimes ». « Il est difficile d’imaginer la douleur qu’elles ont eu à porter pendant de trop longues années. »

Citée par Le Monde, la Conférence des évêques de France évoquait dimanche sa « stupeur » et sa « douleur » devant les révélations. Le responsable France de L’Arche parlait d’un « écart si vertigineux » entre le Jean Vanier connu — personnage plus grand que nature, philosophe, humaniste, auteur et conférencier salué partout — et « celui [qu’il] découvre. » « Comment cette personnalité si profondément lumineuse pouvait-elle masquer une face si noire ? », demandait dans La Croix la présidente de la Conférence des religieux et religieuses en France.

« Il n’y a pas d’autre mot que “trahison”», dit pour sa part au Devoir Louis Pilotte, responsable national de L’Arche Canada (il y a 29 communautés de L’Arche au pays, dont 8 au Québec — quelque 150 personnes y sont hébergées). M. Pilotte a travaillé plusieurs années avec Jean Vanier en France. « Visiblement, il nous a menti à tous. »

Questionné sur les répercussions appréhendées de ces révélations pour la suite de la mission de L’Arche, Louis Pilotte dit craindre « qu’on amalgame le comportement abusif de Jean Vanier à une oeuvre et à une action qui n’ont rien à voir ».

Comme son père spirituel

Il ressort également du rapport d’enquête que Jean Vanier était au courant des violences sexuelles commises par son père spirituel, le père français Thomas Philippe. Décédé en 1993, ce dernier a joué un rôle-clé au sein de L’Arche.

En 2015, une enquête lancée à la demande de L’Arche a mis en lumière que le père Philippe a eu des « agissements sexuels sur des femmes majeures », qui relevaient aussi de l’« emprise psychologique et spirituelle ». Or, Thomas Philippe avait déjà été sanctionné par l’Église au terme d’un procès canonique en 1956 : deux femmes avaient porté plainte contre lui pour des agressions sexuelles.

Jean Vanier, qui se disait « pétri de la pensée et de la méthode du père Thomas », savait tout depuis le début, montre des lettres citées dans le rapport. « Il est désormais établi que Jean Vanier connaissait les pratiques sexuelles et les théories déviantes du père Thomas Philippe et qu’il les a lui-même exercées », écrit-on.

Fils de l’ancien gouverneur général Georges Vanier, Jean Vanier a notamment été fait compagnon de l’Ordre du Canada (1989), et chevalier de la Légion d’honneur, en France (1994).

source :

Le Devoir

Guillaume Bourgault-Côté

24 février 2020

 

https://www.ledevoir.com/societe/573581/quebec-stupeur-autour-des-agressions-sexuelles-de-jean-vanier