Dans une étude inédite, le Conseil national des évangéliques de France prend ses distances avec la «théologie de la prospérité», un courant religieux qui commence à attirer certains évangéliques français.

En dehors du monde évangélique, le texte est passé pratiquement inaperçu. Publié discrètement fin mai, à l’usage des unions d’Eglises membres du Conseil national des évangéliques de France (Cnef), il est pourtant fondamental.

Comme son nom l’indique, cette théologie est connue pour son insistance sur la prospérité promise aux fidèles : la santé, la richesse et souvent la libération des influences démoniaques. Elle a été développée par des personnalités issues du pentecôtisme évangélique aux Etats-Unis dans les années 60 et 70. Les pères fondateurs sont des pasteurs texans, comme par exemple Kenneth Copeland, auteur du livre The Laws of Prosperity (1974). Depuis la fin des années 70, on la retrouve aussi en Amérique du Sud et en Afrique subsaharienne, où elle séduit surtout des pauvres, leur promettant bien-être et bonheur immédiat en échange d’une confiance aveugle accordée aux prédicateurs, souvent des escrocs.

Ainsi que l’explique très bien le texte, consultable via le site du Cnef, « ce courant correspond aux aspirations matérialistes d’une frange du christianisme occidental, qui y trouve enfin un langage ‘décomplexé’ sur l’argent ». Parmi les têtes pensantes contemporaines, la plupart sont des prédicateurs américains, effectivement riches et célèbres. Ainsi par exemple le très médiatique pasteur Joel Osteen. Il dirige la Lakewood Church à Houston, Texas, la plus grande megachurch aux Etats-Unis. L’étude du Cnef cite aussi Joyce Meyer, une prédicatrice extrêmement populaire qui a fait fortune avec ses livres d’édification. S’inspirant de la pensée magique, ces stars apprennent à leurs fidèles de proclamer – souvent à haute voix – la victoire sur toute maladie. Ils les font prier pour la réussite tant désirée, conformément à ce qu’ils pensent être la volonté de ce Dieu.

Selon les auteurs du texte du Cnef, il s’agit-là d’« une paganisation de la foi ». Soit le contraire de « la prière biblique qui se vit dans la relation, la confiance, la soumission à Dieu et l’attente de son action ».

« Les prédicateurs que nous avons étudiés soutiennent que l’Evangile promet la prospérité. C’est tout simplement faux. L’Evangile promet le salut et la réconciliation », nous explique Thierry Huser, un des théologiens ayant participé à la rédaction. Il continue : « Pour les théologiens de la prospérité, Dieu nous sauve pour nous bénir matériellement. Certains en sont pratiquement à donner des ordres à Dieu. Ils inversent les rapports entre Dieu et l’homme et deviennent ainsi idolâtres. »

Néanmoins, et il faut le souligner, cette théologie ressemble souvent au vrai christianisme. D’où son succès et d’où la difficulté de l’analyser. Si elle transforme Dieu en distributeur de miracles, elle utilise la Bible et des références au Christ. Elle survalorise certains versets bibliques qui montreraient que Dieu accorde santé et richesse pour ses enfants. Un des passages préférés est celui où Jésus chasse les esprits et guérit « tous les malades » (Matthieu 8.16). « Tout n’est pas faux, confirme Thierry Huser. Le Dieu de la Bible peut donner des bénédictions qui récompensent une vie vécue dans la foi. Le problème est que la guérison n’est pas acquise à la croix au même titre que le pardon. Par ailleurs, les théologiens de la prospérité semblent oublier que le règne de Dieu n’est pas encore pleinement accompli ! Et ils ne se rendent pas compte qu’ils culpabilisent ceux qui n’ont pas été guéris. »

En France, cette théologie s’installe lentement mais sûrement, surtout dans des Eglises évangéliques pauvres. A titre d’exemple, des pasteurs malhonnêtes font miroiter des cartes de séjours pour ceux qui payent bien. « Nous avons besoin d’études comme celle du Cnef pour nous sensibiliser sur ces risques manifestes », estime Gilles Boucomont, pasteur réformé, qui a aussi un ministère de guérison.

