Discussion du texte de la commission mixte paritaire
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, sur le rapport de la commission mixte paritaire, du projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l’Union européenne et des engagements internationaux de la France (nos 1058, 1273).
Présentation
Mme la présidente. La parole est à Mme Marietta Karamanli, rapporteure de la commission mixte paritaire.
Mme Marietta Karamanli, rapporteure de la commission mixte paritaire. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, ministre de la justice, monsieur le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, mes chers collègues, le projet de loi que nous allons adopter transpose onze instruments européens ou internationaux relatifs au droit pénal et de natures diverses puisqu’ils incluent des directives ou des décisions-cadres de l’Union européenne, des conventions du Conseil de l’Europe ou des Nations unies, et même une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies.

Il marque une étape importante dans la construction d’une Europe de la justice. C’est en effet la première loi de transposition de directives dans le domaine pénal, ce qui est l’une des premières conséquences concrètes du traité de Lisbonne dans ce domaine.

Je ne reviendrai pas sur le contenu du projet de loi tel qu’il avait été modifié à l’issue de sa première lecture à l’Assemblée nationale. Je me concentrerai plutôt sur les ajouts opérés par la commission mixte paritaire, qui sont nombreux.

Avant cela, je souhaite revenir sur le sens global de l’adoption d’un tel projet. Le droit pénal, qui était traditionnellement considéré comme le symbole de la souveraineté nationale, devient l’un des domaines les plus directement concernés par l’internationalisation du droit.

Deux raisons expliquent ce phénomène : la globalisation croissante des activités, y compris celles qui sont prohibées, et l’universalisation croissante des droits des individus.

Cela étant souligné, j’en viens maintenant au travail mené au sein de la commission mixte paritaire.

Je tiens tout d’abord à souligner l’état d’esprit très constructif dans lequel nous avons travaillé, le rapporteur de la commission des lois du Sénat, M. Alain Richard, et moi-même, sur ce texte. Si les divergences entre les textes adoptés par les deux assemblées étaient en nombre limité, elles étaient toutefois significatives. Je me réjouis donc que nous soyons parvenus à un accord sur tous les sujets restant en discussion.

Les ajouts proposés par la commission mixte paritaire portent, en premier lieu, sur la lutte contre l’esclavage et la servitude. Pour les préparer, nous avons eu recours à une méthode inhabituelle, pour ne pas dire inédite, justifiée par l’importance des enjeux. Un groupe de travail commun à nos deux assemblées a été créé, en concertation avec la garde des sceaux, qui est très sensible à ces sujets. Il a mené une dizaine d’auditions auprès de hauts magistrats, d’universitaires, d’associations spécialisées dans la lutte contre l’esclavage. Ces auditions étaient ouvertes à tous les commissaires aux lois qui souhaitaient y participer. Il en est sorti quatre dispositions.

La première, qui figure à l’article 2 bis, a pour objet de créer un crime de réduction en esclavage et un crime d’exploitation de personnes réduites en esclavage. Cette définition pénale de l’esclavage est nécessaire : les textes internationaux incluant l’esclavage parmi les finalités de la traite des êtres humains, il faut, pour s’y conformer, définir cette notion dans le code pénal, afin de respecter le principe de légalité des délits et des peines

La définition retenue est celle qui figure dans les deux seuls instruments internationaux définissant l’esclavage, à savoir la convention de Genève relative à l’esclavage de 1926 et la convention supplémentaire du 7 septembre 1956. Aux termes de ces textes, l’esclavage est l’état ou la condition d’un individu sur lequel s’exerce l’un des attributs de la propriété. En d’autres termes, l’esclavage est la réification d’une personne, le fait de la traiter comme si elle était un objet. C’est la définition classique de l’esclavage, dont les formes contemporaines, parfois qualifiées de « modernes », seront plutôt réprimées au titre du délit de réduction en servitude.

Ce premier crime s’accompagne d’un second, l’exploitation d’une personne réduite en esclavage, qui correspond à la séquestration, la commission d’une infraction sexuelle ou la soumission à du travail forcé d’une telle personne, dès lors que l’auteur connaît sa condition.

Ces deux crimes sont punis de vingt ans de réclusion criminelle, trente ans en cas de circonstances aggravantes.

Contrairement aux idées reçues, même cette forme ancienne, extrême, de l’esclavage est malheureusement présente sur notre territoire. L’un des hauts magistrats que nous avons auditionné, qui est premier avocat général à la Cour de cassation, nous a ainsi montré la photo d’une victime vendue par un réseau de trafiquants d’êtres humains qui avait un « code-barres » tatoué dans le dos. Ce trafic aboutissait en France.

La deuxième disposition issue des travaux du groupe de travail a pour objet de créer le délit de réduction en servitude, qui vient compléter celui de travail forcé, voté conforme par nos deux assemblées. Elle figure au 4° de l’article 1er du projet de loi.

La création de ce délit est nécessaire pour plusieurs raisons, parmi lesquelles, comme pour l’esclavage, le fait que les textes internationaux définissant la traite des êtres humains incluent la servitude parmi les finalités de la traite. Rappelons également que la France a été condamnée à deux reprises, à sept ans d’intervalle, par la Cour européenne des droits de l’homme au motif qu’elle ne réprimait pas efficacement les comportements relevant de la servitude. Plus précisément, la CEDH a considéré que notre pays n’avait pas sanctionné effectivement de tels actes.

La définition proposée est conforme à la définition internationale de la servitude, en particulier à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, qui la définit comme une forme de travail forcé aggravé. Les éléments constitutifs supplémentaires par rapport au travail forcé sont les suivants : en premier lieu, la vulnérabilité ou l’état de dépendance de la victime, qui permettront de prendre en compte, par exemple, le fait que celle-ci soit en séjour irrégulier, éloignée de son pays et de ses parents, sans ressources, non scolarisée, etc. ; en second lieu, le caractère habituel de l’infraction, qui exige une exploitation durable de la victime.

Les peines prévues sont de dix ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende. En cas de circonstance aggravante, elles sont de quinze ans de réclusion criminelle et 400 000 euros, et de vingt ans et 500 000 euros s’il y a cumul de circonstances aggravantes.

Les deux dernières dispositions issues des réflexions du groupe de travail sur l’esclavage et la servitude opèrent des modifications de coordination à l’article 2 du projet de loi afin de tirer les conséquences de la création des infractions de travail forcé, de réduction en servitude et de réduction en esclavage. Elles complètent cet article afin, d’une part, d’autoriser les associations dont l’objet statutaire inclut la lutte contre l’esclavage à exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne ces infractions et, d’autre part, de faciliter l’indemnisation des victimes de ces trois infractions, en les ajoutant à la liste de celles qui sont mentionnées par l’article 706-3 du code de procédure pénale.

