Alors qu’internet et les nouvelles technologies occupent de plus en plus de place dans nos vies, ne faudrait-il pas enseigner des compétences supplémentaires aux enfants ? Par exemple, apprendre à coder. Ou encore savoir faire le tri parmi tout ce que l’on trouve sur le web. C’est l’atelier pédagogique qu’a monté pour ses élèves Rose-Marie Farinella Elkabbach, enseignante. Elle raconte.

Apprendre à se repérer sur la toile avec un esprit critique pour devenir des e-citoyens avertis, qui consomment et produisent des informations de manière responsable, sans se faire berner ni manipuler : tel est l’enjeu d’un projet inédit d’éducation aux médias que je viens d’expérimenter auprès d’enfants de 10-11 ans.

{{Des clés indispensables pour naviguer sur le net.}}

{{Mes élèves se sont donnés à fond dans ce projet}}

Jeudi dernier a eu lieu une cérémonie de remise des diplômes “d’apprenti hoaxbuster”. Une première en son genre. Des élèves de CM2 de l’école primaire de Taninges ont prêté serment sur la tête de la souris de leur ordinateur : “Avant d’utiliser ou de transmettre une information, toujours, je la vérifierai”. Une attestation largement méritée.

Au cours des huit séances de 1h30, ils se sont tous, sans exception, donnés à fond dans mon projet “info ou intox sur internet, comment faire la différence ?”.

Même les vendredis, veille de vacances, ou jour d’éclipse, ils sont restés attentifs et ont vécu intensément cette expérience.

Les résultats concluants des évaluations prouvent que l’on peut aborder cette problématique avec des enfants aussi jeunes. En témoignent également les bilans détaillés des séances avec photos et enregistrements sonores ainsi que l’exposition d’affiches réalisées par les élèves sur “les règles et conseils de prudence pour naviguer sur internet et les réseaux sociaux”. Des documents en ligne sur le site de l’inspection de l’Education Nationale de Cluses.

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Comprendre ce qu’est une “vraie information”}}

Pour reconnaître une “fausse information”, il a d’abord fallu comprendre ce qu’est une “vraie” info. Comment elle est traitée, mise en page, diffusée.

Observer la différence entre publicité et rédactionnel. Explorer les différents médias et le métier de journaliste. Une profession qui exige un travail scrupuleux de collecte, de vérification, de tri, d’analyse et de synthèse des faits.

Pour appréhender les notions d’objectivité et de subjectivité, les élèves ont fait des jeux de rôles, inventé des situations, se sont mis dans la peau de reporters. En couvrant une manifestation contre la chasse, ils ont su qui interroger – des chasseurs aux écologistes, en passant par le maire et même le ministre de la défense des animaux – et quelles questions pertinentes poser.

Ils ont découvert l’importance de confronter les différents points de vue, souvent contradictoires, des protagonistes concernés par un événement, ainsi que la difficulté d’être impartial.

Pas facile de rendre compte avec neutralité d’un match de foot Taninges/Saint Jeoire quand son cœur penche pour une équipe. Distanciation et esprit critique sont nécessaires pour aborder une information et se forger sa propre opinion. Un esprit critique qui doit être d’autant plus aiguisé pour se repérer dans le dédale de la toile, où n’importe qui peut écrire et publier n’importe quoi, sans être soumis à aucune règle déontologique.

{{Sur le net l’apparence est trompeuse}}

Alors, infos ou intox, comment faire la différence ? La mise en page des vrais et faux sites d’informations est très similaire. En comparant les “unes” du “Figaro” et du “Gorafi”, les enfants ont compris combien sur le net l’apparence est trompeuse.

Parfois le mensonge saute aux yeux, comme par exemple ce groupe d’élèves qui a trouvé un document traitant des guerres napoléoniennes contre… Vercingétorix. Mais malheureusement, faire le tri entre le bon grain et l’ivraie n’est pas toujours aussi aisé.

Certains se laissent tenter par la première info qui leur tombe sous la main et le résultat est plus qu’aléatoire. Un exposé à faire sur l’égalité, et la première ressource proposée par votre moteur de recherche est le site “Egalité et Réconciliation”. Pour l’instant, les robots des moteurs de recherche se contrefichent de la qualité ou de la validité d’une information. A l’internaute de se débrouiller tout seul.

