Le nombre de jardins d’enfants et de crèches anarchiques ne cesse de grimper en Tunisie. 1.100 jardins d’enfants anarchiques seraient répertoriés selon le ministère de la Femme. Des dispositions seraient prises par les autorités mais elles ne semblent pas empêcher les nombreux cas de violence et de maltraitance. Alors que les parents crient au scandale, les professionnels de la petite enfance s’insurgent contre un certain blocage administratif. Quel est le vrai du faux ?

Une véritable polémique a éclaté il y a quelques jours, suite à deux cas d’enfants violentés dans la ville de Sfax. Il s’agit d’un petit garçon de deux ans et 8 mois ayant reçu de violents coups de bâton au niveau du dos et du bassin, ainsi que de deux jumeaux souffrant de fractures au niveau des jambes. Dans les deux cas, on accuse l’école maternelle et la crèche dans lesquelles ils sont inscrits de violences et de maltraitance. Des plaintes ont été déposées par les parents et les deux affaires sont actuellement entre les mains de la justice afin de déterminer les réelles responsabilités de chacun dans ces deux cas.

Suite à la grande campagne médiatique tenue après ces deux affaires et la diffusion sur les réseaux sociaux d’images insoutenables d’enfants violentés, le délégué de l’enfance de la ville de Sfax a réagi. Dans les deux cas, il est intervenu indiquant que les deux établissements en question sont « dans l’illégalité » et qu’aussi bien l’école maternelle que la crèche ne disposent pas d’un agrément officiel leur permettant d’accueillir des enfants.

Comment de tels établissements peuvent-ils exercer « dans l’illégalité ? ». Dans les faits, les choses sont loin d’être aussi simples. Nous avons contacté un ancien gérant de jardin d’enfants qui avait ouvert son propre établissement il y a quelques mois. Le monsieur nous explique que pour obtenir un agrément, il faut déposer une demande auprès de la délégation de l’enfance de la région concernée, obtenir un reçu et attendre une visite de l’inspecteur qui viendra, après ouverture de l’établissement afin de vérifier que « tout est en règle ».

Concrètement, l’établissement devra donc se conformer à un cahier des charges fixé avant de déposer sa demande d’agrément mais pourra ouvrir ses portes et accueillir des enfants avant même d’avoir obtenu son sésame. Une pratique à la limite de l’illégalité étant donné que, dans le reçu délivré, on indique clairement « ne pas accepter d’enfants ». Mais « c’est l’usage dans ce genre de cas », nous explique-t-on.

Qu’en est-il alors réellement pour les deux cas de la crèche et de l’école maternelle de la ville de Sfax, objet de la polémique ? En réalité, les deux cas sont différents.

En effet, la crèche, sise à Sidi Mansour dans la ville de Sfax, vient d’être fermée étant donné qu’elle « n’a pas achevé les démarches administratives pour l’obtention de l’autorisation du ministère », indique le ministère de la Femme, de la Famille et de l’Enfance dans un communiqué. Le ministère précise qu’un contrôleur pédagogique avait mis en garde la directrice de la crèche, depuis novembre dernier, de ne pas exercer sans autorisation. On lui a également demandé de se présenter au ministère pour compléter son dossier incomplet suite à des « infractions » enregistrées au sein de l’établissement, contraires au cahier des charges.

Concernant le deuxième cas, celui de l’école maternelle, contactée par Business News, la directrice de l’établissement affirme que son école est en voie d’obtenir son agrément suite à la visite, au courant même de cette semaine, d’une inspectrice mandatée par le ministère.

Par ailleurs, la responsable des lieux nous explique qu’elle a « effectué toutes les démarches nécessaires afin d’obtenir son agrément », mais est restée dans l’attente de la visite d’un inspecteur venu s’enquérir de l’état des lieux. Elle nous explique, également, que l’établissement a ouvert ses portes le 15 septembre 2015, jour de la rentrée des classes, mais qu’aucun inspecteur n’est venu visiter l’établissement depuis, malgré le délai légal des 15 jours fixé par la loi de protection de l’enfance.

En effet, l’article 3 de cette loi annonce que le début d’activité peut avoir lieu après dépôt du cahier des charges et obtention d’un reçu de dépôt. L’inspecteur de l’enfance pourra venir s’enquérir, sur place, de l’état des lieux et de son respect des cahiers des charges déposés, et ce dans un délai maximum de 15 jours après l’ouverture de l’établissement au public.

Toujours selon la directrice de l’école maternelle, interrogée par Business News, « le délégué de l’enfance ainsi que l’inspecteur sont venus le lendemain de la polémique suscitée par l’agression du jeune enfant et tout le tapage médiatique qui s’en est suivi », « comme pour voulant assurer leurs arrières et se protéger ».