Cet ajout permettra aux victimes ou à leurs ayants droit d’obtenir une réparation intégrale de leur préjudice en adressant une demande d’indemnisation à la commission d’indemnisation des victimes d’infractions du tribunal de grande instance compétent.

Les ajouts de la commission mixte paritaire concernent, en deuxième lieu, l’abrogation du délit d’offense au chef de l’État. L’article 17 bis du projet de loi, que l’Assemblée nationale avait ajouté et que le Sénat avait supprimé, a pour objet d’abroger le délit d’offense au chef de l’État. Le compromis auquel la CMP est parvenue consiste à rétablir cet article, en accompagnant l’abrogation de ce délit, qui est donc acquise, de la mise en place d’un mécanisme alternatif de protection en tous points comparable au droit commun applicable aux fonctions gouvernementales ou parlementaires. Il s’agit, en d’autres termes, de ne faire ni plus ni moins

Le délit d’offense au chef de l’État, héritier du crime de lèse-majesté de l’Ancien Régime, n’a plus sa place dans une démocratie moderne. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme nous l’a rappelé récemment en condamnant la France à ce titre pour violation de la liberté d’expression. L’offense aux chefs d’État étrangers a d’ailleurs déjà été abrogée pour ce même motif par la loi du 9 mars 2004 et, je le rappelle, le Président de la République lui-même s’est félicité de cette abrogation lors de sa conférence de presse du 16 mars dernier. Cela constitue donc également une avancée pour notre république.

Il convient cependant de compléter cette abrogation par la mise en place d’un mécanisme alternatif de protection du chef de l’État, comme l’avait proposé M. Alain Richard à la commission des lois du Sénat. À cette fin, le texte issu de la CMP prévoit que la diffamation contre le Président de la République sera punie de la même peine que celle qui vise, à raison de leurs fonctions, un membre du Gouvernement, un parlementaire ou un fonctionnaire, à savoir une amende de 45 000 euros.

Par ailleurs, le régime d’engagement des poursuites est précisé. Il est identique à celui qui est prévu pour les parlementaires : les poursuites seront subordonnées à une plainte de l’intéressé. À cette occasion, dans un souci de clarification et de simplification, le régime d’engagement des poursuites prévu pour les ministres, qui faisait intervenir le garde des sceaux, est fusionné avec celui qui est applicable aux parlementaires.

En troisième lieu, il vous est proposé de tirer les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel du 14 juin 2013 qui a annulé les dispositions prévoyant que la décision de la chambre d’instruction statuant sur une demande d’extension des effets d’un mandat d’arrêt européen est « sans recours ». Je rappelle que la question prioritaire de constitutionnalité ayant donné lieu à cette décision a conduit le Conseil à adresser pour la première fois une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne.

Enfin, je souhaite dire un mot sur les dispositions relatives aux pouvoirs du membre national d’Eurojust. Sur ce point, madame la garde des sceaux, j’ai accepté, en tant que rapporteure, que l’on s’en tienne au texte adopté par le Sénat, qui correspondait à la rédaction initiale du projet de loi. Le membre français d’Eurojust sera par conséquent doté d’un pouvoir non pas de décision, mais uniquement de proposition.

Je tiens cependant à rappeler que le texte adopté par l’Assemblée nationale en première lecture n’était nullement, comme cela a pu être dit, une anticipation de la proposition de règlement visant à créer un parquet européen – la Commission européenne l’a d’ailleurs présenté le 17 juillet dernier –, mais une transposition fidèle de la décision du Conseil du 16 décembre 2008 sur le renforcement d’Eurojust.

En conclusion, c’est un texte substantiellement enrichi par les travaux parlementaires qui vous est soumis. Ces apports démontrent que, même sur un texte de transposition, le Parlement conserve une marge de manœuvre significative si ses membres ont la volonté politique d’exercer leurs prérogatives. Avec la contribution du Gouvernement et de Mme la garde des sceaux, nous avons pu mener ce travail inédit de définition et de réécriture du droit en CMP. Je vous remercie infiniment de votre confiance. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et UMP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la rapporteure, vous avez eu raison de vous réjouir de la qualité du travail qui a été élaboré par les deux chambres sous votre propre impulsion et celle de M. Alain Richard, remarquables rapporteurs de ce texte, un texte pourtant difficile et complexe. Il transpose en effet dans notre législation pénale plusieurs instruments juridiques de l’Union européenne et adapte notre législation à plusieurs instruments internationaux et européens, notamment des conventions et des protocoles. Des matières très diverses sont concernées puisque, avec cette transposition, non seulement nous modifions le code pénal et le code de procédure pénale, mais nous touchons aussi à la matière du droit international, en particulier du droit humanitaire international.

Pour ce qui concerne le droit pénal matériel, nous transposons notamment la directive concernant la lutte contre la traite des êtres humains, la convention sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes ainsi que la directive relative à la lutte contre les abus sexuels perpétrés sur les enfants et la convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.

En matière procédurale, l’interprétation et la traduction des pièces principales de procédure deviennent obligatoires. Nous introduisons également le principe de reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires lorsque la personne mise en cause était absente lors du jugement et pour les décisions judiciaires privatives de liberté.

Enfin, comme vous l’avez indiqué tout à l’heure, nous renforçons Eurojust. Il y a d’ailleurs eu des discussions entre les deux chambres sur la forme et le niveau de ce renforcement.

Vous avez accompli un travail de très grande qualité ; le texte s’est considérablement enrichi au cours de la navette. Par ailleurs, vous avez fait preuve d’originalité en mettant en place un groupe de travail commun aux deux assemblées. J’avais annoncé ici même, à la tribune de l’Assemblée, et confirmé au Sénat, que les services de la Chancellerie seraient à votre disposition pour tous les éléments juridiques et techniques nécessaires. Vous avez procédé à des auditions qui ont été d’une grande richesse. Le résultat en est aujourd’hui l’accord sur un certain nombre de dispositions qui faisaient encore l’objet de divergences entre l’Assemblée nationale et le Sénat.

Au premier rang de ces divergences, il y avait la définition et l’incrimination de l’esclavage et de la servitude, dont les concepts figuraient dans l’instrument juridique européen et en droit international, mais qui n’existaient pas encore dans notre droit pénal.

