Thierry Tilly, responsable de la ruine d’une famille de notables du Sud-Ouest sous son emprise pendant des années, a été condamné mardi en appel à Bordeaux à dix ans de prison, un jugement accueilli avec soulagement par ses victimes.

« Pour nous, cette peine de dix ans de prison est un grand succès et un soulagement », s’est aussitôt félicité Me Daniel Picotin, avocat de plusieurs parties civiles: ce jugement est la preuve que « la cour d’appel a parfaitement compris les ravages causés par la manipulation mentale ».

L’avocat de M. Tilly, Me Alexandre Novion a dit « comprendre que la peine » prononcée, selon lui « extraordinairement sévère », puisse « réjouir » ceux qui ont été baptisés les « reclus de Monflanquin », car il fallait qu’il fût « absolument coupable pour qu’ils soient absolument victimes ». Me Novion entend, à la demande de son client, se pourvoir en cassation.

La cour d’appel de Bordeaux a suivi les réquisitions du ministère public, qui avait demandé 10 ans d’emprisonnement, soit deux de plus que lors de sa condamnation en première instance.

Elle a par ailleurs confirmé la condamnation à cinq ans de privation des droits civiques et civils de M. Tilly, incarcéré depuis 2009.

C’est à la fin des années 1990, que cet homme surnommé le « gourou » des « reclus de Monflanquin » avait fait la connaissance de la famille de Védrines, des notables aisés, instruits et honorablement connus du Sud-Ouest, avant de les couper du monde et de les ruiner.

Mardi, la majorité des ses victimes étaient présentes à la lecture de l’arrêt dont ils se sont aussitôt réjouis.

« Homme très toxique »

« C’est un soulagement » et « un jugement excessivement juste », a souligné Philippe de Védrines, satisfait que « cet homme très toxique » ait écopé de la peine maximum.

Une satisfaction partagée par son frère Charles-Henri, pour qui cette peine « représente bien la gravité des faits commis ». Ce gynécologue bordelais à la retraite dit cependant redouter que le prévenu ne « recommence » à sa sortie de prison car « il est dangereux ». « La seule chose qu’il sache faire c’est escroquer », affirme ce sexagénaire.

Après avoir réussi à isoler psychologiquement de leurs proches onze personnes de la famille, issues de trois générations, M. Tilly, 49 ans, a réussi à les convaincre qu’elles étaient victimes d’un complot dont lui seul pouvait les sauver, les délestant de biens estimés à 4,5 millions d’euros.

« Mes enfants ont perdu dix ans de leur vie et ce verdict (…) va leur permettre de se rendre compte que la justice a conscience de ce par quoi ils sont passés », s’est félicitée Christine de Védrines. Cette jeune fille choyée puis épouse pleine de bon sens n’en revient toujours pas de « la mise en jachère » des intelligences opérée par Tilly. Elle a été la première à s’échapper.

Son mari Charles-Henri et leurs trois enfants Guillaume, Amaury et Diane y livrent aussi le récit de ces dix années.

A l’inverse de sa mère, Amaury, 32 ans, a estimé mardi ne pas avoir de « sentiment de victoire ». « Je l’aurai le jour où j’aurais repris le dessus sur ma propre vie mais il y a encore du boulot », a reconnu le trentenaire, conscient d’avoir perdu « le plus belles années de (s)a vie ».

L’annonce par Me Novion d’un éventuel pourvoi en cassation était d’ailleurs accueilli avec angoisse par le trentenaire.

« On a l’impression qu’il n’y a pas de fin », souligne-t-il tout en se disant également frustré de ne pas avoir entendu Tilly, lors des ses deux procès, reconnaître ce qu’il a fait.

source : AFP relayé par « Le Point.fr »

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le 22 juin 2013

Atlantico.fr

Les reclus de Monflanquin : quand le gourou tisse sa toile

Pour la première fois, Christine de Védrines, l’une des principales victimes de l’affaire « des reclus de Monflanquin », témoigne de son calvaire. Extrait de « Nous n’étions pas armés » (1/2).

Thierry Tilly a été condamné, mardi 4 juin, par la cour d’appel de Bordeaux à dix ans de prison dans l’affaire des reclus de Monflanquin

Pourquoi un médecin surbooké de Bordeaux, tenu par des horaires débordants, trouverait-il le temps de faire un saut à Paris pour passer deux heures avec un homme de trente-huit ans dont il ne sait presque rien ? La question mérite d’être posée car c’est ainsi que s’est noué entre Thierry Tilly et mon mari un lien d’une solidité telle qu’il a duré neuf ans et a failli nous détruire.

