Un logo bleu qui arbore la balance de la justice. Un nom qui évoque les Nations Unies et le long combat pour les libertés fondamentales: la Commission des citoyens pour les droits de l’homme (CCDH) semble épouser une noble cause. La même, a priori, qu’une institution à l’abréviation presque identique, la très sérieuse Convention européenne pour les droits de l’homme (CEDH), ratifiée par la Suisse il y a quarante ans tout juste. Mais la CCDH, présente à Lausanne et à Genève, n’a rien à voir avec les juges de Strasbourg. Il s’agit d’une émanation de «l’Eglise» de scientologie, considérée comme une secte dans la majorité des pays.

Ce curieux organisme a récemment envoyé un courrier à des journalistes romands. L’objectif est limpide: promouvoir un DVD qui descend en flèche la psychiatrie – l’une des cibles favorites des scientologues. Le lien avec la mouvance chère à Tom Cruise est un peu moins clair. Une simple phrase mentionne que la CCDH a été fondée en 1969 par l’Eglise de scientologie et un professeur hongrois, Thomas Szasz, dans le but «d’assainir le domaine de la santé mentale».

Active depuis une trentaine d’années en Suisse, cette commission n’en est pas à son coup d’essai. Ses campagnes virulentes ont déjà donné lieu à plusieurs polémiques, ambiguïté oblige (lire ci-dessous). Beaucoup y ont vu des tentatives de propager la doctrine de Ron Hubbard, le gourou fondateur de la scientologie, sous couvert d’une ONG à l’allure respectable. Laurence Walter, présidente de l’antenne romande de la CCDH et elle-même scientologue, jure que non: «Ce sont deux entités aux rôles bien distincts.»

Traduction littérale
Spécialiste des mouvements sectaires, Jean-François Mayer corrobore ces propos, tout en précisant n’avoir connaissance d’aucune étude spécifique sur les actions de la CCDH. «Elle ne doit pas être vue avant tout comme un outil de recrutement, estime l’historien fribourgeois. Son but premier est bien de dénoncer la psychiatrie, que les scientologues considèrent comme une pratique néfaste.»

Quant à la proximité troublante avec la CEDH, elle serait fortuite. «Elle résulte d’une traduction littérale de sa dénomination originale anglaise», explique Jean-François Mayer. La Citizens Commission on Human Rights est établie dans une trentaine de pays, apprend-on sur son site. L’Eglise de scientologie – qui revendique plusieurs millions d’adeptes de la «dianétique» dans le monde – la décrit comme «l’un de ses programmes humanitaires d’amélioration sociale».

Dans ses films, la CCDH se livre à un réquisitoire incendiaire contre les psychothérapies et les traitements médicamenteux des troubles psychiques. Neuroleptiques et antidépresseurs causeraient des milliers de suicides et maintes tueries dans le monde… La CCDH fustige aussi les internements forcés, l’usage massif d’électrochocs ou la prescription systématique de médicaments aux enfants. Le tout pour le seul profit de «l’industrie psychiatrique», sans que celle-ci puisse se prévaloir de la moindre guérison!

«Un système pervers»
Président du Groupement des psychiatres psychothérapeutes vaudois, le Dr Aurelio Mastropaolo reste serein face à ces attaques. «Comme tous les mouvements sectaires, les scientologues s’intéressent aux plus démunis, aux gens vulnérables en quête de sens. Ils les attirent en leur parlant de spiritualité. C’est un système pervers et réfléchi, qui utilise la faiblesse de l’autre. Et comme la scientologie dispose de gros moyens financiers, ce marketing marche plutôt bien.»

«Ce sont des méthodes violentes, totalitaires», estime Shirin Hatam, juriste auprès l’association romande Pro Mente Sana, qui défend les droits et les intérêts des personnes souffrant d’un handicap ou d’une maladie psychique. «La lutte contre les dérives de la psychiatrie, notamment en milieu hospitalier, peut se justifier. Mais toujours en respectant la liberté du patient.»

Le Dr Mastropaolo ne nie pas les excès de sa discipline au siècle dernier: lobotomies, comas insuliniques, arythmies cardiaques provoquées pour réduire les hallucinations, etc. «Ces pratiques barbares n’ont plus cours aujourd’hui, souligne-t-il. La psychiatrie a évolué. Au lieu d’exclure le patient, elle vise à l’intégrer dans la société. Les hôpitaux psychiatriques d’aujourd’hui n’ont plus rien à voir avec ceux des années 1960! Et la prescription de médicaments est le plus souvent associée à un suivi psychothérapeutique sérieux. La scientologie s’acharne donc sur une image désuète de la psychiatrie, mais ce discours peut trouver un écho chez certains patients qui vivent mal leur prise en charge.»

Si l’Eglise de scientologie revendique 5000 fidèles en Suisse, des voix critiques évoquent plutôt 2000 membres. De même, l’influence de la croisade antipsychiatrie reste à mesurer, note Jean-François Mayer. Une tâche qui s’avère ardue, les éléments tangibles n’étant pas légion. Citons tout de même une pétition «contre le dépistage psychiatrique en milieu scolaire et l’administration aux enfants de stimulants du système nerveux central», que la CCDH entend déposer à Berne. A en croire Laurence Walter, 2500 personnes l’ont signée depuis 2013.

50 plaintes en dix ans
La commission controversée incite par ailleurs les victimes et les témoins d’abus dans le domaine de la psychiatrie à s’annoncer auprès d’elle. Elle affirme recevoir en moyenne huit appels par semaine en Suisse. Des exemples? «Des patients se sont vu interdire de recevoir des appels, confisquer leur portable ou refuser des visites de proches. Dans certains cas, on leur a injecté des psychotropes de force. D’autres se plaignent des effets secondaires des médicaments prescrits», détaille la présidente romande.

La CCDH suggère à ces personnes «de dénoncer la situation aux autorités compétentes de leur canton». Selon Laurence Walter, quelque 50 plaintes ont été déposées ces dix dernières années. «Dans certaines circonstances, cela a abouti à ce que le patient soit relâché de l’hôpital ou que l’on respecte mieux ses droits.» Une patiente aurait été dédommagée pour hospitalisation abusive après avoir eu gain de cause en justice.

Mais comment traiter autrement les maladies psychiques? En orientant les gens vers la dianétique? Laurence Walter, vétérinaire de formation, n’hésite pas à relativiser l’importance de ces troubles. Il faut, soutient-elle, s’intéresser aux causes physiques sous-jacentes: les virus qui peuvent entraîner la dépression, les problèmes de digestion qui provoquent de l’anxiété, etc. A l’entendre, même un mal aussi sournois que la schizophrénie peut être vaincu sans médicaments, «à l’aide de relations sérieuses». Feu Ron Hubbard n’aurait pas parlé autrement.
(24 heures)

source : 24heures.ch