Nous avons eu des échanges qui ont fait apparaître la difficulté d’élaborer dans un délai bref une définition acceptable et couvrant suffisamment le champ des incriminations concernées, mais aussi les sanctions qui pouvaient être envisagées.

Vous avez donc choisi, après la première lecture dans chacune des deux chambres, de vous donner un peu de temps. Ce temps a été très bien utilisé, puisque le groupe de travail s’est réuni à deux reprises à la Chancellerie et a procédé à des auditions. Des définitions et des incriminations en sont sorties, qui permettront de couvrir tout le champ que nous envisagions et que nous n’avions pas défini de façon assez précise lors de la première lecture. Ainsi, les délits et crimes relatifs au travail forcé, à la servitude et à l’esclavage sont dorénavant définis dans notre code pénal, de même que leurs sanctions.

Vous avez choisi de retenir quatre niveaux de gravité.

L’un existe déjà dans notre code : ce sont les conditions indignes de travail et d’hébergement, punis de cinq ans d’emprisonnement.

Vous avez également introduit une définition et une incrimination du travail forcé faisant l’objet de menaces, de violences et de contraintes, qui sera puni de sept ans d’emprisonnement. Des circonstances aggravantes peuvent s’ajouter, notamment lorsque le travail forcé concerne des personnes mineures.

Vous avez créé, en outre, une nouvelle incrimination en ce qui concerne la réduction en servitude, qui est en fait une aggravation du travail forcé. Ce délit sera puni de dix ans de réclusion – quinze en cas de circonstances aggravantes. Cette réduction en servitude s’apprécie aussi au regard du préjudice subi par des personnes dont la vulnérabilité est reconnue, mais aussi sur lesquelles le travail forcé s’exerce de façon habituelle.

Vous avez par ailleurs défini et introduit un nouveau crime, la réduction en esclavage, établi à partir du moment où s’exerce au moins un attribut du droit de propriété sur une personne, laquelle cesse d’être un sujet de droit et devient un objet. L’exploitation de la réduction en esclavage est une incrimination distincte que votre groupe de travail – et vous avez été la première à le souhaiter – a introduite. Ces deux incriminations sont punies de vingt ans de réclusion criminelle, avec des circonstances aggravantes – notamment lorsqu’une personne réduite en esclavage fait en plus l’objet d’exploitation, d’agressions sexuelles, de séquestration et de réduction au travail forcé – la portant à trente ans.

Vous avez donc produit un travail d’élaboration qui enrichit considérablement notre code pénal. Je vous le dis franchement : cela constitue un véritable exploit. En effet, même si vous vous êtes donné plus de temps que d’habitude au regard du calendrier parlementaire, vous avez, en un mois, procédé à des auditions et réussi à définir de nouvelles incriminations et une échelle des peines qui soient parfaitement cohérentes, non seulement avec notre droit pénal actuel, mais aussi avec les engagements internationaux de la France, puisqu’elles s’articulent parfaitement avec la définition contenue dans la convention internationale de 1926 de la Société des nations, qui définit l’esclavage et qu’a reprise l’Organisation des Nations unies en 1956.

D’autres sujets ont été tranchés à l’occasion de ce temps de travail entre les deux assemblées en vue de la préparation de cette commission mixte paritaire.

L’un d’entre eux est celui d’Eurojust. Comme vous l’avez dit, il y a eu, au départ, une divergence entre l’Assemblée nationale et le Sénat.

Vous avez choisi de faire droit à la proposition du Sénat, c’est-à-dire de conférer au membre national d’Eurojust un pouvoir de proposition. Cela me semble, en effet, plus conforme à l’état de notre droit, à notre architecture judiciaire et aux missions du ministère public, mais aussi aux règles constitutionnelles.

Vous nous dites que cette disposition, que vous aviez introduite à l’Assemblée – je me souviens d’ailleurs que nous avions eu des échanges extrêmement nourris sur ce point –, n’est pas une préfiguration du parquet européen. Je vous ai répondu en première lecture que nous étions en train de travailler à l’élaboration de ce parquet européen. J’ai le plaisir de vous dire aujourd’hui que nous avons bien avancé depuis la dernière fois, qui n’est d’ailleurs pas si lointaine, puisque c’était le 16 mai. Sur l’initiative de la France et de l’Allemagne, un projet a été soumis à la Commission. Nous avons réussi à entraîner à notre suite plusieurs pays européens. Il existe aujourd’hui un groupe informel qui s’est enrichi d’autres pays. Nous en sommes à quatorze participants, la Finlande nous ayant rejoints jeudi dernier lors du conseil des ministres européens à Vilnius. Nous avançons donc bel et bien sur le parquet européen.

Le renforcement d’Eurojust va incontestablement contribuer à établir un socle solide sur lequel sera érigé le parquet européen. Le travail que vos assemblées effectuent en ce moment sera donc d’une extrême utilité dans la mesure où il permettra à ce parquet européen de reposer sur des fondations qui augurent d’une capacité en matière de procédure, d’enquête et de décision. Il lui conférera aussi de l’efficacité. Dans un premier temps, bien sûr, il s’agira de protéger les intérêts financiers de l’Union européenne, mais, dans un second temps, il jouira d’un certain nombre de prérogatives en matière pénale qui donneront vraiment du corps à l’espace de liberté, de sécurité et de justice, établi dans le cadre du programme de Stockholm et que l’Union européenne est en train de consolider.

Il restait aussi la question de l’abrogation du délit d’offense au chef de l’État, que l’Assemblée nationale avait abrogé et que le Sénat avait rétabli. Nous avons en effet considéré qu’il n’y avait pas lieu de priver totalement le chef de l’État d’une protection juridique en cas d’injures et de diffamation. Autant nous considérons que ce délit est effectivement désuet, autant nous estimons que, parce que le chef de l’État, dans toute démocratie, est exposé, il doit pouvoir se défendre lorsqu’il fait l’objet d’injures et de diffamation.

Vous avez d’ailleurs rappelé que, dans notre droit, la procédure consiste à saisir le procureur de la République par l’intermédiaire du garde des sceaux. Cette procédure vaut également pour les membres du Gouvernement. Cela étant, le procureur conserve toute sa liberté d’appréciation ; le garde des sceaux n’a qu’une compétence liée. Au demeurant, cette procédure est elle aussi désuète ; il n’y a pas lieu de la conserver.