Certaines églises françaises qui pratiquent la théologie de la prospérité ont pignon sur rue. Curieusement, l’étude du Cnef les omet, sans doute pour ne pas faire des vagues dans le petit monde des évangéliques français. « On n’a pas vu des textes d’auteurs francophones », soutient Thierry Huser. Mais prenons Charisma, en Seine-Saint-Denis, qui rassemble pas moins de 7000 personnes tous les dimanches. Le pasteur principal, Nuno Pedro, donne cet enseignement dans un de ses livres (31 jours pour créer votre monde. Ed Charisma, 2005) : « Il [Dieu] nous instruit à mettre Sa Parole dans notre cœur et dans notre bouche, afin qu’en la proclamant avec foi, nous puissions produire les mêmes résultats que Lui ! » Mêmes résultats que Dieu, rien de moins ! Le pasteur Pedro lui-même a pour habitude de nier toute adhésion à la théologie de la prospérité. Mais ceux qui se rendent le dimanche à Charisma peuvent constater de quoi il est question. Une prédication du pasteur Pedro, homme à l’ego surdimensionné, est un one-man show où les fidèles spectateurs sont amenés à faire des exercices d’auto-persuasion pour l’obtention de toutes sortes de choses. C’est impressionnant, parfois émouvant, et peut-être ça marche parfois, un peu comme la pensée magique en général. Mais le rapport à Jésus de Nazareth, celui de la vraie Bible, n’est pas évident.

Inévitablement, l’étude du Cnef suscite aussi des réactions négatives, surtout dans des milieux pentecôtistes (le site actu-chrétienne.net fournissent de nombreux exemples). Une des voix critiques est le pasteur Carlos Payan, connu pour son ministère de guérison : « Les termes du débat sont mauvais, nous dit-il. Nous devrions utiliser le mot ‘prospérité’ positivement, car c’est un terme biblique. Dieu veut notre prospérité et il est normal de vouloir être prospère. Attention au misérabilisme occidental ! Tous les chrétiens n’ont pas fait vœu de pauvreté. Et ceux qui sont critiqués appartiennent souvent à des Eglises très pauvres. »

Propos provocateurs ? Oui. Ils correspondent à une peur chez certains charismatiques français qui craignent d’être stigmatisés par d’autres chrétiens jaloux du succès populaire des communautés dynamiques qui croient à la guérison. Thierry Huser entend ce type de critique, mais il souligne que l’étude du Cnef a rassemblé des auteurs de toutes les tendances des évangéliques : piétistes, baptistes, pentecôtistes, charismatiques… Autrement dit, le texte peut difficilement être accusé d’inspiration anti-charismatique.

En revanche, comme le suggère Carlos Payan, il faut sans doute relativiser les risques liés à cette mauvaise théologie. Pour le moment, seules les marges du monde protestant évangélique français sont touchées. Le journaliste et essayiste Patrice de Plunkett, auteur d’une des meilleures enquêtes jamais faites en français sur les évangéliques (1), estime que, sur ce point, la pratique religieuse française est très différente de celle observée en Amérique ou dans certains pays africains : « La théologie de la prospérité n’existe que dans le protestantisme, où elle demeure très minoritaire. En France, pays plutôt catholique, elle est d’autant plus marginale. La grande majorité des protestants évangéliques français non seulement ne la pratiquent pas, mais ils la condamnent, en se référant à la Bible, à juste titre. A vrai dire, le seul exemple manifeste que j’ai vu, c’est l’église Charisma du pasteur Pedro. »

« La théologie dite de la prospérité, quand elle existe, n’est évidemment pas chrétienne », concède Carlos Payan, lui aussi. Tout en précisant qu’il aurait préféré le terme « théologie du matérialisme capitaliste ». Une proposition que les auteurs de l’étude jugeraient certainement acceptable.

1. Les évangéliques à la conquête du monde, Perrin, 2009.

source :
La Vie

Henrik Lindell

le 08/08/2012
http://www.lavie.fr/religion/protestantisme/theologie-de-la-prosperite-quand-dieu-devient-un-distributeur-de-miracles-08-08-2012-29858_18.php