Dans cette décision peu commune rendue le 15 juillet et dont le Journal a obtenu copie, la juge Guylène Beaugé, de la Cour supérieure, s’est dite convaincue que les transfusions sanguines réclamées s’avéraient «requises et nécessaires» compte tenu de l’état de santé de l’enfant à la veille d’une délicate intervention chirurgicale.

La juge a ainsi donné raison au centre hospitalier universitaire montréalais qui a dû s’adresser au tribunal à la suite du refus exprimé par les parents, motivé par leurs croyances religieuses.

Les Témoins de Jéhovah jugent ce traitement «moralement incorrect et défendu», en vertu de l’interprétation qu’ils font de la Bible, sauf si on leur injecte leur propre sang.

L’EPO comme alternative

Le Dr Michel Lallier a témoigné en cour que le bébé était affecté par une «pathologie à l’état avancé», dont la nature n’a toutefois pas été précisée dans le jugement. De surcroît, le bébé présentait un taux d’hémoglobine «alarmant» de 80, alors que «la normale se situe entre 120 et 140».

L’insuffisance de globules rouges dans le sang entraîne des «risques de complications cardiaques et respiratoires décuplés» lors d’une chirurgie, selon le DrLallier.

L’avocat du couple, Me Jayden MacEwan, plaidait pour l’utilisation d’une alternative à la transfusion sanguine, soit l’érythropoïétine, pour rehausser le niveau d’hémoglobine du bébé.

Communément appelée EPO, il s’agit de la même hormone que des cyclistes de compétition, dont la Québécoise Geneviève Jeanson, se sont injectée pour améliorer leurs performances, en violation de la politique antidopage de ce sport.

Un pédiatre de Sainte-Justine, le Dr Uyen-Phuong Nguyen, a convenu que cette hormone pouvait être utilisée. Cependant, il a fait valoir à la juge que «cela ne contribuera pas à augmenter suffisamment le taux (d’hémoglobine de l’enfant)» avant l’opération.

Les parents restent muets

La juge a aussi autorisé les médecins de l’hôpital Sainte-Justine à administrer toute transfusion sanguine nécessaire durant les six jours suivant l’opération, afin d’éviter tout risque de complication.

En même temps, la Cour a ordonné au personnel médical de faire «tout en son pouvoir pour minimiser l’utilisation de produits sanguins» sur l’enfant et d’informer les parents «chaque fois qu’une transfusion est donnée».

Joint par le Journal, l’avocat du couple, Me MacEwan, s’est refusé à tout commentaire, comme ses clients qui ont refusé d’élaborer sur leur position.

DES PRÉCÉDENTS

MAI 2007

À Québec, la Cour supérieure autorise le CHUL à donner des transfusions sanguines à des jumeaux de 25 semaines, malgré l’opposition des parents Témoins de Jéhovah. Le juge Jean Bouchard a dit ne pas croire que «l’exercice des croyances des parents puisse aller jusqu’à compromettre la vie, la sûreté et l’intégrité de leurs enfants, en leur refusant un traitement médical nécessaire pour lequel il n’existe aucune alternative valable». Et ce, même si l’exercice de ces croyances religieuses est protégé par le Charte des droits et libertés.

MAI 2005

En Ontario, la Cour supérieure ordonne à une jeune Témoin de Jéhovah de 14 ans de retourner dans sa province d’origine, en Colombie-Britannique, afin de se conformer à un jugement l’obligeant à y recevoir une transfusion sanguine postérieure à des traitements pour soigner un cancer.

JUIN 1996

L’hôpital pour enfants de Montréal obtient l’autorisation de la Cour supérieure pour procéder à des transfusions sanguines sur un adolescent de 15 ans, un Témoin de Jéhovah atteint d’une forme virulente de leucémie.

AOÛT 1989

À Québec, le CHUL obtient une injonction de la Cour supérieure pour donner du sang à un garçon de 11 ans, grièvement blessé dans un accident de la route, en dépit des objections de sa mère, Témoin de Jéhovah.

CE QUE DIT LA LOI

Le Code civil du Québec prévoit que seul un patient adulte peut refuser de consentir à des soins médicaux. Ainsi, à Québec, en décembre 1994, une femme de 39 ans, membre des Témoins de Jéhovah, est morte au bout de son sang à la suite de son accouchement à l’hôpital Saint- Sacrement, puisque son dossier médical spécifiait qu’elle refusait toute transfusion sanguine. Les médecins ne pouvaient pas agir contre sa volonté.

Depuis 1994, le Code civil permet aussi à une personne mineure âgée de 14 ou plus de refuser des soins. Toutefois, le tribunal peut intervenir, à la demande de l’hôpital, pour la forcer à s’y soumettre en cas de nécessité.
Source :par Éric Thibault Journal de Montréal le 06/08/2011