Vous avez donc maintenu le choix de l’Assemblée nationale quant à l’abrogation de ce délit d’offense au chef de l’État. En revanche, vous avez choisi – et je crois que vous avez vraiment bien fait – d’évoluer vers une procédure ordinaire, celle qui vaut aussi pour les parlementaires et qui consiste à saisir directement le procureur de la République. Le chef de l’État ne bénéficie donc pas d’un régime spécial. Il est traité de la même façon que les parlementaires et les membres du Gouvernement – ainsi, d’ailleurs, que tout fonctionnaire, c’est-à-dire de toute personne exerçant une fonction publique et dépositaire de l’autorité publique.

Deux autres sujets demeuraient en discussion. L’un d’entre eux, que vous avez abordé, est extrêmement important. Je tiens d’abord à vous remercier pour le travail que vous avez fait et pour la manière dont vous avez introduit dans le texte les dispositions qui visent à tirer les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel à la suite de la question prioritaire de constitutionnalité qui contestait l’élargissement d’un mandat européen à des incriminations qui ne faisaient pas partie de la première demande. Cette contestation visait l’absence de voie de recours.

Le Conseil constitutionnel a d’abord interrogé la Cour de justice de l’Union européenne pour savoir ce qu’entendait la décision-cadre s’agissant des délais brefs, lesquels avaient conduit, lors de la transposition des directives européennes dans notre droit, à supprimer la possibilité de se pourvoir en cassation.

La réponse de la Cour de justice est parvenue fin mai. Le Conseil constitutionnel, pour sa part, s’est prononcé le 14 juin. La Cour de justice a rappelé son attachement au respect de délais brefs, tout en précisant que cela ne supposait pas l’interdiction de toute voie de recours. Le Conseil constitutionnel en a tiré les conséquences en considérant que l’absence de voie de recours était contraire à la Constitution. Sa décision étant d’application immédiate, il nous faut, depuis le 14 juin, rétablir la possibilité de se pourvoir en cassation dans les cas visés. C’est ce que vous avez fait ; nous vous en remercions.

Reste un dernier point, qui est l’objet de l’amendement que nous vous présentons. Il est exceptionnel, même si la procédure est tout à fait prévue par le règlement, que le Gouvernement présente un amendement au texte d’une CMP, mais nous sommes dans une situation exceptionnelle.

Je le dis très clairement pour éclairer et informer les parlementaires : cet amendement vise à prévenir un vide juridique qui risque de survenir au début du mois de septembre 2013. Les services de la Chancellerie se sont rendu compte récemment que, à l’occasion de la transposition de directives européennes concernant un système de contrôle préventif et simplifié sur les armes modernes, le délit de port et de transport d’armes de sixième catégorie – il s’agit essentiellement d’armes blanches – a été involontairement supprimé.

Si nous ne remédions pas à cette malfaçon, le 6 septembre 2013, avec l’entrée en vigueur de ces dispositions transposées, les personnes détenant des armes blanches ne seront plus considérées comme étant en situation délictueuse.

Nous vous soumettons cet amendement parce que nous n’avons pas d’autre véhicule législatif pour rétablir ce délit. Cela n’est d’ailleurs pas choquant en soi, puisqu’il s’agit justement ici de transposer des instruments juridiques européens. Au demeurant, les armes en question permettent de commettre des atteintes aux personnes et aux biens. Elles servent aussi dans les violences conjugales, notamment celles visant les femmes. Il y a donc bien, si l’on se donne la peine de chercher la justification de la présence de cet amendement dans ce véhicule législatif, une double pertinence.

Le travail que vous avez effectué – je le répète une dernière fois – a été d’une très grande qualité et d’une grande densité. Il est également extrêmement original. Il serait bien qu’il fasse école, à défaut de faire jurisprudence. En effet, nous n’avons pas fait une transposition mécanique et automatique, sans nous interroger sur la portée des textes que nous transposons.

Nous avons été confrontés à une difficulté particulière avec la définition de l’esclavage et de la servitude. La capacité d’échange et de réflexion commune des députés et des sénateurs, dans le cadre du groupe de travail, a produit un résultat de très grande qualité, et cela dans un délai relativement contraint. C’est là une prouesse qu’il faut saluer : le Parlement sait en accomplir et, quand elles sont aussi admirables et utiles, il est bon que le Gouvernement le dise solennellement. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur plusieurs bancs du groupe UDI.)
Discussion générale
Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Guy Geoffroy.
M. Guy Geoffroy. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, le temps qui m’est imparti suffira largement pour expliquer pourquoi le groupe UMP votera sans aucune difficulté ce texte, issu des travaux très utiles et positifs de la commission mixte paritaire.

Je veux d’abord dire mon regret de nous voir si peu nombreux dans l’hémicycle, alors que nous ne sommes pas un vendredi après-midi et que les questions d’actualité viennent juste de se terminer. L’importance de ce projet de loi – autant par le nombre de textes qu’il regroupe, onze, que par la valeur de chacun d’entre eux – aurait mérité que nos collègues fassent l’effort d’être présents.
M. Régis Juanico. Surtout sur les bancs de l’UMP !
M. Guy Geoffroy. Je voudrais souligner les aspects de fond, comme de forme, du travail auquel s’est livré notre assemblée et auquel le Sénat a apporté une contribution précieuse. Nous avions à faire entrer dans notre droit positif des textes importants, issus eux-mêmes d’une élaboration intergouvernementale très poussée. Pour certains d’entre eux, Lisbonne est passé par là – si vous me permettez l’expression – et les parlements nationaux ont pu apporter en amont des améliorations appréciables.

Évoquer les violences faites aux femmes, les formes nouvelles de l’esclavage ou les mariages contraints n’est pas anodin ; il ne s’agissait pas pour nous de transposer mécaniquement des dispositions européennes, mais bel et bien de transférer le droit positif européen en y ajoutant, autant que nous le jugions nécessaire, des dispositions qui puissent nous armer dans le combat que le Parlement, de façon fort heureusement unanime, mène sur la plupart de ces questions.

Nous tenions à donner du sens, donc une définition, à l’esclavage et à la servitude, afin que la portée des infractions, crimes et délits puisse en être justement appréciée. Je salue cette volonté qui était la nôtre et qu’un instant nous avons crue mise en difficulté par nos collègues sénateurs.

Je voudrais rendre ici un hommage à Marietta Karamanli qui, plus que les rapporteurs « ordinaires », s’est montrée déterminée et convaincue. Son travail d’analyse nous a permis d’adopter en première lecture des définitions et, après la lecture au Sénat, de ne pas perdre confiance. Si l’on peut objecter que son travail était parfois lacunaire dans certains aspects de droit positif, la persévérance de la rapporteure a compté.