A la fin de l’année 2000, quelques mois après leur premier contact pour le procès de Lacaze, Charles-Henri avait eu plusieurs entretiens téléphoniques avec Tilly. Brefs mais assez convaincants pour qu’à sa demande il saute dans un TGV et rejoigne la capitale. A la gare Montparnasse, un homme jeune, mince, à petites lunettes, l’air extrêmement sérieux et pondéré, l’attend au bout du quai. Tilly l’aborde tout de suite, il l’a reconnu alors qu’il ne l’a jamais vu. Aurait-il senti que cet homme pas très grand qui cherche du regard quelqu’un qu’il ne connaît pas est Charles-Henri de Védrines ? Peut-être se souvient-il de photos vues chez Ghislaine ?

Tous deux font quelques pas sur la dalle devant la gare, échangeant les banalités d’usage, puis vont se réchauffer dans l’un des cafés qui bordent la place du 18-Juin.

Tilly s’assied dos à la lumière, à contre-jour, face à Charles-Henri qu’il observe sans qu’il s’en doute. D’emblée, il établit entre eux deux, Charles-Henri, cinquante-deux ans, Tilly, trente-huit, une relation d’égal à égal. Tilly se montre discret sur ses activités mais lâche au détour d’une phrase des noms, des lieux, des événements auxquels il a pu être mêlé, avec la discrétion qui s’impose, du moins qu’il impose, laissant entendre qu’il ne peut en dire plus. En revanche, il semble connaître la vie à Bordeaux, le travail accompli par Charles-Henri, le poids de ses responsabilités. Celui-ci répond, livre encore plus d’éléments sur sa vie, heureux d’être écouté avec attention. Leur conversation prend vite le tour de la confidence. Entre hommes de même calibre, de même importance, ils parlent la même langue. De quoi exactement ? Du métier de Charles-Henri, de sa pratique quotidienne, du volume de sa clientèle, de la difficulté à maintenir un équilibre entre vie de famille et vie professionnelle. Tilly connaît ces moments où le temps vous manque pour voir grandir vos enfants. Il en a deux, il les voit peu, pas assez sans doute. « Nous en sommes tous au même point lorsqu’on a de vraies responsabilités. Heureusement, il y a les épouses. » Charles-Henri a une femme qui assure, comme on dit.

Cette parenthèse passée dans le café ressemble à une bulle hors de l’espace et du temps. Charles-Henri est face à un homme dont il sait très peu de chose et qui possède un rare talent d’écoute.

Sans l’avoir voulu, sans évidemment s’en rendre compte, mon mari se trouve dans une situation analogue à celle d’un patient venu consulter un psychothérapeute. Rien de commun, penserait-on. Pourtant, il se livre aussi aisément. L’écoute crée la confidence. Charles-Henri ne s’en rend pas compte, et lui aurait-on fait cette réflexion ce jour-là qu’il aurait haussé les épaules ou levé les yeux au ciel avec peut-être même de l’agacement.

De manière subliminale, très inconsciemment, il laisse entendre un train de vie aisée, les vacances au Pyla, la grande maison à Bordeaux et la charge de Martel, la propriété et les terres qu’il a héritées de son père et pour laquelle il a engagé des travaux de modernisation assez lourds. Ils évoquent la vente problématique d’une maison appartenant à Mamie et à ses soeurs, les soucis de Ghislaine. L’autre l’écoute intensément. Et il pose alors la question – mais est-ce une question ? Plutôt une observation qui effleure le sujet – non d’un complot mais d’envies, de jalousies, voire de l’agressivité chez certains que peut provoquer une famille comme les Védrines, aisée, ancienne, respectée. Lorsqu’ils se quittent, Charles-Henri a-t-il le sentiment d’avoir gagné un ami ? Un soutien ? Dans le train qui le ramène à Bordeaux, il réfléchit à ses paroles troublantes.