En réalité, si le délégué de l’enfance a multiplié les déclarations dans les médias régionaux et nationaux après la polémique suscitée par cette affaire, aucune visite n’aurait été effectuée avant cette date, et ce 4 mois après l’ouverture des lieux. Une inspectrice est venue, en ce début de semaine, visiter l’école et demandant à effectuer des changements mineurs afin que l’agrément soit délivré.

« Tout est en ordre pour être régularisé » nous assure la directrice. En effet, la responsable chargée de superviser l’adéquation des lieux avec les cahiers des charges déposé a noté quelques dysfonctionnements mineurs. Parmi ces dysfonctionnements : le nom de l’école doit être inscrit en langue arabe et non française, le règlement de l’école ainsi que les tarifs pratiqués doivent être placardés, en grand, à l’entrée de l’établissement, une infirmerie doit être installée dans les locaux, la superficie de l’aire de jeux extérieure doit être supérieure à 40m², etc.

« Un excès de zèle » juge la propriétaire des lieux qui regrette que de telles vérifications soient faites a posteriori et que les autres jardins d’enfants, pourtant parfaitement « légaux », soient loin de répondre à ce gendre de critères. Est-ce vrai que la grande médiatisation de cette affaire est derrière l’excès de zèle des autorités ? Il est très aisé de le penser…

Pour les besoins de notre enquête, nous avons effectué des visites dans d’autres établissements de même catégorie dans la ville de Sfax. Des jardins d’enfants ouverts depuis des années et « parfaitement en règle ».

Malgré le nombre des établissements visités qui ont leur agrément auprès des autorités compétentes, de nombreux « dysfonctionnements » flagrants ont été observés. Nous n’avons en effet pas constaté l’installation d’une infirmerie dans la majorité des locaux visités et les normes de sécurité sont loin d’être au point. Pour des établissements accueillant des enfants de deux ans et plus, on remarque la présence de nombreux escaliers, des rampes non sécurisées, des piscines non protégées, etc. Idem pour la pause sieste prévue pour les petits chérubins. Deux établissements, pourtant réputés de la ville, et pratiquant des tarifs relativement élevés (plus de 120DT/mois sans frais de restauration ni de transport), n’ont pas prévu tout le confort nécessaire pour la sieste des tous petits. En effet, si certains sont amenés à faire leur sieste sur des matelas de fortune à même le sol, d’autres doivent partager des petits lits à barreaux entre deux enfants. Certains même de ces établissements sont installés dans des sous-sols, du moins en partie, et sont mal aérés et mal ensoleillés.

Le ministère de la Femme a réagi à cette polémique en annonçant que des dispositions strictes ont été appliquées. On recense plus de 1.100 jardins d’enfants anarchiques. « 800 ont été fermés », a indiqué la ministre de la Femme, de la Famille et de l’Enfance, Samira Meraï Friaa, à la TAP lors d’une déclaration aux médias donnée en marge d’un atelier de travail organisé, mardi 15 décembre à Tunis, sur le suivi de la situation de l’enfance tunisienne.

Par ailleurs, selon la même source, le représentant de l’observatoire de l’Information, de la Formation, de la Documentation et des Etudes sur la protection des droits de l’enfant, Riadh Safi indique que 6.000 cas de violence contre des enfants sont rapportés au délégué à la protection de l’enfance. En 2014, par exemple, l’observatoire a recensé 2.800 cas de violence morale et physique contre des enfants.

Malgré les annonces alléchantes et le choix de plus en plus varié d’établissements où confier ses enfants de moins de 6 ans, plusieurs zones d’ombre persistent. On pointe du doigt des établissements en surcapacité, des institutrices non formées pour accomplir les tâches qui leur sont confiées, des cahiers des charges non respectés, mais aussi, d’un autre côté, une réelle lenteur administrative.

Dans les faits, il est possible pour chaque parent de vérifier si un jardin d’enfants, une crèche ou une école maternelle dispose du fameux sésame. Le site du ministère de la Femme permet, en quelques clics, de vérifier quels sont les jardins d’enfants et crèches qui ont obtenu leur agrément et peuvent donc fonctionner légalement. Mais cette légalité est loin de fournir la tranquillité nécessaire à des parents à la recherche de l’établissement « parfait » lorsque l’on sait que les contrôles ne sont pas toujours effectués comme il faudrait et que les lacunes administratives sont monnaie courante.

source : business news. com.tn
le 18 décembre 2015

par Synda TAJINE