Sur la forme, ce qui a été mis en place après les lectures à l’Assemblée nationale et au Sénat et après la CMP est novateur et inspirant pour l’avenir. Je voudrais une fois de plus saluer l’effort accompli par les rapporteurs Marietta Karamani et Alain Richard, dont le travail en amont nous a valu des auditions intéressantes et nous a permis de faire œuvre de législateur de façon très pertinente en CMP.

Je veux aussi saluer l’initiative du président de la commission des lois, Jean-Jacques Urvoas qui, souhaitant donner une plus grande part à la dimension européenne des questions soumises à notre réflexion, a créé dès le début de la législature une veille européenne, à laquelle participent un député de la majorité et un député de l’opposition. C’est cette heureuse initiative qui nous a permis de travailler ainsi et de parvenir à un tel résultat.

J’abuserai du temps qui m’est donné pour commenter l’ajout de dernière minute auquel le Gouvernement a procédé. Pour que ce texte ne coure aucun risque constitutionnel, je veux dire tout l’accord de mon groupe. Nos débats doivent faire foi. Pour notre part, nous ne voyons là aucun cavalier législatif, dans la mesure où la lacune qu’il s’agit de combler par cette disposition provient d’une erreur commise lors d’une semblable transposition de directive européenne. Le dire, l’écrire, s’avérera utile le jour où, à n’en pas douter, quelqu’un voudra en faire une question prioritaire de constitutionnalité.

Pour une fois, notre commission a disposé du temps et de la sérénité nécessaires pour travailler. Le résultat est à la hauteur de nos ambitions. Parce qu’il le faut et parce que ces dispositions feront avancer dans notre pays les causes qu’ensemble, nous défendons, c’est sans aucune difficulté que le groupe UMP votera ce texte de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et UDI.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Paul Tuaiva.
M. Jean-Paul Tuaiva. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, madame la rapporteure, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, après une première lecture à l’Assemblée puis au Sénat, après la réunion de la commission mixte paritaire, nous sommes de nouveau invités à nous prononcer sur un projet de loi essentiel, puisqu’il vise à adapter notre législation pénale aux normes européennes et internationales.

Convenons-en, notre travail législatif en matière de transposition est toujours quelque peu contraint, tant par l’urgence – un certain nombre de textes, notamment la directive relative à la lutte contre la traite des êtres humains, auraient dû faire l’objet déjà d’une transposition – que par les risques de sanctions financières.

Ces circonstances ne doivent en aucun cas nous empêcher de jouer pleinement notre rôle de parlementaires car, si nous sommes tenus de procéder à des transpositions exhaustives et fidèles, nous disposons aussi d’une certaine marge de manœuvre. Nous devons donc voir cet exercice non comme une contrainte mais plutôt comme une chance, comme une étape primordiale et nécessaire vers la construction d’un avenir communautaire, solide et solidaire.

Avant tout, permettez-moi de rappeler que le présent projet de loi est issu de travaux lancés sous la précédente législature par la chancellerie de l’époque. Au niveau communautaire, le programme de Stockholm présente lui aussi de réelles avancées depuis plusieurs années.

Nous ne pouvons que nous féliciter de voir aboutir un travail qui conduira nécessairement à un renforcement de l’intégration européenne et nous réjouir de constater qu’il demeure encore possible de trouver un consensus lorsque les dogmes et les attitudes partisanes laissent place au bon sens et à la construction d’un avenir commun, au service de tous et des générations à venir.

Les adaptations du droit communautaire en droit interne, leitmotiv de ce texte, sont bien sûr indispensables. Je n’entrerai pas dans le détail de mesures, qui, je le répète, ont fait l’objet d’un large consensus. L’adoption de ces directives communautaires nous permettra de franchir une étape importante vers la construction d’un espace pénal européen, qui, depuis 1992 et le traité de Maastricht, se concrétise un peu plus chaque jour.

Avec ce texte, c’est la protection des droits de l’homme qui est mise en avant et que nous nous devons de défendre. L’harmonisation de la politique pénale dans l’Union européenne reste un des grands chantiers engagés entre États membres, qui méritent de voir une conclusion rapide, positive et constructive.

Dans un contexte d’internationalisation de la criminalité organisée, il apparaît désormais comme un impératif absolu d’adopter des normes internationales capables de faire face à de nouveaux enjeux. Sur ce point, le projet de loi comporte des dispositions essentielles dans le domaine de la coopération judiciaire de l’Union européenne : je pense notamment au renforcement de l’efficacité opérationnelle d’Eurojust, qui s’inscrit dans la perspective de la création d’un parquet européen.

Si nous sommes en avance par rapport à nos voisins européens sur certaines questions, comme la protection et l’aide judiciaire, d’autres éléments de notre système pénal méritent d’être améliorés. Voilà pourquoi nous nous devons d’aller toujours plus loin dans le sens de l’harmonisation et de la coopération, non seulement dans l’objectif de construction d’un espace communautaire un peu plus abouti chaque jour, mais aussi dans l’intérêt de nos concitoyens, qui voient ainsi leurs droits renforcés et pérennisés.

Enfin, au-delà de la question de la transposition technique proprement dite, à chaque fois un casse-tête juridique, rappelons que la France s’est fixé comme horizon indépassable le chiffre de 1% de directives non transposées. Il en va de notre crédibilité, de notre volonté de participation, d’intégration et d’harmonisation. On ne peut prétendre exercer un leadership politique en Europe en restant un mauvais élève en matière de transposition. Nous devons donc encourager les initiatives qui vont dans le sens d’une amélioration, à l’instar des mesures prises en 2011, notamment la réservation d’un créneau parlementaire, afin d’éviter que de tels retards ne se reproduisent ou ne s’aggravent.

Ce projet de loi comporte des dispositions déterminantes pour l’avenir de notre droit pénal, que nous nous devons d’adopter, en vertu de notre devoir de coopération loyale avec les États membres. Parce que la construction européenne ne doit pas se faire sans nous et que des questions aussi primordiales que la justice et la sécurité des personnes et des plus fragiles doivent être, dans ce contexte d’internationalisation, plus que jamais au cœur de nos politiques, les députés du groupe UDI voteront en faveur de ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI, UMP et SRC.)J’ajoute, madame la ministre, que la couleur orange vous va à ravir. (Sourires.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Axelle Lemaire.
Mme Axelle Lemaire. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, madame la rapporteure, chers collègues, le texte que nous sommes appelés à voter est consacré à la justice, une justice que l’on peut caractériser d’universelle, ou du moins à prétention universelle, puisqu’elle concerne des droits humains reconnus par des conventions internationales et des textes européens qui lient la France et engagent sa responsabilité.

