Jonathan, 33 ans, menacé de mort pour avoir dénoncé des abus

Sa mère était Témoin de Jéhovah. Alors, tout naturellement, il a baigné dedans. Avant de se faire baptiser en 2001. On lui a rapidement inculqué que le monde du dehors était un monde de dépravation, qu’eux seuls, les “TJ”, étaient des êtres purs. Quand, dans les années 1990, il y eut pas mal de médiatisation autour des Témoins de Jéhovah, l’association ouvrit (un peu) ses portes à l’extérieur. “On pouvait avoir des “amis”, faire partie d’un groupe de sport. Histoire d’embellir l’image.” Jonathan était plutôt heureux. Du moins, c’était ainsi, même s’il n’a jamais eu aucun ami, “sauf une fois un copain qui a passé une heure chez moi”.

Un jour, on lui rapporte qu’une mineure a été abusée. Il est allé voir le collège des “anciens”, qui ont ouvert une enquête. Mais la procédure a été un peu “spéciale”, car l’agresseur présumé était également un ancien, “quelqu’un de très puissant dont la parole n’est pas contestable”. Le nom de la victime est donné à l’agresseur. “Ils ont immédiatement dit que la fille était une affabulatrice et ont exercé des pressions sur elle. Il y a eu des faux témoignages. Car, si un ancien te demande de mentir, tu mens.”

Jonathan a enchaîné les “conseils de discipline”. De témoin indirect, il passe accusé. Mais il ne se laisse pas faire. Alors on l’intimide, on essaie de le faire taire. Et tous les moyens sont possibles. On apeure son fils, on le menace de mort. On répand de fausses rumeurs en ville. Aujourd’hui encore, il n’est “pas tranquille”. “Et, si je déménage, mon dossier passera de congrégation en congrégation, de ville en ville. On est à la limite de Big Brother. C’est simple, quand il y a une affaire, on fait taire la victime et ceux qui veulent remonter l’info, car ça nuit à l’image de l’organisation.”

Céline, 38 ans, agressée par son propre frère

De 7 à 17 ans, Céline a subi des attouchements de son frère. Ce dernier a expliqué son geste par sa stricte éducation qui l’empêchait d’avoir des petites amies. À la suite d’une confidence à une amie lycéenne, les faits sont rendus publics. Céline passe directement en conseil de discipline des Témoins de Jéhovah, au motif qu’“on ne doit pas traîner en justice son propre frère”. Elle subit une réprimande privée (comme son frère) devant une vingtaine de personnes. Ses parents la contraignent à assister au procès de son frère (elle n’y était pas obligée, compte tenu que c’était le procureur de la République qui avait porté plainte) afin que le procès se tienne à huis clos et que les médias ne s’emparent pas de l’affaire. Elle sera ensuite chassée de chez elle. Ses propres parents la traiteront de traînée dans toute la ville. Elle est aujourd’hui harcelée depuis des années : “Ils savent tout, je ne peux pas faire un pas sans être sûre qu’ils ne seront pas là.”

Anne, 26 ans, humiliée en public

“Je n’oublierai jamais cet “ancien” qui, lorsque j’avais 13 ans, a profité de la prédication et d’un séjour chez lui pour se livrer à des gestes déplacés. Lorsque j’ai parlé, il a nié et, comme j’étais une “rebelle”, ma propre mère a considéré que c’était moi qui avais menti et affabulé, provoquant un scandale honteux qui m’a valu mon premier passage devant le “comité des anciens” et l’humiliation cuisante qui s’ensuit, car le secret n’existe pas chez les témoins : toute “mauvaise conduite” est étalée devant la congrégation tout entière. Le pire, c’est que je n’étais qu’une enfant sans moyen de défense équitable face à la suprématie d’un adulte-témoin-modèle et, qui plus est, affecté à un grade de responsable. Les Témoins de Jéhovah ne sont pas plus saints que le commun des mortels, simplement ils sont plus contrôlés et éventuellement plus ou moins sévèrement sanctionnés : de quoi s’assurer une apparence de perfectibilité.”

Les “TJ”, paradis des violeurs selon la police des mœurs

“Les Témoins de Jéhovah ? C’est le paradis des pédos.” Ça pourrait être une réclame de très mauvais goût. C’est pourtant un fait attesté par plusieurs policiers de la brigade des mœurs. Selon eux, il y a deux profils distincts : il y a le pédophile Témoin de Jéhovah au sens strict. “Les TJ sont tellement frustrés du point de vue sexuel qu’au bout d’un moment il y en a qui pètent un câble et vont vers des enfants. On le sait justement par ces enfants qui, quand ils sortent à l’extérieur, se trémoussent ou se dénudent devant leurs copains en disant qu’ils font ça avec leurs parents.”

Il y a aussi les pédophiles qui s’introduisent chez les jéhovistes, “deviennent de bons petits soldats parce qu’ils savent que tout le monde va se taire. Ils utilisent les TJ pour assouvir leurs besoins. C’est eux qui nous le disent quand on arrive à les interpeller”.

http://www.lyoncapitale.fr/Journal/France-monde/Actualite/Societe/Temoins-de-Jehovah-des-victimes-d-abus-sexuels-racontent

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Lyon Capitale
24/07/2013

Abus sexuels : la règle du silence des Témoins de Jéhovah

ENTRETIEN – William H. Bowen a passé 43 ans chez les Témoins de Jéhovah américains, dont 15 en tant qu’“ancien”, l’équivalent d’un ministre du culte. Suite à la découverte d’abus sexuels sur mineurs commis au sein de l’organisation, connus et cachés par la direction de cette dernière, il a quitté les Témoins pour fonder Silentlambs (les “Agneaux silencieux”, l’agneau symbolisant les victimes réduites au silence), une association de victimes d’abus sexuels au sein de l’organisation des Témoins de Jéhovah.

