Emmanuel Poulet est responsable des urgences psychiatriques. Il est en consultation avec un étudiant qui a tenté de se suicider en faisant une overdose de drogue.

Consommateur de psychotropes, le jeune homme était en cours de désintoxication. Le dernier lockdown l’a renversé.

«Je me sentais tellement désespéré;» dit le jeune homme de 19 ans. « Et je me suis dit, plus rien n’a d’importance, ça ne sert à rien, je vais juste mettre un terme à tout ça. Je pensais que ça pourrait me sortir de l’impasse. J’ai l’impression d’être coincé dans quelque chose. Et avec la situation actuelle, nous sommes littéralement coincés entre quatre murs tout le temps, ça n’aide pas!

Si ceux déjà fragiles avant la crise sanitaire sont plus exposés au stress généré par la pandémie, personne n’est à l’abri, dit Poulet.

«Nous avons des patients qui n’étaient pas identifiés comme ayant des problèmes de santé mentale auparavant», explique-t-il. « C’est clair. Compte tenu de l’ensemble des paramètres d’instabilité et de stress, qu’ils soient épidémiques, sociologiques, économiques, on est en droit de penser qu’il y aura une augmentation significative des troubles dépressifs et anxieux, des crises suicidaires aussi. Nous avons déjà commencé à le voir. «

Un autre malade m’accueille chez lui. Il n’avait jamais imaginé perdre son emprise au point de vouloir mourir – comme cela s’est produit lors du premier verrouillage.

«Je l’ai vécu comme un sentiment de privation de liberté, un sentiment d’oppression, un sentiment d’être enfermé aussi», me dit-il. «Il n’y avait plus de sens à la vie! Tout ce que vous aimiez était interdit. C’était extrêmement stressant pour moi.

«Je me sentais physiquement opprimé, avec des douleurs à l’estomac, une sensation d’oppression dans la gorge… Et puis je l’ai simplement perdue et j’ai détruit presque tout à la maison.

«J’ai été hospitalisé et on m’a diagnostiqué un delirium tremens. Et il s’est avéré que j’étais positif avec Covid-19. Cela signifie que Covid avait vraiment aggravé ma crise. C’est une certitude. Le sentiment qui me revenait le plus souvent était la mort. La mort, puis la peur de mourir, la peur de mourir.

Il lui a fallu plusieurs mois à l’hôpital avant de retrouver le goût de la vie, y compris un séjour à l’hôpital psychiatrique Vinatier de la ville.

Benny, un nom d’emprunt, a été ramené au Vinatier par la pandémie. Le jeune homme avait déjà été traité pour des troubles mentaux.

Il n’a pas pu faire face au dernier verrouillage et a demandé à être hospitalisé.

«La première fois, cela ne m’a pas beaucoup affecté parce que j’étais toujours en psychose», dit Benny. «Quand je suis sorti de la maison, il n’y avait personne dans la rue, et cela m’a rassurée. Mais maintenant que j’ai récupéré un peu, j’ai besoin du soutien d’autres personnes, j’ai besoin que la société fonctionne comme avant.

C’est un besoin partagé par beaucoup. Nicolas Franck, psychiatre et chef d’unité à l’hôpital de Vinatier, est l’auteur d’un livre et d’une enquête sur l’impact psychologique du verrouillage. Il craint l’impact de la crise sanitaire au fil du temps, alors que les pressions s’accumulent.

«Vous avez le premier lock-out qui a laissé des traces», dit Franck. «Et puis un autre verrouillage qui survient dans une période où il y a une diminution de la luminosité et des dépressions hivernales. Vous avez la crise économique qui s’installe, des gens en détresse, en ce qui concerne leur emploi ou leur petite entreprise. Et en plus des effets de l’enfermement, il y a la rupture des liens sociaux, pour ceux qui sont enfermés seuls, ainsi que la peur des effets secondaires post-contamination, la peur de la contamination, la peur pour sa santé et peut-être pour sa survie.

Les structures de santé mentale déploient de nouveaux services pour répondre au stress croissant de la population. À l’hôpital de Vinatier, l’équipe de la hotline LIVE est disponible 7 jours sur 7 depuis mars dernier. Ils cherchent à mettre en relation les appelants avec des équipes d’infirmières, de psychologues et de médecins, pour mettre en place des évaluations médicales et des suivis.

L’hôpital a récemment ouvert une consultation dédiée au Covid-19, dans une crèche psychologique du centre-ville. Pour beaucoup, c’est une option plus accessible que les services psychiatriques des hôpitaux ou les cabinets privés qui sont maintenant débordés de demandes.

Isolement, précarité, incertitude quant à l’avenir, peurs pour les proches – jeunes et vieux – traumatisme post-infection ou deuil, les facteurs de détresse sont nombreux.

«Il y a beaucoup de troubles du sommeil», explique la psychiatre Elodie Zante. «Les personnes dont le rythme de vie a changé, et en particulier celles qui ont arrêté leur activité professionnelle. Il y a des crises d’angoisse, pour les personnes qui n’en avaient pas. Il y aura parfois un isolement social avec une perte de plaisir ou une perte d’intérêt pour les activités de la vie quotidienne. Nous voyons également des troubles obsessionnels-compulsifs chez des patients qui, par exemple, nettoieront frénétiquement leur domicile.

«Et avec cette deuxième vague, nous voyons qu’il y a des personnes dont les symptômes s’aggravent, et malheureusement beaucoup n’osent pas avoir de consultation. Et malheureusement, une fois que la pathologie psychiatrique s’installe, il faut chercher de l’aide professionnelle car avec le temps, il y a peu de chances qu’elle s’améliore d’elle-même.

Pour Benny, la leçon pour les autres dans sa situation est claire.

«Ils ne devraient pas rester dans leur coin», dit-il. «Ils devraient toujours demander de l’aide. C’est la chose la plus importante. »

La déstigmatisation de la santé mentale et l’augmentation des ressources sont les priorités, affirment les professionnels, afin de surmonter la prochaine vague de coronavirus, qui, selon eux, sera psychiatrique.

L’étudiant de 19 ans soigné par Emmanuel Poulet tente de rester positif.

«Je veux croire que tout cela va finir, parce que tout a une fin», dit-il. «Et puis nous réussirons à passer à autre chose. Je me dis que c’est juste une mauvaise phase à traverser. Cela dit, je ne peux pas imaginer l’avenir, mais je veux l’imaginer positivement. C’est ce à quoi je m’accroche.

source :

https://news-24.fr/traumatisme-psychiatrique-le-bilan-cache-de-la-pandemie-de-covid/