L’exercice demandé au législateur était particulier – non pas créer le droit ex nihilo mais transposer dans notre droit interne, en particulier dans le code pénal et le code de procédure pénale, des obligations négociées avec des États tiers. C’est la première fois que le législateur national contribue ainsi à développer un corpus de droits procéduraux et substantiels, tendant à créer un espace pénal européen. On pourrait croire que la marge de manœuvre ainsi laissée est étroite, et nous oblige à sacrifier la conception pénaliste française sur l’autel de la diplomatie judiciaire et de l’harmonisation européenne des droits.

Or la transposition à laquelle nous nous sommes livrés a révélé à quel point de telles craintes ne sont pas justifiées : au contraire, l’Europe nous donne ici l’occasion de mieux protéger les victimes, de mieux appréhender les auteurs de crimes, de mieux coopérer pour lutter contre des actes qui relèvent, de plus en plus souvent, de la criminalité organisée au niveau transnational.

Il faut le dire, le législateur est resté souverain, mais c’est l’Europe, en particulier le Conseil de l’Europe et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, qui nous a montré le chemin. Le texte en discussion a ainsi le mérite de nous rappeler qui nous sommes : des Européens.

Quel autre continent peut se prévaloir d’une telle coopération juridique et judiciaire ? C’est parce que nous partageons la même vision d’un idéal de justice que nous avons choisi, peuples européens, d’établir des standards communs de sauvegarde des droits de l’homme et de nous donner les moyens de les faire respecter.

Nous sommes des Européens donc, nous sommes également des défenseurs de la liberté. Avec l’introduction par l’Assemblée nationale et le Sénat d’un crime d’esclavage dans le code pénal, ainsi que des délits de servitude et de travail forcé, c’est bien la liberté que nous défendons, celle de l’humanité, celle de se posséder soi-même, de vivre affranchi, sans l’oppression d’un maître ou d’un tyran.

Même en 2013, aucun pays n’est préservé des comportements esclavagistes, et ce sont vingt-sept millions de personnes dans le monde qui subiraient aujourd’hui la servitude moderne, selon un rapport récent du Département d’État américain. En France, on compterait 3 000 à 5 000 esclaves. Nous apportons donc une réponse pénale à la détresse silencieuse de ces esclaves modernes, le plus souvent des femmes, des fillettes, employées de maison, gardiennes d’enfants, cuisinières ou servantes, souvent venues d’ailleurs avec la promesse d’un avenir meilleur et réduites à l’état de chose au pays des droits de l’homme.

Vous avez rappelé, madame la ministre, le travail effectué par le groupe que nous avons constitué avec les sénateurs. Je souhaite ici expliquer les raisons qui nous ont poussés à créer ce crime d’esclavage, car on ne crée pas un nouveau crime à la légère. Le code pénal en comprend déjà cent vingt-trois. En fallait-il un de plus ?

Il me semble que nous avions d’abord le devoir, dans un souci de responsabilité, d’efficacité et d’humanité mais aussi par obligation constitutionnelle, de mettre en lumière un phénomène ignoré par la société mais aussi par le droit.

En effet, il s’agit bien d’un phénomène plus important que ce qu’indiquent les statistiques, car il est difficile de recenser les cas d’esclavage. La plupart sont reportés par des voisins ayant aperçu une ombre descendre les poubelles, des passants, des commerçants, les parents d’enfants scolarisés avec les enfants des employeurs ou encore des professionnels qui sont soit des associations, soit des urgentistes, soit des travailleurs sociaux.

Face à cette réalité, notre droit était insuffisant et, compte tenu de l’héritage historique de notre pays, il était important de clarifier la notion d’esclavage, de la définir en dépassant la notion, de crime contre l’humanité, en quelque sorte sacralisée, et, sans pour autant remettre en cause cet héritage, de préciser un terme dont l’usage n’est pas sans écho dans notre inconscient collectif, à tel point qu’on en fait un usage presque « naturel ».

Il fallait également nous conformer à nos obligations internationales, liées notamment à la convention de Genève qui oblige les parties à « poursuivre la suppression complète de l’esclavage sous toutes ses formes, d’une manière progressive et aussitôt que possible » : « aussitôt », or cette convention date de 1926 !

La France a été condamnée à deux reprises par la Cour européenne des droits de l’homme, notamment le 11 octobre dernier, pour ne pas avoir mis en place « un cadre législatif et administratif permettant de lutter contre la servitude et le travail forcé », sur le fondement de l’article 4 de la Convention européenne des droits de l’homme, selon lequel « nul ne peut être tenu en esclavage ni en servitude ».

Le besoin de droit se faisait enfin sentir parce qu’il fallait combler un vide juridique. Réalité complexe par nature, l’esclavage en effet ne se résume pas à l’addition des éléments qui le constituent : charge exorbitante de travail sans repos, absence ou insuffisance de rémunération, rétention des documents d’identité, menaces, brimades, insultes, maltraitantes physiques, violences sexuelles, contrôle des liens personnels, conditions de vie discriminatoires au sein du foyer, privation de liberté d’aller et venir, isolement. Au-delà du fait qu’il est difficile d’apporter la preuve de ces éléments constitutifs, ils ne suffisent pas à définir l’esclavage, qui renvoie à la condition d’une personne dont on porte atteinte à la dignité et à la liberté. Il faut d’ailleurs noter ici que la notion de traite, transposée dans notre droit interne, ne recouvrait pas la notion d’esclavage, ne serait-ce que parce que la traite implique le plus souvent le déplacement et que l’esclavage est moins le fait de mafias ou de bandes criminelles organisées que la traite. La traite, c’est le commerce ; l’esclavage, c’est l’exploitation mais pas toujours la marchandisation.

Nous nous sommes inspirés d’exemples étrangers, l’Italie et le Royaume-Uni ayant introduit dans leur droit interne des définitions distinctes pour désigner l’esclavage, la servitude et le travail forcé, ainsi que l’exige la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, cependant qu’en droit français, les victimes devaient jusqu’alors se plier à de multiples contorsions pour arriver à qualifier certains éléments ignorés par les textes.

Nous avons donc fait le choix de la gradation, avec la création d’un crime – l’esclavage – et de deux délits – la servitude et le travail forcé. Nous avons, ce faisant été guidés par un souci de responsabilité – il s’agissait de mettre la France en conformité avec ses obligations internationales – mais également par un souci d’efficacité, les poursuites pénales étant, je l’ai dit, souvent difficiles à faire aboutir. Les magistrats devant faire face à un contentieux de masse en correctionnelle, il était important de leur donner les moyens de juger. Nous avons donc fait de la servitude un délit et non un crime, ainsi que le proposait un amendement déposé en première lecture à l’Assemblée nationale.