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Lyon Capitale : Vous avez passé une grande partie de votre vie chez les Témoins de Jéhovah, qu’est-ce qui vous a subitement poussé à vous en séparer ?
William H. Bowen : Un “ancien” avait avoué avoir commis des sévices sexuels sur un enfant. Pendant presque un an, j’ai tenté d’en faire état aux instances judiciaires gouvernementales. Mais le service juridique de Watchtower [l’entité juridique des Témoins de Jéhovah, NdlR] m’a dit de laisser les Témoins gérer la question : autrement dit, de ne rien faire, et malgré de nouvelles preuves d’autres abus. Ce jour-là, j’ai donné ma lettre de démission.

En matière d’abus sexuels sur mineurs, quelles sont les règles en vigueur chez les Témoins de Jéhovah ?
“Si l’accusation est niée, les anciens devront expliquer au plaignant qu’ils ne peuvent rien faire de plus dans le domaine judiciaire. Et la congrégation continuera de tenir l’accusé pour innocent”, explique la Watchtower. “Même si plusieurs plaignants se “souviennent” avoir subi des sévices de la même personne, la nature de ces souvenirs est en soi trop incertaine pour servir de fondement à des décisions judiciaires s’il n’y a pas d’autres éléments à charge.”
La politique des Témoins de Jéhovah prévoit que les informations concernant les pédophiles restent confidentielles. Les pédophiles sont protégés par une loi du silence et restent, dans bien des cas, dans leur fonction, tandis que leurs victimes souffrent en silence ou se voient imposer des sanctions qui peuvent aller jusqu’à l’exclusion. Cette politique est à mon sens contraire à l’éthique et à la moralité.

Si un violeur nie une accusation de viol portée contre lui, que se passe-t-il ?
Il reste innocent, et ne pourra faire l’objet ni de discussions ni d’accusations au sein de la congrégation.

Si une victime, ou sa famille, tente de dénoncer les faits, quels risques encourt-elle ?
Elle peut être excommuniée pour cause de calomnie à l’encontre de l’homme, déclaré innocent.

Vous avez publié sur votre site Internet une base de données propre aux Témoins de Jéhovah, faisant état de 23 720 cas d’agressions sexuelles et de viols. Comment y avez-vous accédé ?
Au printemps 2002, j’ai été contacté par trois personnes différentes, et de manière séparée, faisant partie des Témoins de Jéhovah, qui m’ont donné un certain nombre d’informations, notamment concernant le nombre de témoignages, recueillis par la secte elle-même, de membres qui se sont confessés. Ce ne sont pas des suspicions, ce sont des personnes qui ont avoué à la secte avoir abusé des enfants.

Que contient ce fichier ?
Y sont consignés tous les détails de l’affaire, dont la date de naissance du pédophile, ce qui s’est passé, l’âge de la victime, les lieux, les dates des attouchements, leur nombre, etc. Ces détails sont ensuite saisis sur un ordinateur au siège pour un archivage permanent, et peuvent être ressortis à tout moment, par les personnes autorisées, en cas d’infraction ultérieure. En 2002, le fichier énumérait 23 720 cas. Aujourd’hui, j’estime que la base de données contient bien plus de 40 000 noms d’agresseurs d’enfants. Si on fait un ratio par rapport au nombre de Témoins de Jéhovah dans le monde, on arrive à un cas de viol toutes les quatre congrégations. En France, où on recense 1 500 congrégations, si on applique ce ratio, cela fait environ 375 cas possibles de viols confessés.

Le siège mondial des Témoins de Jéhovah reconnaît-il l’existence de cette base de données ?
Oui, dans un courrier à l’intention de la BBC, ils en ont reconnu l’existence, tout en affirmant qu’il n’y avait pas de sens à citer le chiffre exact…

Pourquoi une telle omerta ?
Cela ne sert qu’à protéger l’organisation. On souhaite que les anciens aient la maîtrise totale de tout.

L’année dernière, aux États-Unis, les Témoins de Jéhovah ont été reconnus coupables d’avoir sciemment passé sous silence des actes d’abus sexuels sur mineur. Que se passera-t-il si la condamnation est confirmée en appel ?
Ils devront payer, mais pour eux c’est une paille financièrement. On estime les dommages et intérêts entre 9 et 10 millions de dollars. Là encore, des coffres sans fond – avec des dons par milliards – leur permettent un financement juridique illimité. Et la vieille politique continuera à mettre les enfants en danger. Ils préfèrent garder le contrôle au lieu de protéger les gosses.

Jéhovah, un dieu qui a du cash

En juin 2012, le patrimoine immobilier de la Watchtower Bible & Tract Society of New York Inc., l’entité juridique et d’édition des Témoins de Jéhovah, s’élevait à environ 1 milliard de dollars, pour près de 3,2 millions de mètres carrés. Avec une réserve de cash de plus de 30 millions de dollars (pièce citée lors du procès de Candace Conti, en 2012, par les avocats des Témoins de Jéhovah). Car la société est avant tout une multinationale d’édition, employant 3 400 personnes et distribuant 23 millions de copies de son best-seller, Watchtower (la Tour de Garde), en hausse de 7,5 % chaque année. Ses revenus annuels frôleraient le milliard de dollars.

source : Lyon Capitale
23/07/2013
Par Guillaume Lamy
http://www.lyoncapitale.fr/Journal/France-monde/Actualite/Societe/Abus-sexuels-la-regle-du-silence-des-Temoins-de-Jehovah#hautpage