Thomas C. Durand, créateur de "La tronche en biais", dans l'une de ses vidéos. / © Youtube - La tronche en biais
Thomas C. Durand, créateur de “La tronche en biais”, dans l’une de ses vidéos. / © Youtube – La tronche en biais

Co-tenancier de la chaîne youtube “La tronche en biais”, Thomas C. Durand sera en conférence dans les lycées de Chartes et de Dreux le week-end du 13 octobre. Il abordera sa thématique fétiche : “créationnisme et conspirationnisme”.

Il a fait études de biologie, et une thèse en physiologie végétale sur le stress du peuplier. Aujourd’hui, il démonte le conspirationnisme sur Youtube. Un rapport ? “Aucun ! C’est bien la preuve que la science mène à tout.” 

Thomas C. Durand, ancien étudiant à Orléans, est l’un des heureux papas de la chaîne youtube “La tronche en biais”. Elle est née, d’abord, de sa fascination pour la pensée créationniste, qui rejette une évolution qu’en tant que biologiste il estime centrale.

“Sur les forums, je n’ai jamais réussi à convaincre”

A l’époque, je faisais les forums de discussion sur le créationnisme, et j’ai découvert tous les complots bizarres. La terre est plate, creuse, les extraterrestres sont partout, les vaccins sont dangereux, les pôles vont s’inverser… Tous ces trucs un peu délirants. Et souvent, ce sont les mêmes personnes qui croient à ces deux idées.”

Il se lance dans l’art du débat, sans aucun succès. Je n’ai jamais réussi à convaincre personne que l’évolution était vraie, sur ces forums. Cet échec personnel était terrible, je me suis : mais mince, j’ai pourtant des arguments, je leur montre que ce qu’ils disent est faux, mais ce n’est pas possible. J’ai arrêté de débattre, et j’ai questionné ceux qui étaient d’accord avec moi, pour savoir s’ils avaient des explications. Et c’est là qu’on m’a envoyé quelques liens, et j’ai découvert tout un champ de recherche sur les biais cognitifs.

Les biais cognitifs, ce sont les raccourcis que fait notre cerveau, qui nous pousse à croire certaines choses et pas d’autres. “Comme quand on est arachnophobe, on sait que l’araignée ne va pas nous bouffer mais on y peut rien. Eux, c’est pareil, il y a des choses qu’ils ne veulent pas accepter comme étant vraies. Ils sont pourtant pas plus cons que les autres.” 

Il se lance dans l’écriture d’un livre, “L’ironie de l’évolution”. C’est le déclic pour un de ses amis,  Anthony Da Silva (Vled Tapas sur l’internet), qui lui dit : “Il faut qu’on parle de ça sur Youtube”. 2014, la Tronche en biais fait son apparition sur la toile.

Notre cerveau nous arnaque

Le squelette de la chaîne : la dissection des biais cognitifs, “dans l’ordre”. “On a commencé sur la pensée critique, la base. La pensée critique, c’est celle qui mène au conspirationnisme : quand on n’accepte pas pour vrai même ce qui est prouvé.”

Vient ensuite le tour de l’essentialisme, “cette faculté qu’on a de rentrer les choses dans des boîtes, avec une étiquette et là, ça ne bouge plus”. Il s’attaque aussi à la rationnalisation, qui nous pousse à voir le réel comme une trame un peu arrangée où nous avons le beau rôle. “Quand on ne fait pas ça, on est dépressif”, précise-t-il.

La dernière vidéo de son programme est sortie la semaine dernière, elle aborde “l’erreur fondamentale d’attribution” (ce n’est pas aussi compliqué que ça en a l’air). “C’est une erreur qu’on commet quand, pour expliquer un événement, on va surestimer l’importance des explications internes. Donc, la qualité des gens, leurs défauts et leurs intentions, et on va sous estimer le contexte. A cause de ça, on va supposer que ce qui arrive aux gens, c’est de leur faute. On va penser de celui qui est riche qu’il a du mérite, et de celui qui est pauvre qu’il est nul, et on va trouver normales les inégalités sociales. C’est un biais parfaitement humain, sauf qu’en fait il est terrible.”

Quatre vidéos en quatre ans, c’est peu, me direz-vous. C’est parce que les idées, entretemps, se sont diversifiées. Dans “la tronche en live”, Thomas et Anthony invitent un chercheur ou un vulgarisateur à venir discuter de son sujet, et le laissent dérouler autant de temps qu’il le faut. “Récemment, on a eu Jacques Balthazart, sur comment la biologie peut expliquer qu’on soit homo, hétéro ou entre les deux. Bon, il fallait bien deux heures pour aborder le sujet de manière apaisée !”