En recherchant l’efficacité, nous suivons aussi la jurisprudence de la CEDH, qui énonce que l’objectif poursuivi par les dispositions pénales doit être celui de la protection efficace des victimes contre les agissements d’esclavage et de servitude. Pour cela, il faut des sanctions dissuasives, ce qui explique notre choix d’une gradation.

Un mot de nos obligations constitutionnelles, qui exigeaient que les crimes d’esclavage et de servitude ne soient pas simplement visés comme éléments constitutifs de la traite, mais aussi clairement définis.

Dans un souci d’humanité et conformément aux demandes de la Cour européenne des droits de l’homme, nous avons considéré la vulnérabilité de la victime comme une circonstance aggravante de l’esclavage, de même que la servitude est considérée comme une circonstance aggravante du travail forcé. D’ailleurs – j’ouvre ici une parenthèse – il serait bon qu’au moment de réformer le droit d’asile en France cette notion de vulnérabilité des demandeurs soit mieux prise en compte.

Je voudrais à présent insister sur le rôle fort utile des acteurs de la société civile dans l’identification des phénomènes d’esclavage. Cela va des signalements à la préparation des auditions et des audiences, en passant par la constitution de dossiers administratifs, les démarches d’hébergement, l’accompagnement dans l’accès aux soins et le suivi sanitaire, l’aide alimentaire pour les enfants, l’aide à l’insertion professionnelle, le soutien matériel et psychologique, toutes choses d’autant plus importantes que les plaignants, déjà fragilisés, doivent affronter un véritable parcours du combattant pour faire valoir leurs droits.

C’est la raison pour laquelle, par voie d’amendement, nous avons estimé utile de donner aux associations reconnues d’utilité publique la possibilité de se porter partie civile. Nous avons également permis aux victimes d’être indemnisées, au même titre que les victimes de la traite.

Nous attendons désormais beaucoup des circulaires, qui émaneront de la Chancellerie et du ministère de l’intérieur car un véritable travail d’information et de sensibilisation des acteurs doit être entrepris.

Voici donc un texte de dialogue. Dialogue d’abord entre les juges constitutionnel et communautaire – vous l’avez évoqué, madame la ministre ; dialogue ensuite entre les autorités judiciaires des États membres de l’Union européenne, grâce à Eurojust ; dialogue enfin entre nos assemblées.

Je salue ici le travail accompli en commun avec les sénateurs, à l’initiative de Mme la rapporteure, afin de déterminer la définition qui serait retenue pour le crime d’esclavage. Porté avec sagesse par le Gouvernement, avec prudence par le Sénat, avec fougue par l’Assemblée nationale, voici donc un beau texte, qui a recueilli l’unanimité en première lecture dans cet hémicycle et lors de son dernier examen en commission mixte paritaire. Ces moments sont finalement assez rares, où le droit rencontre la politique et où la politique rencontre le droit, trop rares pour que nous n’ayons pas le devoir de les saisir.(Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et UMP.)
M. Guy Geoffroy. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Coutelle.
Mme Catherine Coutelle. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, chers collègues, le projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l’Union européenne et des engagements internationaux de la France contient deux chapitres qui intéressent particulièrement l’égalité entre les femmes et les hommes : le chapitre 1er , qui transpose la directive du Parlement et du Conseil européen d’avril 2011 concernant la prévention de la traite des êtres humains ; le chapitre XI, qui permet de ratifier la convention d’Istanbul, relative à la prévention et à la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique.

L’esclavage est aboli en France depuis 1848, mais des formes nouvelles d’esclavage et de servitude existent et la condamnation de la France par la Cour de justice européenne a rendu nécessaire un travail de définition juridique.

Lors de la première lecture de ce texte, vous nous aviez alertés, madame la ministre, sur la nécessité de sécuriser les définitions avancées sous forme d’amendements par la commission. Depuis, un travail approfondi a été mené, et je veux saluer ici l’engagement de Marietta Karamanli et d’Alain Richard, qui ont conduit un travail particulièrement constructif et passionnant en CMP. C’est une première qui mérite d’être soulignée.

Comme la définition du harcèlement, apportée au début de la présente législature, ces précisions permettront de juger de faits graves, en matière de droits humains en général et de droits des femmes en particulier. C’est pourquoi, pour la Délégation aux droits des femmes de cette assemblée, ce texte est d’une particulière importance. Il faut en effet insister sur le fait que, pour la première fois, l’esclavage constitue une incrimination pénale, ce qui va permettre de mettre des mots sur des situations, au lieu des subterfuges utilisés jusque-là.

Notre travail prend également tout son sens dans le cadre des objectifs portés par la convention d’Istanbul signée par la France. Adapter cette dernière dans le droit français constitue une nouvelle étape pour faire vivre les engagements pris par notre pays en la matière. Cette convention stipule, en son article 3, que les violences faites aux femmes sont une « forme de discrimination » et « désignent tous les actes de violence fondés sur le genre ».

Faut-il rappeler que les femmes sont exposées à des formes graves de violence du fait même qu’elles sont femmes ? Harcèlement sexuel, mariage forcé, viol, esclavage domestique, servitude, traite, prostitution. Le reconnaître, ce n’est pas nier une quelconque différence biologique, c’est au contraire se donner tous les moyens d’agir.

Je relève d’ailleurs avec satisfaction la cohérence de l’action menée par ce Gouvernement. En effet, tandis que nous transposons ces mesures la ministre des droits des Femmes a déposé en conseil des ministres son projet de loi visant à renforcer la lutte contre les violences faites aux femmes. Ce texte devrait arriver à la rentrée devant nos assemblées.

En matière de processus législatif, cette cohérence nous permettra aussi d’avancer demain plus efficacement pour lutter contre une des formes de violence faites aux femmes – la traite – qui existe dans notre pays, du fait notamment des mafias de la prostitution.

Engagée au sein de la Délégation aux droits des femmes, appuyée sur ces nouvelles définitions, une proposition de loi visant à mettre fin au système prostitueur sera soumise au Parlement d’ici la fin de l’année. Elle nous permettra de lutter juridiquement contre cette forme de traite, alors que 90 % des femmes qui subissent la prostitution en sont victimes.

La mobilisation pour lutter contre les violences faites aux femmes doit être une mobilisation de tous les instants, et je souhaite que notre pays continue à prendre des positions courageuses contre la traite.