Dans l’histoire, dans les racines profondes de tout protestant repose intact, prêt à réagir, le sentiment de devoir faire front, fruit de toutes les persécutions endurées, toutes les guerres menées, toutes les batailles perdues et gagnées. Il y a encore une vingtaine d’années, Charles-Henri a dû se battre pour épouser la femme qu’il aimait. Et puis, il y a autre chose, de plus subtil. Son père et lui ensuite aiment à dire qu’ils sont des terriens, que ce qu’ils ont de plus cher au cœur ce sont les champs, les bois, les pierres de Martel, les paysages vallonnés et doux aperçus depuis les fenêtres, les odeurs d’humus et de foin que l’on respire au petit matin. Et pour cela aussi, ils combattraient sans fin comme leurs ancêtres. Ils ont toujours eu le sentiment d’appartenir à une minorité discrète et fière : des aristocrates terriens protestants. Les Védrines, c’est une famille, un clan peut-être ? On ne le penserait jamais lorsque nous sommes à Bordeaux. Mais à Martel, oui. Ce que moi, sa femme, j’appellerais « le syndrome de la citadelle assiégée », mon mari le ressent parfois. Et il suffit qu’un inconnu le réveille avec suffisamment d’habileté pour qu’il reprenne vie. Vu sous cet angle, Tilly se révèle efficace.

Il demeure encore à ce moment-là, un homme énigmatique, mais ce mystère même représente une forme trouble de séduction que Charles-Henri ne mesure pas. Il soigne les corps, aide à donner la vie mais ne s’interroge pas suffisamment sur les âmes et la psychologie familiales. Il n’en a pas le temps, ce n’est ni son travail, ni sa forme de pensée.

De retour à la maison, le soir même, Charles-Henri me raconte sa rencontre en insistant sur le charisme et l’intelligence de ce personnage fin et actif. Il évoque son sentiment que notre famille est en butte à une attaque mal définie à laquelle elle doit faire face. Mais, grâce à lui, nous ne sommes plus seuls dans l’adversité.

Puis Charles-Henri lance un autre sujet, abordé semble-t-il au cours de ce premier entretien : nos placements financiers. Il me suggère de vérifier ce que fait mon conseiller ; les informations détenues par Tilly laissent à penser que l’on pourrait valoriser infiniment mieux notre capital. Je gère, il est vrai, en « bon père de famille » : assurances vie et bons du Trésor pour l’essentiel. Et là, je m’étonne que la conversation qui devait être consacrée à la meilleure manière de défendre les intérêts de la famille Védrines ait bifurqué sur la gestion de notre argent, du mien en particulier. Mais Charles-Henri pense à autre chose : que valent nos conseillers ?

« Tu as toujours confiance en eux ? me demande-t-il. Tu n’as jamais aucun doute ? » Je me souviens de cette soirée. Nous sommes dans notre chambre. Je l’ai meublée pour qu’elle soit la plus douillette possible, j’ai acheté deux lampes de chevet qui diffusent une lumière suffisamment tamisée pour lire au lit et en même temps assez douce pour créer une ambiance sereine de repos. J’aime ce que j’ai fait de notre chambre, elle est l’image de la vie paisible. Or, à ce moment précis, j’ai l’impression fugitive que Charles-Henri ouvre une fenêtre sur le chaos. Ça ne dure que l’espace d’un éclair, mais le malaise va demeurer au plus profond de ma mémoire. Maintenant, plus de dix ans après, je le retrouve intact en écrivant ces lignes. Devant la suggestion de Tilly, je réagis comme tout un chacun : avant de prendre la moindre décision, ne devrions-nous pas nous renseigner sur lui ? Mon mari a des relations politiques à Bordeaux, il serait facile de leur passer un coup de téléphone. Nous pourrions certainement avoir quelques informations par les Renseignements généraux. Mais Charles-Henri ne m’entend pas. Il ne s’oppose pas à moi, il n’exige pas que j’agisse dans un sens ou dans un autre. Il dit simplement que, oui, nous pourrions nous renseigner si cela me rassure, ou me fait plaisir, mais laisse la question en suspens. Peut-être simplement parce qu’il est tard, qu’il est fatigué et que demain une lourde journée l’attend à la première heure. Peut-être aussi est-il convaincu que j’ai déjà décidé d’obtempérer. Je ne sais pas. Il ne sera plus jamais question de prendre des renseignements sur Tilly. J’aurais pu le faire moi-même et j’ai laissé filer. Peut-être parce que je voulais que ce soit lui qui s’en charge. Dans la mesure où il avait rencontré l’instigateur de cette démarche, c’était son choix et non le mien.

Christine de Védrines

Christine de Védrines est une des onze personnes qui ont vécu les épreuves de l’affaire largement médiatisée sous le titre : « Les reclus de Monflanquin ». Elle livre son témoignage personnel dans le livre « Nous n’étions pas armés ».

Extrait de « Nous n’étions pas armés », Christine de Védrines, (édition Plon) 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

source :
http://www.atlantico.fr/decryptage/reclus-monflanquin-quand-gourou-tisse-toile-christine-vedrines-763132.html

du 4 juin 2013