Une information n’est fiable qu’à la condition que sa source soit sûre. Pour vérifier sa véracité, les élèves ont pénétré au cœur de l’information en la disséquant méthodiquement : qui en est l’auteur, à quelle date, dans quel média, sur quel site est-elle parue, le site est-il fiable, sérieux ? De quel événement est-il question ? Où, quand, avec qui, comment, pourquoi a-t-il eu lieu ?

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Comment déjouer les pièges du net}}

Quand ils ont présenté aux camarades des autres classes, “Les infaux du Haut Giffre”, leur journal truffé de fausses infos, qu’ils venaient de rédiger, ils ont été sidérés de constater la crédulité de leur auditoire.

Personne ne s’était posé de questions sur la véracité des infos lues. Ils se sont transformés en petits détectives pour démasquer les hoax sur le web en traquant les indices, identifiant les sources, croisant les informations et décortiquant textes et photos pour évaluer leur fiabilité. Ils étaient très fiers de connaître des astuces de vrais hoaxbusters telles que cliquer sur l’onglet “A propos”, “Qui sommes-nous ?” ou “Mentions légales” pour démarrer leur investigation.

Ou encore uploader une photo dans Google image pour retrouver où et quand elle a été postée, une méthode de vérification efficace dont Ségolène Malterre, journaliste à France 24 fait la démonstration dans son excellente enquête “info ou intox, comment déjouer les pièges”, avec une photo ayant fait le buzz sur Twitter d’une fillette recouverte de boue, serrant son ours en peluche contre son cœur, censée avoir été photographiée pendant la guerre en Ukraine, alors que le cliché avait été pris en Australie, quatre ans avant le conflit.

Pour prouver qu’on peut facilement inventer une légende, les élèves se sont amusés à en imaginer à leur tour : “petite fille prisonnière des services secrets retrouvée en France” ou “fillette maltraitée par son père, battue tous les jours avec un fouet”…

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Education aux médias et initiation à la citoyenneté}}

Beaucoup de fous-rires pendant les séances, surtout quand on a surfé sur les sites parodiques. Les “One Direction” faisant allégeance à l’Etat Islamique du “Gorafi” et le lancer de pitbull du “Courrier des Echos” ont fait un tabac dans la classe.

Idem lorsqu’on a observé des photos retouchées. Lady Gaga avant et après Photoshop a fait un malheur. Mais la gravité était également au rendez-vous pour aborder des sujets aussi sérieux que les rumeurs, le racisme, la xénophobie, le conspirationnisme, distillés sur le web.

Ils étaient abasourdis quand ils ont su que certains adultes croyaient à des balivernes, telles que les chemtrails ou autres délires. “Peut-être que nous aussi, si on n’avait pas fait tout ce travail sur les médias, on aurait pu croire à toutes ces bêtises”, a dit un jeune garçon (enregistrement N°19 /bilan de la séance 6).

Les élèves ne se sont pas contentés de mener des recherches, ils se sont également posé des questions sur les raisons qui poussent certains internautes à diffuser des fake sur le net. Telle la photo d’une piscine bondée censée avoir été prise au Sénégal avec une légende mensongère indiquant qu’elle avait été shootée à Créteil. Pas un blanc en train de nager.

“Pourquoi mentir ?”, se sont-ils demandé. Ne pas nuire, ni blesser autrui, respecter les autres, tel est l’un des messages clé de la séquence. Comme quoi, éducation aux médias et initiation à la citoyenneté sont intimement imbriquées.

Fantastique outil d’information et de communication, internet comporte des risques et des dangers qu’il est important de connaître pour devenir des cyber-citoyens responsables, soucieux de respecter l’éthique et les valeurs de la république. Et tenter de remédier à l’effrayant constat de notre ministre de l’Education nationale “un jeune sur cinq croit à la théorie du complot”.

source : http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1388914-theorie-du-complot-intox-j-eduque-mes-eleves-a-discerner-les-vraies-infos-sur-le-net.html

Par Rose-Marie Farinella Elkabbach
Enseignante

Édité par Déborah Zago

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