Les grandes villes connaissent généralement une densité de groupes religieux plus forte que les communes rurales. Cependant, la localité suisse de Tramelan garde la réputation d’abriter un foisonnement religieux peu commun. Mais qu’en est-il vraiment? L’enquête d’un groupe d’élèves d’une école biennoise offre l’occasion d’une réévaluation.

Depuis longtemps, Tramelan, dans le Jura bernois, a la réputation d’abriter un nombre de groupes religieux sans commune mesure avec sa taille. En 1866, un missionnaire adventiste en quête de convertis, Michel-Belina Czechowski (1818-1876) se rendit à Tramelan, car, lui avait dit une dame qu’il connaissait, “il y avait plusieurs sectes” dans cette commune. Le conseil était bon: Czechowski emporta bientôt l’adhésion de plus de vingt croyants dans cette localité et y organisa la première église adventiste d’Europe, dont on pouvait voir encore il y a quelques années le modeste local.

En janvier 1973, la Télévision suisse romande diffusa un reportage d’une trentaine de minutes, “Les communautés évangéliques” (que l’on peut voir ici dans les archives de la RTS): il était exclusivement consacré aux communautés présentes à Tramelan, évoquant “l’intérêt des choses de Dieu” marquant cette commune à première vue semblable à bien d’autres. “La religion est-elle l’opium du Tramelot?”: le journaliste auteur de ce reportage, Jean-Philippe Rapp, revint quelques mois plus tard sur le sujet dans un article publié dans la Tribune de Lausanne Le Matin (dimanche 29 avril 1973), sous le titre “Tramelan, 2 églises, 19 sectes, pour 6000 habitants”. “Sur cinq habitants, on compte trois protestants d’origine, un catholique et uns ectaire.”

En fait, il s’agissait de 19 “sectes ou communautés évangéliques”, dont “12 au moins tiennent réunion dans la bourgade ou sur les hauteurs”. Même avec cette nuance, le total n’en demeurait pas moins impressionnant, comparé au nombre d’habitants. L’article s’ouvrait par la réaction irritée d’un vieux militant socialiste, rencontré au “Cercle ouvrier”, dont les commentaires critiques ajoutaient encore à l’étonnement face à une telle variété religieuse: “[ces groupements] nous font une réputation détestable. Pour l’ensemble de la Suisse, nous ne sommes que des ‘bigots’. C’est oublier un peu vite que le socialisme est presque né chez nous.”

L’article continuait en décrivant un modus vivendi entre les communautés, chacun restant chez soi, même si l’on évoquait “le cas de quelques Tramelots qui s’étaient fait baptiser trois fois”. Le journaliste remarquait qu’une cinquantaine de jeunes, issus d’une dizaine de groupes religieux différents, se retrouvaient chaque samedi soir pour prier et chanter ensemble (Cellule de prière de la Chambre haute), trouvant leurs églises un peu sclérosées: “Demain, peut-être formeront-ils la vingtième communauté de la ville”, risquait le journaliste.

Interrogé, un pasteur d’une “Église officielle” proposait quelques pistes explicatives: un Jura formé de petites régions alors refermées sur elles-mêmes, avec un esprit d’indépendance; la généralisation de l’instruction, au XIXe siècle, permettant à chacun de se lire et de se pencher sur la Bible pour l’interpréter; les discussions autour du poêle durant les longues soirées d’hiver… Chaque élément pouvait certes avoir joué un rôle, mais ces tentatives explicatives peinaient et peinent toujours à convaincre: même si elles fournissent des bribes d’explication, le phénomène aurait alors pu se produire en bien d’autres lieux.

D’autres régions du canton de Berne passaient pour atteindre une densité de communautés religieuses presque aussi importante que Tramelan: l’Emmental, ou encore la commune de Frutigen. En juin 1973 (la date exacte manque sur la coupure de presse que nous avons sous les yeux), le quotidien fribourgeois La Liberté publiait, sous la plume de Pierre Kolb, un article intitulé “Frutigen, la terre promise des sectes”. Frutigen comptait 6000 habitants à cette époque (plus de 6700 aujourd’hui) et “seize directions religieuses”.

L’enquête d’une classe biennoise
Malgré cette possible concurrence alémanique (nous y reviendrons plus loin), le Jura bernois compterait près de 10 % d’évangéliques (APIC, 25 janvier 2012) et, jusqu’à aujourd’hui, la région de Tramelan continue de passes pour un cas hors du commun. La commune limitrophe (mais germanophone) de Mont-Tramelan présente ainsi le plus haut pourcentage d’électeurs du Parti évangélique (PEV, centriste) dans une commune suisse: un électeur de Mont-Tramelan sur trois vote pour ce petit parti lors des élections fédérales (2 élus au Parlement fédéral en 2011). Mais la composition de la population de cette petite commune, largement constituée d’agriculteurs mennonites, rend moins surprenant ce pourcentage exceptionnel (Der Landbote, 22 août 2011).

La population de Tramelan a diminué depuis les années 1970, mais elle compte quand même un peu plus de 4300 habitants, selon les informations publiées sur le site communal. Reste-t-elle marquée par une diversité religieuse chrétienne, ou la réputation de Tramelan est-elle surfaite?

Intrigués par cette image de la commune, une classe du Gymnase français a eu l’heureuse idée, il y a quelques mois, de revisiter ce sujet, ce que personne n’avait apparemment fait depuis le reportage de 1973, et de consacrer une semaine d’étude au paysage religieux de Tramelan, avec l’accompagnement de deux enseignants, Vital Gerber et Nicolas Louvet. Ils ont publié les fruits de leur recherche sous la forme de trois articlesdans le Journal du Jura (20 novembre 2013, 15 janvier 2014 et 19 février 2014).

source : Jean-François Mayer – Religioscope
16 Aug 2014