Car la France est regardée. C’est une des raisons pour lesquelles nous avons, avec Axelle Lemaire, souhaité créer un groupe d’étude intitulé « Genre et droits des femmes à l’international ». Parce que, sans exception, les associations et les ONG que nous rencontrons nous disent combien la diplomatie des droits des femmes, la diplomatie parlementaire et une France en première ligne sur le sujet sont fondamentales pour que les choses changent dans un monde où l’égalité entre femmes et hommes est un combat jamais terminé, jamais gagné, face à des forces réactionnaires et conservatrices.

À l’ONU, M. Ban Ki-moon a fait de l’autonomie des femmes une de ses priorités, comme il nous l’a répété lors de son passage à l’Assemblée. Il est aussi, plus généralement, engagé dans la renégociation des objectifs du millénaire. Nous devons être attentifs aux grands rendez-vous tels que la conférence de Pékin et la conférence du Caire.

Réaffirmer ces droits reste novateur en termes d’égalité. Mais cette mobilisation, et ce sera ma conclusion, se joue aussi au niveau européen. L’Union européenne nous permet de progresser lorsqu’elle nous demande de transposer des textes. Notre droit a souvent évolué, en termes d’égalité, grâce à ces transpositions. Mais, face aux grands rendez-vous, et je le dis aux ministres qui nous représentent au Conseil des ministres européen, l’Europe doit parler d’une seule voix. Tel n’est pas le cas s’agissant du droit des femmes, ce qui affaiblit notre capacité d’intervention.

Ce texte n’est pas anodin ; c’est une avancée tout à fait majeure pour l’égalité des femmes et des hommes. Je remercie tous ceux, et en particulier toutes celles, qui s’y sont fortement impliqués. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.

La parole est à M. Jean-Jacques Urvoas, vice-président de la commission mixte paritaire.
M. Jean-Jacques Urvoas, vice-président de la commission mixte paritaire. Je tenais, madame la présidente, à apporter ma pierre à ce concert mérité de louanges sur le processus législatif suivi par ce texte dont je veux voir l’apport essentiel lié au timing dont a pu profiter la commission des lois. Ce texte a, en effet, été étudié en commission le 21 février à l’Assemblée nationale. Il a été transmis au Sénat trois mois plus tard pour être étudié, deux mois après, en commission mixte paritaire. Nous aboutissons donc à ce résultat que chacun, ici, loue : un travail intelligent, fructueux et fécond qui nous permettra d’aboutir à un consensus.

Comme j’ai eu l’occasion de l’écrire au Gouvernement, je saisis l’opportunité qui m’est donnée pour dire que nous légiférons bien quand nous avons le temps de le faire. Considérant que nous sommes en fin de session, je pense que cela pourra peut-être servir de référence pour le début de l’année prochaine, année au cours de laquelle nous aurons à étudier un certain nombre de textes.

Je voudrais aussi dire à Mme la rapporteure à quel point elle a fait l’admiration de la commission des lois. En effet, la transposition n’est pas une matière facile. L’adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l’Union européenne et des engagements internationaux de la France, titre du projet de loi, est par essence une matière aride. L’investissement a été total. Cela a été noté par tous les membres de la commission mixte paritaire, la semaine dernière, lorsque nous avons à nouveau débattu de ce texte. Les avancées que contiennent les dispositions que nous étudions doivent beaucoup au travail personnel de la rapporteure. Je tenais à ce que cela soit dit. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. Guy Geoffroy. Très bien !
Texte de la commission mixte paritaire
Mme la présidente. J’appelle maintenant le texte de la commission mixte paritaire.

Conformément à l’article 113, alinéa 3, du règlement, je vais d’abord appeler l’Assemblée à statuer sur l’amendement dont je suis saisie.

La parole est à Mme la garde des sceaux, pour soutenir l’amendement no 1.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je serai brève puisque j’ai défendu cet amendement lorsque je me suis exprimée de cette tribune. Il s’agit simplement de rétablir le délit de port ou transport d’arme de la sixième catégorie. Cette incrimination donne lieu à 4 000 condamnations par an, dont 400 incarcérations. C’est un vrai délit. On ne pouvait, de plus, pas risquer de voir ce vide juridique surgir début septembre, ce qui nous aurait mis en difficulté.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Compte tenu de l’importance du sujet exposé tout à l’heure à la tribune, il me semble que l’on ne peut donner qu’un avis favorable à cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Geoffroy.
M. Guy Geoffroy. Je ne reviens pas sur ce que j’ai dit tout à l’heure et que je confirme que nous voterons cet amendement avec détermination.

Je tenais surtout à m’exprimer pour faire écho à une formule qu’a employée notre collègue Axelle Lemaire, ce que je ne veux pas lui reprocher, mais à laquelle je souhaiterais que nous renoncions tous : celle d’esclavage moderne ou de servitude moderne.

Je pense que nous utilisons cette formule de manière commune et trop rapide, ce qui pourrait prêter à triste conséquence en donnant le sentiment qu’il y a on ne sait quoi de moderne dans l’esclavage ou dans la servitude. Or, il n’y a rien de moderne, mais quelque chose de dramatique pour tous les temps dans la servitude et dans l’esclavage.

Je propose, en conséquence, que nous parlions de « formes actuelles ou contemporaines de l’esclavage ou de la servitude » et que nous renoncions à cette facilité de langage nous amenant à parler de manière quelque peu erronée de servitude ou d’esclavage moderne. Ce serait utile à notre consensus de bon aloi.
Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Deux précautions valant mieux qu’une, je demanderai au représentant du groupe UDI de s’exprimer aussi clairement et explicitement sur cet amendement que le député Geoffroy. Je ne pense pas que nous risquions une saisine du Conseil constitutionnelle ou une question prioritaire de constitutionnalité concernant particulièrement cette mesure. Toutefois, connaissant la référence que constituent les débats parlementaires en cas de saisine du Conseil constitutionnel, j’aimerais que M. Tuaiva reconnaisse clairement l’utilité reconnue de cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Paul Tuaiva.
M. Jean-Paul Tuaiva. Nous sommes, bien évidemment, favorables à cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Paul Molac.
M. Paul Molac. Nous soutiendrons évidemment nous aussi le Gouvernement et notre ministre en la matière.
(L’amendement no 1 est adopté à l’unanimité.)
Vote sur l’ensemble
Mme la présidente. Je ne suis saisie d’aucune demande d’explication de vote.

Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi, compte tenu du texte de la commission mixte paritaire, modifié par l’amendement adopté par l’Assemblée.
(L’ensemble du projet de loi est adopté.)
(Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Suspension et reprise de la séance