Le but, lui, est toujours le même : rapprocher la science des gens. 

Et là, ça marche

Oublié l’échec cuisant des forums : l’aventure youtube est un succès, couronnée de plus de 108 000 abonnés et même du prix Diderot 2016. Un succès qu’ils espéraient sans l’attendre.

“Parce qu’on croit à ce qu’on fait, et qu’on pense que c’est important et que c’est un sujet d’actualité. Mais on a commencé sans réseau. On n’est personne, nous. Moi je suis docteur en biologie,  mais pas expert de ce dont on parle. Il n’y avait pas de raison que des chercheurs acceptent de venir chez nous. Dans le paysage youtube des sciences, on commence à être une chaîne importante, on est contents. Mais on sait que ce n’est pas le mérite qui est récompensé sur youtube. Ça fait quand même 4 ans, il y a des chaînes qui en quelques semaines ont plus d’abonnés que nous. Il ne faut pas qu’on prenne la grosse tête” temporise le co-taulier.

Il y aurait pourtant, de temps en temps, des raisons de la prendre. Les mails de remerciements d’anciens conspirationnistes convertis. La rencontre de cet étudiant, à Aix, qui est passé du complotisme au master sur les croyances, grâce à Thomas et Anthony. “Ce mec-là, il fait ces études-là parce qu’il y a quatre ans on a décidé de faire des vidéos sur internet. En termes de conséquence, c’est pas mal !”

Le dialogue virtuel est, lui aussi, d’une bien meilleure qualité. “Qu’on le veuille ou non, on fait un peu autorité, ce n’est pas la même chose que quand je postais en lambda sur un forum. L’immense majorité est bienveillante.” Mais il reste des irréductibles, qui les accusent, pas exemple, d’être vendus à Monsanto.

Dans la tête d’un complotiste

On touche au coeur de sa prochaine conférence dans les lycées de Dreux et de Chartes le week-end du 13 octobre : les “mécaniques de la croyance”. Que se passe-t-il dans la tête d’un complotiste ?

“Le complotiste, sa tête, elle marche comme tout le monde. Il a le même tableau de bord, mais on a tous différents curseurs”, entame Thomas C. Durand. Chez lui, trois besoins que nous avons tous sont très exacerbés : le besoin de contrôle, le besoin de sens, et le besoin de se sentir spécial. 

“Il va s’attacher d’abord à des explications qui comblent ces besoins-là. Souvent, les théories conspirationnistes sont monocausales : il y a une cause, qui explique tout, et ça donne du sens au monde dans lequel il vit. Et il se sent spécial, parce qu’il a une connaissance que nous, nous n’avons pas.” 

Le scientifique dresse le portrait d’une personne plus curieuse en général que la moyenne, plus souvent aussi en échec, qui cherchent des coupables avant de chercher des solutions.

“Mais on est tous comme ça ! C’est pas des gens malades, ou anormaux. Ils sont juste à un bord du spectre, où ils ont plus ces besoins là que les autres. Ils peuvent être convaincus, on peut les ramener à la raison en général. Il y en a quelques-uns qui sont un peu plus pathologiques, pour qui ça coûte trop cher de renier ce qu’ils croient.”

Tous influençables

Pour lui, la solution est d’abord de sabrer le créationnisme, Saint-Père de tous les complots. “Ma théorie personnelle, c’est que si on arrive à mieux expliquer l’évolution, les principes darwiniens, on vaccine les gens contre les biais qui les amènent à la conspiration, puisque ce sont les mêmes routes mentales et les mêmes pièges.”

Le but de Thomas C. Durand n’est de tout façon pas de convaincre, mais de donner des clés. “Ces lycéens que je vais rencontrer, je veux leur montrer à quel point ils sont influençables. Parce qu’on a tous tendance à penser qu’on est moins influençables. Et quand on ne se croit pas influençable, du coup on l’est beaucoup plus, parce qu’on ne réfléchit pas. Si c’est possible juste de leur amener ça…”

  • Thomas C. Durand est l’auteur de plusieurs ouvrages de théâtre, de science-fiction et de vulgarisation. Son prochain livre scientifique, “Quand est-ce qu’on biaise ?”, sortira en janvier 2019 aux éditions Humen sciences. 
  • source :  franceinfo.fr Par Yacha Hajzler